Sartre est le promoteur d’une forme nouvelle de psychanalyse, qui refuse de reléguer les pulsions dans l’inconscient et le passé infantile. Ni déterministe, ni arbitraire, la liberté humaine relève d’un « choix fondamental » qu’il faut penser, proclame R. Moati, à la lumière du réalisme.
C’est à la lumière de son propre parti pris réaliste, selon lequel la réalité extérieure a une valeur absolue, que Raoul Moati entreprend une analyse de la pensée de Sartre. À juste titre, dans la mesure où Sartre se revendique lui-même réaliste. Cependant, R. Moati signale une difficulté propre à l’argumentation sartrienne en ce qu’elle articule son réalisme sur une référence à la philosophie husserlienne. Or cette dernière, souligne-t-il, marque sa fidélité à l’idéalisme, qui n’accorde à la réalité extérieure qu’une validité relative, relative aux représentations que le sujet en forme.
Le commentaire de R. Moati se déroule en deux temps, un premier temps qui dégage les concepts essentiels de l’ontologie sartrienne à partir d’une lecture attentive de L’être et le néant, un second qui s’intéresse à la psychanalyse existentielle, dont R. Moati déclare qu’elle a été négligée par les sartrien-ne-s [1] alors qu’elle concrétise les promesses de l’ontologie.
La psychanalyse existentielle est la méthode d’analyse que Sartre élabore dès L’être et le néant pour comprendre la réalité humaine dans sa situation et sa singularité. Il la met notamment en œuvre à propos de Baudelaire, de Jean Genet, de Flaubert, et de lui-même dans son roman autobiographique Les Mots, soucieux de comprendre quel mode de relation tel être humain a établi avec la situation dans laquelle il a été plongé. En quoi cette méthode s’inscrit dans le cours du réalisme revendiqué et lui donne son contenu. La psychanalyse existentielle a en outre cette originalité de se vouloir une psychanalyse sans inconscient, en contradiction frontale avec l’hypothèse centrale de Freud, fondateur de la psychanalyse. Originalité qui sous le couvert de la formule barrésienne s’apparente à un « mystère en pleine lumière », celui de cette Sibylle que Barrès découvre derrière l’autel de la cathédrale d’Auxerre, annonciatrice de la révélation de ce qui est demeuré dans la nuit des origines (Maurice Barrès, Mes Cahiers, XII).
Est-ce en raison de l’incongruité conceptuelle que représente l’idée d’une psychanalyse de la conscience ? Est-ce que ce syntagme ne représente pas une contradiction dans les termes qui expliquerait ainsi pourquoi le développement de la psychanalyse sartrienne est resté après la mort de Sartre lettre morte ? C’est à répondre à ces questions laissées jusqu’à présent en suspens que se consacre le présent essai. (p. 14)
Tel est le programme annoncé de l’ouvrage, dont je vais tenter de décrire le déroulement.
L’ontologie sartrienne
L’objet de la psychanalyse existentielle est la réalité humaine, expression que les heideggériens rejettent avec vigueur en ce qu’elle recouvre celle de Dasein d’un vernis humaniste, mais que R. Moati prend au sérieux à condition de s’entendre sur le concept même de réalité. Ce qui l’autorise alors à soutenir que la notion sartrienne de réalité humaine demeure incompréhensible si l’on ne l’inscrit pas dans le courant du réalisme dont Sartre se réclame d’un bout à l’autre de son œuvre.