Pourquoi le Journal Le Monde Vole au Secours de la CIA à Propos de Bob Marley

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L’information selon laquelle un agent de la CIA sur son lit de mort aurait confessé l’assassinat de Bob Marley circule sur les réseaux sociaux et internet depuis quelques jours. Je n’y croyais pas, cela avait tout l’air d’une intox. Certes, la mort à 36 ans du roi du Reggae est de ces événements qui traînent derrière eux un fumet de soupçons. Des enquêtes plus ou moins sérieuses ont été menées par des agences ou des journalistes plus ou moins bien intentionnés ; nombre de celles-ci laissent pointer le doute, et relèvent la probabilité non négligeable d’une élimination retorse, dans laquelle la CIA est presque souvent pointée du doigt. Ironie du sort, dans « I shot the sherif », Bob Marley disait qu’il n’avait pas peur de la CIA, or voilà que c’est la CIA qui semble avoir eu peur de lui, le cas échéant.

Ces soupçons étaient dormantes et l’idée même avait quelque chose de déprimant, pour qu’on ne préfère pas la balayer du jour de la conscience, et la relayer dans la cave des faits douteux.

Question de naïf : dans quel monde serions-nous si cette info était vraie et n’était pas de l’intox, comme il s’en fleurit à longueur de temps dans les nouveaux médias sans norme ni contrôle ? Les intérêts d’une puissance mondiale seraient ressentis comme menacés par l’œuvre d’un artiste chanteur  – qui loin d’être un terroriste prêchait l’amour et la liberté des peuples – au point que ses services secrets, n’écoutant que leur logique dominatrice décidassent de l’éliminer aussi lâchement ? Dans quel monde serions-nous ? Et quel égoïsme féroce de la part d’une superpuissance si elle mettait sur le même palier de la mort Ben Laden et Bob Marley ? Quel sens donner à l’homme et son existence sur terre, si les choses se passaient ainsi ?

Et pourtant, il faut bien se décider à regarder le monde tel qu’il est au-delà du prisme naïf de l’espérance en la nature humaine et dans un minimum de sens de notre être-là collectif hautement problématique. Car, aussi choquante qu’elle puisse être, l’information faisant état de l’assassinat de Bob Marley par la CIA n’a rien d’inédit dans son genre ; les Etats-Unis ou d’autres puissances coloniales sont habitués du fait, et éliminent par toutes sortes de méthodes retorses des individus – qu’ils soient politiques ou non – perçus, directement ou indirectement  comme une menace à leur intérêts ou à la réussite de leurs plans stratégiques, hégémonique ou prédateurs. Donc, on ne peut pas  dire que l’idée de l’assassinat de Bob Marley  par la CIA relève à 100% d’un délire associatif à l’état pur.

Mais malgré tout, parce que je suis de ceux qui ont été meurtris par la mort prématurée de ce grand prophète chanteur de notre race humaine, parce que je voulais continuer d’espérer que cette vallée horrible du mal qu’on appelle monde gardait encore quelque brin de lueur d’espoir de régénération éthique, malgré tous les crimes qui collent à la peau de notre espèce,  je me refusais d’ajouter foi  à l’info et me réfugiais dans l’idée rassurante que c’était de l’intox.

En effet, quand on regarde l’Histoire, on a  des raisons d’être sceptique sur l’humanité des Blancs. Leur férocité, même s’il la cache derrière leur petit doigt, est inénarrable. Ils ont « découvert l’Amérique » ; pendant 400 ans ils ont réduit les Noirs d’Afrique en esclavage ; ils ont promu la supériorité de la race blanche et le mépris des autres races notamment celles d’Afrique. Ils ont exterminé les Indiens sur tout le continent américain, détruisant leurs cultures et leurs richesses, laissant quelques résidus de loques humaines. Tout cela sans états d’âme mais en poussant des hourras de victoire et en n’écoutant que le flonflon de leur réussite. Mais ce tableau historique sombre et réellement assommant, pour lequel leur culture a élaboré des systèmes de dénégation plus ou moins efficace, il est difficile de l’imputer à un individu. Ce qui ne serait pas le cas de l’éventuel assassinat de Bob Marley par la CIA, un acte qui, le cas échéant, serait froidement décidé par quelques hommes assis dans quelques bureaux feutrés armés de l’objectif d’user de tous les moyens pour  permettre à l’Amérique de continuer à dominer le monde. Que la CIA fasse assassiner  Patrice Lumumba, on peut le comprendre ; qu’elle ait comploté pour faire tomber Kwame Nkrumah, cela passe encore, parce qu’on se dit qu’on est pleinement dans une logique politique avec ses zones d’ombre et sa face hideuse. Mais qu’elle décide de tuer un chanteur d’une trentaine d’années parce que son succès planétaire pourrait véhiculer des messages de révolution susceptible de nuire aux intérêts impérialistes des États-Unis, voilà qui est source d’une angoisse existentielle forte.

J’en étais à me poser la question en ces termes angoissés et sceptiques, jusqu’à ce que le Journal  le Monde décidât de voler au secours de la CIA par son article au ton catégorique qui sans détour rejette l’information dans la poubelle des intox. L’analyse paraissait sûre de son fait. Mais curieusement, elle commence par une raison assez peu consistante : « Un titre d’article qui condense les termes « sur son lit de mort », « CIA » et « Bob Marley » peut-il vraiment être pris au sérieux ? se demande l’analyste. La question aurait dû se poser pour les milliers d’internautes qui, de la Pologne aux Etats-Unis en passant par le Brésil, ont partagé un article affirmant que l’icône du mouvement rasta aurait été victime d’un complot ourdi par la CIA. »

Donc à défaut de faits irréfutables, le raisonnement est basé sur une mise en regard assez ténu d’éléments de suspicion. Après cette mise en regard et l’exposé rapide – citation à l’appui – de la présumée confession, l’analyste en arrive au fait censé emporter la conviction du lecteur au-delà de tout doute raisonnable. Pour préparer l’apparition du fait probant, il est annoncé par un titre ronflant disant « Pourquoi c’est faux ». Eh bien parce que la photo du vieil homme égrotant couché sur un lit d’hôpital et bardé d’appareils médicaux est un grossier faux. Et l’analyste de tracer la photo vers une banque d’image où elle aurait été déposée par un une photographe polonaise.

On ne tue pas une intox avec une intox. Si on le fait, il y a anguille sous roche. Parce que la photo est un grossier faux, le journal le Monde, sans avoir froid aux yeux commet la faute logique d’affirmer que « Non, Bob Marley n’a pas été tué par la CIA ».  Cette affirmation, annoncée dès le titre de l’article est douteuse car elle n’a aucune valeur logique. En effet ce n’est pas parce que ce serait éventuellement un montage, qu’il faut en conclure à grand cri comme le fait le Journal le Monde que Bob Marley n’a pas été assassiné par la CIA. Tout ce qu’on peut dire c’est que l’intention de ceux qui ont publié la nouvelle sans être forcément infondée est faussement étayée. Après tout, si un auteur écrivait une œuvre de fiction pour traduire et faire ressentir sa forte conviction que c’est la CIA qui a assassiné Bob Marley, on ne peut pas du seul fait que c’est une œuvre de fiction affirmer dans un journal sérieux que « « Non, Bob Marley n’a pas été tué par la CIA ».  On peut seulement dire que la preuve n’en a pas été apportée.

Cette erreur logique d’un grand journal comme Le Monde, assumée sans complexe et avec alacrité,  laisse penser qu’il vole au secours de la CIA. Mais alors, pourquoi et à quel prix ?

Est-ce parce que la France, grand-pays colonisateur devant l’éternel, connaît aussi et pratique ces mœurs d’assassinat d’innocents que le Journal  le Monde apporte sa caution dans le blanchiment rapide de la CIA ? Je suis si troublé par cela que du coup, moi qui croyais et espérais que l’info soit une intox, je ne sais plus à quel saint me vouer…

Alan Basilegpo

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