
Nietzsche est un grand philosophe allemand vénéré en Occident. Et pourtant c’est un philosophe déicide, celui qui n’a pas craint d’affirmer la mort de Dieu, et par là, d’une manière performative, la réaliser.
Les dix dernières années de sa vie ne furent pas des plus aisées. Frappé par la démence, il traîna cette souffrance jusqu’à sa mort. Cela n’empêcha pas sa notoriété posthume de s’établir. La réception de son oeuvre a traversé les décennies et reste centrale dans l’histoire des idées en Occident et dans le monde.
En Occident, personne n’a considéré que sa démence fut la punition à son audace blasphématoire inédite, passablement iconoclaste. Le clergé chrétien – toutes tendances confondues – ne l’a jamais maudit pour avoir dit que Dieu était mort.
Que serait-il advenu d’un Nietzche Béninois ( donc Africain) qui aurait annoncé la mort de nos divinités comme Ogù, Sapata, Hêvioso, sans parler même de Mahù ? Eh bien, la démence dont il a été frappé pendant les dix dernières années de sa vie aurait été revendiquée de façon opportuniste par toutes sortes de jeteurs de sorts présumés plus puissants les uns que les autres. Car chez nous, nos métaphysiciens ne s’illustrent que dans le mal. On n’a jamais entendu parler de la manifestation d’une force occulte dans le sens d’un bienfait positif empiriquement mesurable. En revanche, les morts, les accidents, les maladies, la folie, tous ces malheurs susceptibles de frapper l’homme ou la société sont revendiqués par et ou attribués à nos sorciers, jeteurs de sorts, et autres manieurs des choses de l’ombre qui sont légion et hantent l’esprit du commun. Tant il est vrai qu’en Afrique, rien de mal n’arrive jamais tout seul. Il y a toujours un ennemi qui par l’intermédiaire d’un manieur des choses de l’ombre en est responsable.
L’efficacité de ce qu’on appelle bo chez les Aja-Ewé en Afrique de l’Ouest ou grigri en français tient tout entier dans cet esprit maléfique et vengeresque qui allie l’irresponsabilité du secret et de l’impasse faite sur la preuve à la négativité, en tant qu’elle échappe à toute démarche positiviste. Cet esprit prospère dans la contagion de la peur qu’il cultive dans les esprits et exploite astucieusement sans faire de quartier à la liberté d’expression, sinon à la liberté tout court.
Dans le feu des réactions suscitées par le meurtre raciste de George Floyd par le policier blanc Derek Chauvin, on a vu la contribution occulte des adeptes béninois du vodùn. Ceux-ci, dans un document vidéo diffusé sur les réseaux sociaux, ont montré, à travers des gestes et des transactions occultes, à grand renfort d’objets cultuels et d’incantations de toutes sortes, qu’ils ne faisaient pas mystère de l’enfer qu’ils promettaient aux coupables ; ceci en affirmation de ce qu’on est censé comprendre comme la puissance spécifique endogène des Africains. Mais ces transactions occultes expressément menaçantes juraient par le déni de toute positivité : on ne savait pas ce qui allait arriver aux policiers meurtriers racistes, quel malheur allait les frapper et quand exactement est-ce que ce malheur interviendrait. Dans 41 jours ? Dans 41 mois ou dans 41 ans ? Personne ne sait. C’est le genre de situation que Karl Popper qualifie d’infalsifiable. Car les menaces proférées contre les coupables sont suffisamment vagues et floues, suffisamment lâches dans le temps de leur survenue éventuelle, pour être revendiquées à tout moment. Or, tout le monde sait que Derek Chauvin et ses acolytes, comme tout être humain, peuvent à tout moment être visités par le malheur. Alors, le cas échéant, tel confrérie du vodùn, ou tel adepte présumé puissant peut revendiquer ce malheur comme étant la conséquence de son action occulte. Dans le même temps, comme cela tombe sous le sens, aucun de ces manieurs des choses de l’ombre ne propose de ramener George Floyd en vie, ce qui aurait été une belle démonstration de la positivité de sa puissance.
Assurément, il y a du travail à faire en Afrique pour séparer le bon grain de l’ivraie de notre mentalité, amener un peu de positivité dans un univers de ténébreuse négativité. Travail sans lequel dans 1000 ans nous n’aurions pas avancé d’un iota !
Adenifuja Bolaji
