Un peu partout dans les rues, sur les trottoirs, dans les allées des magasins d’alimentation – les seuls avec quelques autres à avoir le privilège d’être ouverts – on voit beaucoup de gens qui portent le masque hygiénique. La proportion des porteurs de masque varie d’un lieu à l’autre, et dépasse souvent les 30%. Les femmes sont plus nombreuses à afficher cette bonne volonté protectionniste. Difficile d’affiner cette sociologie sommaire, de dire par exemple si la classe aisée porte plus le masque que la classe moyenne ou les classes populaires. Difficile de s’avancer sans faire le tour sociologique de la région parisienne, à vouloir distinguer le Sud plus aisé du Nord plus pauvre, ou du 16ème arrondissement plus bourgeois, du 18ème plus populaire.
Dans le Nord de Paris où se limite modestement cette observation, les porteurs de masques semblent avoir une moyenne d’âge de 35 ans, et émargent volontiers à la classe moyenne. Et ce qui se dégage comme impression de la posture de ces Parisiens prévenants c’est un besoin de se protéger contre la maladie qui rôde, besoin aussi légitime que malicieux sur les bords. L’aspect légitime va de soi et ressortit du réflexe ô combien naturel de survie inscrit en chaque être vivant. Le côté malicieux en revanche, relevé ici ressortit d’un trait de caractère de l’homo franciasis, dans sa variété parisis : égoïste, imbu de soi, plus intelligent que la terre entière.
L’aspect malicieux renvoie au fait que le porteur de masque parisien trahit la prétention égoïste de se protéger, y compris et surtout contre son prochain, l’autre sans visage, perçu comme le dépositaire vectoriel du mal. En général, dans une société historiquement construite sur la réduction du Noir, de l’Africain, c’est à ceux-ci qu’incombe pour ainsi dire naturellement le rôle diabolique de source et vecteur du mal ; et chaque individu de l’espace social occidental, de par les conditionnements reçus, le leur confère généreusement. Mais, en l’occurrence, difficile de faire du Noir le bouc-émissaire d’un virus né en Eurasie, et qui sème l’hécatombe plus à Rome qu’à Pékin ! A vrai dire, ce n’est pas une situation confortable pour le Blanc ordinaire, ordinairement conditionné à se servir du Noir comme d’un diable de poche à usage multiple. La malice inhérente au port du masque chez l’espèce parisis de l’homo franciasis, et dont le Français n’a qu’un apanage tout relatif est pourtant grosse d’un malentendu dans les représentations mentales, et la réalité du mal. Comparé à son usage en Asie d’où le mal est censé avoir surgi, le port du masque hygiénique en Occident révèle un contraste culturel et une différence éthique profonde.
Le Parisien, le Français, bref l’Occidental porte le masque pour se protéger lui-même du monde extérieur considéré comme potentiellement contaminant. A cet égard, l’esprit du Blanc moyen, obnubilé par son individualisme égocentique, le pousse à considérer le virus qui sévit actuellement comme un machin invisible ailé qui vole dans l’air au gré du vent. Dans ce cas, et selon la logique de cette représentation naïve, le port du masque est censé bloquer la pénétration malicieuse du virus dans le corps par le nez ou la bouche lors de la respiration. Cette représentation n’est pas sans rappeler la peur de l’étranger aux frontières de l’Europe, où les forces de l’ordre arrêtent les immigrés clandestins ou les poussent à se noyer dans la Méditerranée.
Ainsi, en portant le masque en Occident, on se sent protégé de cette vilaine bête volante et invisible, alors qu’en Asie – en Chine, mais ainsi au Japon en Corée, etc. – d’où la maladie a surgi, le citoyen ordinaire porte le masque, non pas pour lui qu’il sait ou suppose potentiellement contaminé mais pour les autres, la société dont le bien-être et la sauvegarde lui paraissent plus importants que les siens. L’Asiatique ne porte pas le masque de façon égoïste pour se protéger mais il porte le masque pour protéger les autres, la société. La vérité de la représentation du mal semble plus du côté des Asiatiques que des Occidentaux, qui nagent en plein délire égotiste. C’est aussi peut-être une des explications de ce qui apparaît en Asie comme une héroïque résistance à( voire un reflux de) la contagion au coronavirus, alors que celui-ci continue hélas de donner des sueurs froides aux Occidentaux.
Aminou Balogun