Capitalisme, Changement Climatique et Philanthropie
Les fondations philanthropiques s’engagent dans la lutte contre le changement climatique, avec des actions célébrées. Mais pour quels résultats ? Comme le montre Edouard Morena, ces fondations contribuent en fait à maintenir l’ordre économique responsable de l’aggravation de la crise climatique.
Au-delà des appels à l’action et des promesses d’engager davantage de ressources dans la lutte contre le changement climatique, le One Planet Summit, qui s’est tenu à Paris en décembre 2017, a été marqué par l’importance accordée aux philanthropes et aux fondations philanthropiques. Loin d’occuper un rôle secondaire ou d’appui (Bloomberg Philanthropies a financé et orchestré l’événement), les fondations ont été publiquement reconnues et célébrées comme des acteurs essentiels de la lutte contre le changement climatique, aux côtés des gouvernements, des entreprises, des investisseurs et d’autres organisations de la société civile (en particulier les villes et les gouvernements locaux). Le matin du Sommet (12 décembre), le Président Macron a tenu à l’Élysée une réunion avec un groupe de philanthropes de premier plan – y compris Michael Bloomberg, Bill Gates et Richard Branson – au cours de laquelle il a insisté sur la place particulière de la philanthropie comme catalyseur de l’action climatique. Il a en outre appelé ses invités à « créer un groupe de travail pour cibler et élargir le rôle de la philanthropie dans la réalisation accélérée des objectifs ambitieux de l’Accord de Paris, notamment par le développement de partenariats avec les gouvernements et les bailleurs de fonds publics ».
La quinzaine d’individus présents à l’Élysée était représentative d’une poignée de riches fondations privées [1] qui dominent le paysage de la philanthropie climatique. En 2012, on estime que les dépenses combinées des fondations Oak, Hewlett, Packard, Sea Change, Rockefeller et Energy – qui font toutes partie de ce groupe – représentaient environ 70 % des quelque 350 à 450 millions de dollars philanthropiques alloués annuellement à l’atténuation du changement climatique. Ces « big players » partagent des caractéristiques communes. Conformément à la tradition libérale, ils se considèrent comme des agents neutres agissant dans l’intérêt général, et ils présentent le changement climatique comme un « problème résoluble » nécessitant des solutions pragmatiques, non idéologiques, bipartisanes et scientifiquement fondées. Or, un examen plus approfondi montre que leurs priorités de financement et leurs approches en matière de philanthropie reflètent une vision du monde et une conviction singulières et imprégnées d’idéologie, à savoir que les logiques de marché et la poursuite de l’intérêt personnel sont à même de sauver le climat. Pour la plupart de ces grands bailleurs de fonds du climat, la défense de l’environnement et l’ordre économique libéral sont non seulement compatibles mais se renforcent mutuellement. Derrière leur vernis altruiste et pragmatique se cache une volonté réelle de résoudre la crise climatique tout en perpétuant l’ordre économique dominant – ordre que de nombreux observateurs tiennent pour responsable de l’aggravation de la crise climatique.