Je ne suis pas très emballé par l’élection présidentielle en France, parce que ça m’a tout l’air chiqué. Cette manière de faire un boulevard à Macron, en abattant tous les arbres et les futaies qui lui barrent la route, au besoin en diabolisant ses concurrents de droite ou en piégeant ceux de gauche, me paraît ne pas faire honneur à la sainte démocratie, même si le machiavélisme a toujours fait bon ménage avec la démocratie réelle et que quoiqu’on dise, la politique toujours et partout — dans les démocraties bananières comme dans les dites civilisées — finit par être politicienne.
Mais huître, on a beau s’enfermer dans sa coquille, ermite, on a beau être en son ermitage, à un moment donné ou à un autre les éclats de la réalité finissent par vous atteindre, comme une balle perdue. Ça a été mon cas aujourd’hui. Alors que très tôt ce matin je faisais mon jogging dans les environs du Trocadéro, je fus hélé par un distributeur de prospectus. Dans ce quartier huppé à quelques encablures des Champs Elysées, fréquenté par la bourgeoisie parisienne, j’étais sûr que le jeune démarcheur politique roulait pour le candidat de droite. Aussi, en manière de provocation, lorsque ralentissant ma foulée, je m’approchai de lui pour répondre à sa sollicitation, au moment où il me tendait le prospectus, je criai « Vivement Macron !»
Car selon les rumeurs parvenues jusque dans ma coquille d’huître, Macron avait de fortes chances d’émerger au second tour face au Lepen en Jupon de l’extrême droite, tandis que Fillon, lesté par les plombs du Pénelopegate coulerait en eau médiatique profonde.
« Raté, me dit le vendeur d’illusion politique, Vive Mélenchon ! » Me voilà pris, moi qui croyais prendre. Toute honte bue, je pris le prospectus de la main du jeune homme et continuai mon jogging. Je me gardai toutefois de jeter le papier dans la première poubelle écologique venue. Je ne suis pas mélenchonniste pour un sou, même si j’ai grand respect pour les utopistes. Je voulais voir ce qui lui valait selon les sondages non seulement de torpiller le candidat officiel du parti socialiste, mais aussi de menacer celui de la droite.
Mélenchon, à force de crier dans le désert a fini par le remplir de bric et de broc. Non seulement de sa gouaille, ses exercices de jactance, son éloquence cuisinée et ses envolées lyriques de potasseur de fiches de lecture philosophique, mais aussi par des milliers de sympathisants qui rêvent encore d’une gauche du 18ème siècle alors qu’ils sont au 21ème siècle. Tous ces gens qui veulent le beurre et l’argent du beurre, et à qui l’incurie de la classe politique donnent illusoirement raison.
A la fin de mon jogging, assis dans un coin du Café de l’Homme, place de Trocadéro où j’ai mes habitudes, et en attendant l’arrivée de mon éditrice avec laquelle j’avais un rendez-vous, je pris le temps de parcourir le prospectus. Le slogan phare était « La Force du Peuple », et le symbole visuel, la lettre φ, comme philosophie, incarnait un supplément d’esprit. Car dans le vide d’idées ambiant, Mélenchon campe volontiers le personnage, très 18ème siècle, du politicien-philosophe ; lettre φ, dont un détournement typographique permet aussi de suggérer de façon fantaisiste le P du mot peuple, le mot fort du discours de ce candidat.
Ce n’est certes pas ici le lieu de décliner les propositions et les idées de Mélenchon, car comme je l’ai dit, les élections présidentielles françaises, ce n’est pas ma tasse de thé, même si, vivant dans le pays, je souhaite que tout se passe dans le calme et l’ordre.
Mais de toutes les idées de Mélenchon contenues dans le prospectus, une força mon attention, et je ne résiste pas au désir de la partager. Pas seulement de la partager, mais de l’investir dans le contexte politique béninois actuel.
Voici ce que Mélenchon propose au chapitre de la constitution française.
« Convoquons une assemblée constituante pour inventer la 6ème République et en finir avec la monarchie présidentielle et les privilèges de la caste. Aucun député ou sénateur actuel ou passé ne pourra y participer. Donnons de nouveaux droits aux citoyens pour pouvoir révoquer un élu menteur ou voleur en cours de mandat. »
Proposition intéressante et passionnante par sa densité et sa richesse thématique. En quelques lignes beaucoup de choses sont embrassées, qui pourraient chambouler la vie et le visage politiques actuels de la France. On croirait lire le cahier de doléances des Etats généraux de 1789 à Versailles. Cette proposition à elle seule pourrait donner lieu à un fleuve de commentaires à la mesure de sa richesse. Mais là n’est pas mon but. Laissant délibérément de côté les commentaires de texte, et la dissertation fleuve, je voudrais seulement souligner l’importance de la première phrase de cette doléance pour notre bonne gouverne au Bénin. Voici ce qu’elle dit, je cite : « Convoquons une assemblée constituante pour inventer la 6ème République et en finir avec la monarchie présidentielle et les privilèges de la caste. » Eh oui, convoquer une assemblée constituante lorsqu’on veut toucher à la constitution. Or donc, l’homme qui propose cela pourrait être le président de la France demain. Et voilà la méthode qu’il préconise, parce qu’il aime son pays et respecte son peuple ; parce qu’il est sincère et ne conçoit pas de la politique un moyen pour atteindre des buts personnels. Or au Bénin, Talon veut toucher à la constitution. Peu importe que cela induise ou non une n+1ème république. Il est conforme à la morale politique, à la bienséance et à la vérité historique qu’une assemblée constituante soit convoquée. Or Talon n’a pas cru devoir passer par cette voie, en dépit des nombreux appels dans ce sens depuis 2016, bien avant son élection. Tout ce qu’il a convoqué, c’est une commission dont les membres scandaleusement rétribués étaient censés jouer les missionnaires de sa cause personnelle, les hérauts et légitimateurs de ses idées en la matière. Et pire encore, loin de cette idée saine de la convocation d’une constituante, voilà que Talon demande un examen en urgence de sa loi de révision par les députés et, selon les indiscrétions émanant de personnalités autorisées à l’Assemblée, après avoir pris le soin d’acheter leur conscience et leurs votes à coups de milliards !
Talon qui n’a pas dédaigné aller en France souvent en voyages plus ou moins officiels — n’est-ce pas là-bas qu’il a dénigré le Bénin qualifié par lui de désert de compétence pour plaire au maître français ? ; lui qui n’est jamais heureux que lorsqu’il a parlé, comme on le voit ces temps-ci, sur des media français, ces organes de la propagande néocoloniale française, dont la mission principale est de laver le cerveau des nègres — que ne prend-il chez les Blancs ce qu’ils ont de meilleur ? Cette idée de Mélenchon en ce qui concerne la révision de la constitution fait partie de ce meilleur dont Talon aurait pu s’inspirer.
On nous dira que Mélenchon est de l’extrême gauche et que ses idées ne sont pas des idées de gouvernement, mais de l’utopie d’un héros de l’opposition. Soit, j’en conviens. Mais on ne saurait identifier les sensibilités par extrapolation en passant de l’Occident en Afrique. En clair, ce qui est extrême gauche en France, si nous voulons honnêtement servir notre peuple et sortir de la misère historique dans laquelle nous ont plongés notre incurie et la violence de ces mêmes Occidentaux à notre égard, ce qui est extrême-gauche en France disons-nous est au mieux le centre droit en Afrique. Donc si en France les idées de Mélenchon sont des idées de rêve d’un homme qui ne franchirait pas le seuil du gouvernement, eh bien en Afrique et plus particulièrement au Bénin, ces idées, il faut le souhaiter ardemment, sont des idées de gouvernement !
Et Talon doit avoir doublement honte. Honte que cette leçon qui est à sa portée n’eût pas été spontanément anticipée par lui pour autant qu’il ait l’amour du pays chevillé au cœur, comme il le proclame. Mais aussi, il devrait aussi avoir honte de manipuler les consciences, en jouant sur la fibre nationaliste pour se faire élire, alors qu’il méprise le peuple et tient ses attentes ou volontés comme une menace à ses propres intérêts. A quoi bon avoir joué les Béhanzin modernes qui barrent la route au nouveau Dodds que campait soi-disant Zinsou, véhicule de la Françafrique, si c’est pour ensuite montrer sa vraie nature d’ennemi du peuple ?
Si Mélenchon, est « la Force du Peuple » français, Talon a tout l’air d’être la « Farce du Peuple Béninois »
Ahandessi Berlioz