A. Gbégnonvi et Consorts
Que Penser des lettrés qui soutiennent le régime de Talon ? Sont-ils des intellectuels, comme ils se qualifient volontiers ou comme on a tendance à les considérer ? Pour répondre à cette question, nous avons choisi deux personnages aux notoriétés et au modes d’interventions différents mais qui tous se sont engagés corps et âme aux côtés du régime de la rupture. Il s’agit du professeur Roger Gbégnonvi, et du comédien Ignace Yètchénou.
Roger Gbégnonvi est bien connu depuis des décennies dans l’espace politico-médiatique du Bénin. D’abord en tant que professeur de lettre à l’Université d’Abomey Calavi, ensuite en tant que membre de l’ONG Transparency-Bénin. Il est aussi écrivain et chroniqueur ; et, à ce titre, il sévit depuis plusieurs décennies dans l’espace médiatique béninois où il intervient par des écrits plus ou moins percutants sur la vie politique nationale. Enfin, il a été Ministre de l’alphabétisation dans le gouvernement du Président Yayi.
Ignace Yètchénou, quant à lui est un dramaturge, réalisateur, acteur. Tête d’affiche du Fitheb 2018, partisan d’un art de « l’engagement, critique et social pour un développement durable au Bénin, en Afrique et dans le monde. » Le comédien Yètchénou, alias Codjo ne cache pas sa fierté d’être porteur de parole, de l’art dramatique, et son intention de la porter plus haut et le plus loin possible. En 2017, il est devenu le Dga du Centre national du cinéma et de l’image animée nouvellement créé. Sur mesure ?…
-
Roger Gbégnonvi
Roger Gbégnonvi, en tant que lettré, est dans le business de l’engagement politique depuis plusieurs décennies. En la matière, il a blanchi sous le harnais de l’art de la critique politique. Déjà, sous l’ère de la Révolution et après le Renouveau Démocratique, il a ferraillé contre les excès et les crimes du Président Mathieu Kérékou. Soit dit en passant, ces critiques bien qu’elles fussent sans concession, n’ont pas empêché la reconnaissance sans nuance accordée à la mémoire de l’ex-président, à travers, entre autres choses, la désignation par son nom du plus grand stade de sport du pays. Certes, cela n’enlève rien à l’efficacité de l’action de chroniqueur politique Roger Gbégnonvi, puisque, au-delà de la tendance à la mémoire courte chez nos peuples, l’habitude de l’embellissement post-mortem de l’action des défunts — qu’ils soient politiques ou non — fait partie de nos mœurs les plus têtues.
Après Kérékou I et Kérékou II qu’il a marqués au feu de sa critique, en 2006, avec l’avènement de Yayi Boni, Roger Gbègnonvi a troqué le fiel contre le miel. Dans une euphorie d’une inhabituelle excitation, il a porté la voix du régime du changement à la limite du militantisme, voire de l’avant-gardisme le plus zélé. Ses chroniques célébraient l’héroïsme de Yayi Boni, son messianisme, la qualité et la justesse de la moindre de ses actions. Il célébrait la victoire de la raison en politique et promettait des lendemains qui chantent. Dans une activité médiatique concertée, il se faisait le bouclier de Yayi et le fleuriste de son jardin politique. Quiconque touchait à un cheveu de Yayi avait affaire à lui. Son zèle d’apologiste du régime du changement a fini par être payant et lui valut, au mépris de sa positon d’acteur éminent de la société civile, d’entrer au gouvernement en tant que ministre de l’alphabétisation : quoi de plus cohérent pour un homme qui a utilisé la puissance et les vertus de l’alphabet au service de son idole ? Même en tant que membre du gouvernement de Yayi, Roger Gbégnonvi n’a pas cru devoir déposer les armes. Il devenait en quelque sorte le chroniqueur de la république, et pourfendait plus que jamais les ennemis du changement. Cet apostolat passionné dura jusqu’à la vicissitude politique qui l’évinça du gouvernement. C’est alors que peu à peu, Roger Gbégnonvi vira sa cuti. Mais le virus de la chronique qu’il avait dans le sang le hantait toujours. C’est alors que subrepticement, en dépit de la nature immorale des graves accusations qui pesaient contre M. Talon dans ses obscures démêlées avec le Président Yayi, sans crier gare, Roger Gbégnonvi avec une subtilité aussi retorse que consommée, fut l’un des tout premiers lettrés à naturaliser la candidature de l’homme d’Affaires à la présidence de la République. Dès lors et jusqu’à l’élection de Patrice Talon et évidemment après, sa machine à chroniquer les faits publics, à donner son avis sur tout entre deux citations de Victor Hugo et Aimé Césaire, reprit du service. Si, sous Kérékou son discours était virulent et parfois obscur, sous Yayi triomphant et extatique, à l’heure de la Rupture qu’il soutient, il avance plutôt à pas feutré, quoique ferme et manie plus la litote et la suggestion que les grandes affirmations manichéennes d’antan. Nous reviendrons plus loin sur sa dernière chronique consacrée à la crise politique qui secoue le pays suite à l’application des nouvelles lois électorales.
2. Ignace Yètchénou
Revenons au second cas de lettré engagé dans la rupture cité plus haut, à savoir le comédien Ignace Yètchénou, alias Codjo. Homme de théâtre et réalisateur, qui jusqu’ici n’a pas hanté l’espace médiatique des opinions politiques, Ignace Yètchénou fait une entrée en scène originale et d’une grande cohérence. Si le professeur de lettre Roger Gbégnonvi intervient dans l’espace médiatique par l’écrit, l’homme de théâtre Ignace Yètchénou utilise son savoir faire d’homme de théâtre et les techniques audiovisuelles pour s’adresser au public. Ses chroniques se donnent à voir comme des interventions dramaturgiques élaborées, où l’art oratoire, le texte oral bien pensé, la diction vigoureuse et la présence scénique sont conjugués dans un talentueux arrangement. Pour faire passer ses messages, marteler son discours, l’acteur interpelle le spectateur et l’entraîne dans un corps à corps verbal et gestuel assez saisissant. Et souvent, le comédien n’hésite pas à payer de sa personne la force de conviction qui l’anime. Cette mise en jeu personnelle de la force de conviction apparaît clairement dans sa dernière livraison consacrée à la crise préélectorale qui secoue actuellement le pays, et où l’acteur ne fait pas mystère de son soutient ardent au camp de la rupture.
Cette présentation des deux cas de lettrés choisis, soutiens indéfectibles du régime de la Rupture, étant rapidement faite, revenons à la question initiale, à savoir : « Que Penser des lettrés qui soutiennent le régime de Talon ? Sont-ils des intellectuels ? » Pour y répondre, il nous faut très rapidement éclairer le concept d’intellectuel.
A suivre
Adenifuja Bolaji