Bio Guerra : L’Éthique de Résistance et l’Esprit Wasangari

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Le dimanche 17 décembre 1916,dans le village Baoura de la commune actuelle de Bembéréké, s’éteignait sous les coups des hommes du commandant français FERIUS, le prince wassangari émérite BIO GUERRA, de son nom de guerre Kaasè (c’est-à-dire porté par un cheval blanc, en boo). Tout  comme un séisme, la nouvelle de l’extinction de Kaasè plongea tout le pays gbaasi dans la consternation et mit fin à la guerre.

 Pour louer la bravoure, l’esprit de sacrifice et le patriotisme de ce prince wassangari hors pair, les griots traditionnels continuent de chanter encore aujourd’hui sa vaillance en ces termes vibrants :

  « Si c’est de la sauce viandée à l’igname pilée, il faut en dispenser BIO GUERRA ;

     Mais si une guerre d’émancipation éclate, il faut vite chercher BIO GUERRA ».

    Voilà qui résume bien la caractéristique de la personnalité de ce héros national, pleine de générosité et d’abnégation.

 Mais qui est cet homme ? Pourquoi a-t-il organisé l’insurrection de son peuple contre l’occupant français? Quel message nous transmet-il ? Nous tâcherons de répondre à ces questions essentielles dans les lignes qui suivent.

Qui est BIO GUERRA ?

Bio GUERRA (de son vrai nom Gbaasi N’Guerra) est un prince Wasangari de la branche Mako-Gbaasi. Il est né vers 1856 dans le village Gbaasi de la commune actuelle de Kalalé, de père boo Wasangari Sabi Yérima du village Gbaasi et de mère gando Yongon, originaire du village Gbêkou de la commune de Bembèrèké.

Du point de vue physique, Bio GUERRA apparaît plutôt ordinaire et calme. Mais d’un esprit vif et prompt, il est direct et ferme dans ses propos. Son oui est un oui et son non, un non.

« Dans sa jeunesse, BIO GUERRA, le héros, a l’habitude d’aller au champ. C’est un enfant tenace, il travaillait dur, ne se laissant pas approcher avec légèreté. Il était très épris de justice.

       En plus des activités champêtres, il s’adonnait aussi aux activités de chasse. D’un courage de lion, il s’était fait une grande renommée à la ronde jusqu’à Tchaourou, pour avoir réussi à tuer tout seul une panthère avec un poignard empoisonné. »

   En outre, à l’instar de son père et de son grand-père, il était aussi un grand guerrier. Il faisait la guerre contre les autres provinces du Borgou. Au cours de la période pré-coloniale, on l’a vu combattre à Ouèrè (43km au sud de Kandi), Dounkassa, Sonnou, Kalalé et Bembéréké. Il n’avait jamais connu de défaite. Il n’a jamais choisi la voie de la facilité. Il avait voulu laisser un « nom » à la postérité. On l’appelait le « Dangereux de Yongon ».

      Lors des fêtes de la GAANI à Nikki, il se faisait distinguer parmi les wassangri par le nombre de ses compagnons, de ses chevaux et par les cadeaux qu’il distribuait, cadeaux composés aussi bien d’habits que de chevaux. C’est tout cela qui lui valut la confiance et l’estime des autres wassangari. »

 Quelles sont les causes de l’insurrection de BIO GUERRA ?

 Dans son  livre, « Structures de Type féodal en Afrique », édité en 1965, Jacques LOMBARD nous fait toucher du doigt les abus de la colonisation dès ses débuts : des recrutements abusifs de 1911 à 1912, la destitution de deux chefs de Kandi qui s’opposaient au recrutement en 1914. En 1915,le cercle de Parakou a fourni environ 1200 jeunes gens. En plus des incorporations et des réquisitions, les colons blancs se faisaient transporter par les habitants dans leurs déplacements d’un coin à un autre. Ceci provoquait le départ massif des jeunes vers les autres horizons, laissant les villages aux vieux épargnés de ces corvées.

        A tout cela, il faudrait ajouter les impôts recouvrés de force. Si quelqu’un n’arrivait pas à s’acquitter de ce tribut, on prenait sa femme. Les soldats ou les tirailleurs pesaient aussi de leur poids : ils prenaient les poulets et les moutons des populations. Voilà pourquoi certains voient dans l’histoire d’un coq blanc l’une des causes de la révolte de BIO GUERRA. En effet, celui-ci s’était opposé au désir de l’administrateur qui voulait attraper son coq blanc à Gbêkou.

        Si quelqu’un rencontrait l’administrateur, il devait enlever son chapeau et se mettre au « garde-à-vous » devant lui, sinon on le prenait et on le mettait en prison pour au moins dix jours. Alors BIO GUERRA voyait tout cela et n’en était pas content, il en était indigné. Ce sont ces raisons qui l’ont poussé à ne plus vouloir sentir les colons blancs et à organiser la résistance.

Ainsi donc, face à la terreur, à l’exploitation, aux abus et aux brimades diverses dont son peuple était l’objet quotidien, BIO GUERRA ne pouvait pas supporter la résignation, il décida d’agir quoique cela pouvait lui coûter.

Les principales étapes de la bataille

Cette résistance de BIO GUERRA comporte quatre étapes importantes : la bataille de Gbêkou, la rencontre de Wanrarou, l’invasion de Bembéréké et l’atrocité de Baoura. Nous retiendrons ici trois épisodes épiques. Mais pour la circonstance, permettez-nous de faire économie des petits détails et péripéties qui allongeraient sans grand intérêt notre document.

Destitué de son trône de Chef de village de Gbêkou depuis septembre 1915, BIO GUERRA patientera pour encaisser toutes les provocations  de l’occupant français pour se préparer.

Tout comme pour marquer l’an un (1) de sa destitution, BIO GUERRA s’est saisi de l’affront que le Commandant FERIUS lui fit en venant à Gbêkou, courant septembre 1916 et en assiégeant son domicile, pour déclencher les hostilités. FERIUS s’en sortit en prenant ses jambes à son coup et en passant la nuit dans la brousse avant de rejoindre Bembéréké le lendemain.

L’épisode de Bembéréké est plutôt marqué par l’invasion de la ville et la prise en otage des hommes de FERIUS par les guerriers de BIO GUERRA. Du 12 au 29 octobre 1916, FERIUS  et ses hommes restèrent enfermés dans leur résidence jusqu’à l’arrivée de la troupe de renfort envoyée depuis Parakou. Les  combats reprirent de plus belle. Les hommes de BIO GUERRA  submergés, celui-ci se retira à Baoura pour une nouvelle attaque.

Le dimanche 17 septembre1916, les affrontements éclatèrent à nouveau. Le carnage de ce jour dépassait l’entendement, le premier tué était l’ami intime de BIO GUERRA, le nommé Sanni GUISO.  Devant l’inégalité des armes, les hommes de BIO n’avançaient plus. Face à cette situation, il sortit de sa cachette, descendit de son cheval et fut tué par les hommes de FERIUS. Comme un séisme, l’extinction de BIO GUERRA plongea le pays gbaasi et le royaume de Nikki dans la consternation et mit fin à la guerre.

Que retenir de cette vie de BIO GUERRA ?

Une vie faite de générosité, de dignité, de droiture, de fidélité à la parole donnée, d’abnégation et de patriotisme.

 On entend souvent certaines personnes dire que BIO GUERRA est un chef de guerre, un stratège militaire et s’en arrêter là, occultant  le plus important, à savoir qu’en tant que wasangari, BIO GUERRA est d’abord un politique, un élément de la caste dirigeante du grand royaume de Nikki que les blancs étaient venus pour détrôner et remplacer.

Oui, BIO GUERRA avait une  conscience claire que tout ce que les envahisseurs orchestraient contre ses administrés le visait lui-même en premier lieu. En tant que dirigeant. Et comme pour tout wasangari, la mort vaut mieux qu’une grande honte, il se sentait interpelé par ce qui arrivait à ses concitoyens, à son peuple et à son pays que son père et grand-père lui ont appris à aimer, respecter et à défendre. Et c’est ce grand amour qui lui a donné la force pour  prendre les armes afin de débarrasser son pays de cette ignominie, de cet esclavage auquel son peuple venait d’être soumis. Que l’ennemi ait remporté la guerre pour les circonstances d’alors, c’est bien dommage, mais cela n’a aucune espèce d’importance, l’essentiel étant l’exemple donné, la voie tracée.

BIO GUERRA, tes enfants boo et baatombu qui sont allés à l’école du colonisateur se  discutent aujourd’hui ta nationalité. Les boo disent que tu es boo et les baatombu disent que tu es baatonu, mais très peu osent dire qu’ils vont suivre la voie que tu as tracée. Ils se contentent de s’habiller en wasangari, de clamer haut dans les salons et parlements néocoloniaux qu’ils sont wasangari tout en mangeant et buvant à la même table que l’occupant, tout en jouant le même rôle que ce dernier. Ils n’osent pas  mettre le contenu et l’esprit wasangari dans leur comportement. Donc la cérémonie qu’ils organisent aujourd’hui dans ces conditions ne peut être que du folklore, une cérémonie pour se donner la bonne conscience qu’ils ne t’ont pas oublié, une cérémonie pour faire de toi un icône et un site touristique, au lieu d’une source ou d’une sève vivifiante à laquelle les générations actuelles et futures viendront boire pour de la générosité, de la dignité, de l’abnégation et du patriotisme ardent.

L’esprit wasangari, c’est le refus et le rejet de la domination étrangère, c’est le respect de la culture, des us et coutumes de ce dernier. L’esprit wasangari, c’est la vie quotidienne avec son peuple, l’écoute attentive de celui-ci, se mettre à son service, le protéger et le défendre à tout moment contre tout agresseur. C’est ça l’enseignement que BIO GUERRA nous a donné, qu’il nous a laissé comme héritage.

Cet enseignement est extrêmement important pour nous dépositaires et héritiers des wasangari et de leurs œuvres. Nous sommes peinés et affligés de continuer de subir la domination française, de voir notre culture bafouée et délaissée au profit de la culture française. A l’école, dans l’administration, dans la rue, même au marché, c’est la langue française qui est imposée partout .Et nous les dépositaires et héritiers de l’administration traditionnelle, nous sommes réduits au rang de mendiants, nous sommes écartés de l’administration de notre pays et privés de tout moyen de subsistance. Les dirigeants qui ont pris la place du colon depuis 1960 veulent bien venir de temps en temps se prosterner devant nous à la quête de suffrage électoral et de nos soutiens spirituels et occultes ; mais ils ne veulent pas reconnaitre nos jugements ni nous voir siéger dans les tribunaux de justice traditionnelle ; Ils ne veulent pas nous voir siéger dans une chambre au Parlement à Porto-Novo pour donner nos avis sur les lois qu’ils votent et qui continuent de nous opprimer. Et pourtant, ils ont appris qu’au pays des blancs, en Angleterre, en France, les dignitaires ont une chambre au Parlement. Ainsi, nos dirigeants actuels continuent de nous traiter comme le faisaient le colon qui a assassiné Bio Guerra, dans le mépris de nos langues, de notre dignité, de notre humanité. C’est insupportable, c’est inadmissible parce que tout simplement inhumain.

BIO GUERRA, nous avons compris ton message, tu nous as montré qu’il ne faut jamais accepter la domination étrangère, qu’il faut la combattre de toutes ses forces. Nous te félicitons pour ce grand courage et te promettons de suivre l’exemple donné, de reprendre notre place et de remettre notre culture à la place qu’elle mérite.

Nous sommes d’autant plus sûrs de réussir que nous ne sommes pas seuls aujourd’hui dans ce combat. Nous sommes avec les héritiers de Béhanzin, de Kpoyizoun, de Toffa 1er, de Kaba et d’autres….

Nous savons que vous vous retrouvez là-bas, vous qui avez donné l’exemple en indiquant la bonne voie. Nous vous demandons de nous soutenir et de promouvoir les hommes de votre trempe pour conduire notre lutte à la victoire afin que nous puissions vous faire une place de référence centrale dans notre pays et dans la vie de notre peuple.

Telles sont la prière et l’invocation que nous t’adressons, BIO GUERRA, ainsi qu’à tes pairs, en cette occasion où nous célébrons le 100ème anniversaire de ta disparition sur terre.

Gloire immortelle à toi !

NOUS TE VENGERONS ENSEMBLE AVEC TOUS LES PEUPLES DE NOTRE PAYS QUI NE CESSENT DE SE BATTRE CONTRE CETTE DOMINATION HUMILIANTE.

Sa Majesté NOMBAGARI II, Roi de Wari-Maro

Président de la Coordination des Rois, Chefs de terre et Dignitaires probes du Nord-Bénin  réunis au sein de l’INIREF-Bénin,

Déclaration

Du Président de la Coordination des Rois, Chefs de terre et Dignitaires probes du Nord-Bénin  réunis au sein de l’INIREF-Bénin, Sa Majesté NOMBAGARI II, Roi de Wari-Maro

      A l’occasion du 100ème anniversaire de la mort de BIO GUERRA

                                                                                                          Parakou, le 17 décembre 2016


Centenaire de la Mort de Bio Guerra, Héros National

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