
Dans un article publié par le journal béninois Matin Libre intitulé « Projet Pipeline Export Niger-Bénin: Buhari Veut Briser Le Rêve Béninois » le journaliste fait état de la crainte de voir le Nigeria torpiller le rêve béninois d’être l’aboutissement portuaire de l’exportation du pétrole nigérien. Cette inquiétude émane d’une communication de M. Buhari publiée sur les réseaux sociaux où le président nigérian exprime sa volonté d’offrir au Niger des conditions préférentielles pour l’acheminement de ses exportations pétrolières vers le monde. Le discours de Monsieur Buhari est étayé par une offre concrète et une critique idéologique pour le moins douteuse voire frauduleuse.
Avant d’exposer ces deux moyens mis en jeu par le Président Buhari, dans sa volonté de frustrer son petit voisin d’une opportunité de développement inédite dans son histoire économique, signalons que le choix initial du Bénin par le Niger ne tombe pas du ciel. Il est le fruit d’une longue coopération fraternelle entre le Bénin et le Niger par laquelle ce dernier pays frère enclavé, a toujours bénéficié du couloir portuaire béninois. L’OCBN, l’Organisation Commune Bénin-Niger est un des témoins de cette volonté de coopération entre les deux pays frères, qui ont en commun l’usage de la langue française en raison de leur histoire commune de colonie française de l’Afrique de l’Ouest. A ce titre, ils sont membres de l’UEMOA et ont en commun l’usage de la même monnaie, le CFA pour le meilleur et pour le pire.
Or voilà que Monsieur Buhari s’en vient avec sa volonté de mettre le doigt entre l’arbre et l’écorce sous prétexte que le Nigeria peut faire une offre plus attractive, et surtout que l’acacia Bénin-Niger ne serait rien à côté du baobab Nigeria-Niger.
Pour l’offre matérielle, il s’agit du projet de construction d’un chemin de fer, d’une valeur de 1,9 milliard de dollars, qui reliera la ville de Kano au Nigeria à celle de Maradi au Niger. Avec cette infrastructure estime Monsieur Buhari, le Niger n’a plus de raison de faire transiter ses exportations pétrolières ou autres par le Bénin : le Nigeria y pourvoira avec efficacité et commodité.
L’autre moyen mis en jeu par M. Buhari dans sa volonté de priver le Bénin de l’opportunité légitime de développement que lui offre ce projet de pipeline est l’argument ethnique. Cet argument a été avancé avec ruse. Pour lors, Buhari se pose en panafricaniste pourfendeur de la conférence de Berlin et ses conséquences aberrantes sur la morphologie des états africains actuels. Il charge les Blancs, ici représenté par un Français à qui il aurait parlé et qui raconterait des bêtises. Il révèle qu’il a des cousins germains au Niger qui sont, comme les gens de sa région d’appartenance au Nigeria, des Kanouris, des Hausa et des Peuls. Raisonnement tribaliste indigne du président d’un grand pays africain qui devrait en principe servir de modèle à l’unité sur le contient. Mais malheureusement, en vieux bigot aveuglé par sa religion et sa tribu, et suivant en cela les préceptes de son ancêtre Ousman Dan Fodio¹ qui tient les ethnies du Sud pour des esclaves à envahir et soumettre, Buhari est tout le contraire d’un panafricaniste. Dans un raisonnement métonymique pour le moins frauduleux, il distribue les identités ethniques à sa guise à chaque pays. Selon lui, le Niger est assimilé aux ethnies hausa, peul et kanuri comme le Nigeria qu’il représente, tandis que le Bénin est assimilé aux Yoruba. En conclusion, ils est tout naturel que ce soit du côté de leur frère peuls, kanouri ou hausa que les Nigériens fassent transiter leurs exportations. Aveuglé par son tribalisme Monsieur Buhari ne voit pas que le Bénin, qui est un pays frère et limitrophe du Niger aussi bien que du Nigeria, a aussi des Peuls, des Hausa et des Kanuri comme nationaux. Il attribue l’apanage exclusif de ces ethnies au Nigeria tandis qu’il identifie le Bénin aux Yoruba. Ce racisme de bas étage n’est pas étonnant de la part d’un Président qui, en bientôt huit ans de pouvoir, a nommé 99% des cadres des agences de sécurité du Nigeria – pour ne citer que ce domaine sensible à l’échelle nationale régi par une loi nigériane dite du caractère fédéral – dans son seul état d’origine et dans sa religion ! Le tribalisme de M Buhari est une honteuse maladie, qu’il cache ici derrière le masque d’un pseudo-panafricaniste.
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C’est cette représentation tribaliste qui explique en grande partie la fermeture des frontières avec les états voisins dont le Bénin était la cible privilégiée parce que assimilé aux Yoruba et dont les intérêts en tant que tels ne sont pas en phase avec ceux du Nigeria, comme l’auraient été ceux du Niger assimilé aux Kanuri, Hausa et Peuls. La même représentation étriquée et tribaliste rend raison des difficultés dans lesquelles se trouvent la réalisation de la monnaie commune africaine — l’ECO canal historique. En effet, Monsieur Buhari n’est pas un chaud partisan de la mise en œuvre des directives sur la création de cette monnaie perçue comme susceptible de saigner l’économie nigériane au profit de pays qui le méritent d’autant moins qu’ils sont perçus comme « côtiers », « chrétiens » et non peuplés de Kanuri, d’Hausa ou de Peuls. Les Français qui connaissent la psychologie de nos dirigeants, leurs vices et leur sensibilité, ont compris quel parti ils pouvaient tirer de la réserve de Buhari sur la question de l’ECO ; raison pour laquelle, ils n’ont pas hésité à faire main basse sur le projet de la CEDEAO, persuadés que le Nigeria sous la direction du plus tribaliste de ses présidents, ne lèverait pas le petit doigt pour protester contre leur intrusion et leur accaparement néocolonial du projet monétaire ouest-africain.
Mais bien que les travaux du pipeline eussent démarré au Bénin et que les contrats entre états fussent signés, la crainte du Journal Matin Libre n’est pas dénuée de fondement. Le Nigeria dispose de suffisamment de millions de dollars pour corrompre tout ce beau monde qui au Bénin place son ventre avant son patriotisme. On a vu quelque chose de semblable avec l’exploitation du pétrole au Bénin. La manière météorique avec laquelle la question du pétrole béninois a fait trois petits tours puis a disparu de la circulation et même du discours socioéconomique national, alors que dans le même temps presque tous les états de notre côte du golfe du Bénin découvrent et exploitent du pétrole, eh bien cette manière plutôt mystérieuse a quelque chose de troublant au bas mot. Selon toute vraisemblance, il n’était pas souhaitable pour le Nigeria que son petit voisin soit aussi un pays pétrolier ; on préfère le spécialiser dans le rôle d’appendice agricole et le fayawor, pendant ce temps, qui sait le pétrole béninois transite par des voies off-shore ni vu ni connu. Thèse complotiste ? Peut-être mais – et c’est le cas de le dire – il y a anguille sous roche, et le discours tribaliste de M. Buhari vient illustrer cette réalité.
La balle est dans le camp de nos dirigeants : vont-ils défendre becs et ongles et en toute transparence nos intérêts ou au contraire vont-ils les vendre pour quelques poignées de millions à l’appétit léonin du grand frère Nigeria qui n’a pas honte d’enlever la nourriture de la bouche d’un bébé ?
¹« La nouvelle nation appelée Nigeria devrait être le domaine réservé de notre aïeul Ousmane Dan Fodio. Nous devons implacablement empêcher tout changement de pouvoir. Nous utiliserons les minorités du nord comme des instruments dociles et le Sud comme un territoire conquis, que nous ne laisserons jamais nous dominer, et auquel nous ne permettrons jamais de contrôler son avenir. » Dixit Sir Ahmadu Bello- In « The Parrot », 12 Octobre 1960.
Aminou Balogun
