Buhari et les Fermetures de Frontière du Nigeria : Une Vieille Histoire

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La fermeture de frontière par le Nigeria n’est pas chose nouvelle. Elle a marqué l’histoire des relations du Bénin avec son géant voisin. Cette fermeture est la plupart du temps décidée unilatéralement du côté nigérian et prend souvent un caractère paternaliste et répressif. Tous les Présidents nigérians ou presque depuis 1960 s’y sont essayé, chacun avec son tempérament ou sa sensibilité.

Mais parmi eux tous, le Président Buhari à marqué l’histoire car il est le Président qui aura fermé la frontière  le plus longtemps. Depuis son retour au pouvoir en 2015, le sujet de la fermeture des frontières est au cœur de ses préoccupations, sans doute tempéré par la bonhomie de Yayi Boni, qui sait faire l’âne pour avoir le foin. Mais depuis 2016, avec l’arrivée de Patrice Talon, la question est revenue sur le tapis plus d’une fois, avec des mesures de restriction frappant des produits dont l’importation frauduleuse, à en croire le gouvernement nigérian, sape ses efforts de redressement économique. Il s’agit de produits comme le riz, les voitures d’occasion, etc… Mais la sensibilité de Monsieur Buhari à la porosité de la frontière du Nigeria avec le Bénin ne date pas d’hier.

En 1984, sous prétexte de récession, le Général Muhammadu Buhari, alors Président militaire du Nigeria, a fermé les frontières soi-disant pour enrayer la contrebande ; il a mis en place une zone de protection nationale qui devrait être dépourvue de tout approvisionnement en produits prohibés à l’importation et à l’exportation.

Ainsi, à l’époque, pour faire peur aux commerçants, M. Buhari a fait détruire tous les marchés frontaliers ; l’espace ainsi libéré a été occupé par d’importants contingents militaires qui pouvaient tirer à vue sur tout contrebandier transportant des produits prohibés à l’intérieur de cette zone dite « border zone ». L’opération a duré deux ans, et la réouverture de la frontière n’interviendra qu’en  1986 après le coup d’Etat salvateur  ( pour le Bénin) du général Babanguida.

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Trente cinq ans plus tard, le Président démocratiquement élu Muhammadu Buhari, revient à la charge. Depuis plusieurs jours les frontières du Nigeria et du Bénin sont fermées.  Officiellement, sa communication justifie cette fermeture par les « activités massives de contrebande, notamment de riz, se déroulant dans ce corridor. »

Le dirigeant nigérian a donné cette raison lors d’une audience accordée à son homologue béninois, Patrice Talon, en marge de la Septième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD7), à Yokohama, au Japon, mercredi.

Le président nigérian a déclaré que la fermeture limitée de la frontière occidentale du pays était destinée à permettre aux forces de sécurité nigérianes d’élaborer une stratégie visant à enrayer la dangereuse tendance des activités massives de contrebande et ses ramifications plus larges.

Répondant aux préoccupations exprimées par le président Talon au sujet de l’ampleur des souffrances causées par la fermeture, le président Buhari a déclaré qu’il en avait pris bonne note et qu’il reconsidérerait la réouverture dans un avenir pas trop éloigné.

Il a toutefois révélé qu’une réunion avec ses homologues du Bénin et du Niger serait bientôt convoquée pour « définir des mesures strictes et complètes visant à réduire le niveau de la contrebande à travers leurs frontières. »

L’association du Niger dans cette discussion sur les frontières pourrait n’être qu’une poudre aux yeux, subtile opération de façade destinée à atténuer les susceptibilités de la partie béninoise, peinée que, de tous les pays frontaliers du Nigeria — Niger, Tchad, Cameroun, Bénin —  ce soit le Bénin seul qui soit montré du doigt dans les nuisances de la contrebande frontalière. En effet, dans la perception hautement biaisée du vieux bigot qui dirige le Nigeria, le Bénin est le seul pays considéré comme non-sahélien extérieur au cercle sacré des pays à forte composante musulmane. Cette stigmatisation peut  bien avoir été déterminante dans le mauvais traitement que lui inflige son géant voisin, qui semble l’avoir élu comme bouc émissaire de ses difficultés économiques.

Cette attitude n’est pas isolée chez M. Buhari et n’a rien à voir avec le fait qu’il soit un président arrivé au pouvoir par les armes ou démocratiquement élu. On l’a vu à l’oeuvre avec la discrimination qui marque ce qu’il appelle sa lutte contre la corruption ou le terrorisme ; comment ses amis politiques ou coreligionnaires sont épargnés pendant que ceux de l’opposition, la plupart du Sud ou des chrétiens, sont pourchassés sans merci. On a vu aussi comment il maltraite les activistes Ibo de l’IPOB allant jusqu’à faire étiqueter ce groupe de militants pacifistes de terroriste alors que les bergers peuls qui massacrent à tour de bras les Nigérians sédentaires ou chrétiens sous la houlette d’une organisation, le Miyetti Allah qui a pion sur rue, ont droit de cité et agissent depuis des années en toute impunité.

Comme on le voit, ce petit rappel historique montre que, hier comme aujourd’hui, Buhari s’acharne sur la frontière entre le Bénin et le Nigeria. Il le fait en fonction d’une sensibilité ou d’une absence de sensibilité qui lui est propre, que ne partage pas forcément ses alliés Yoruba avec lesquels il gouverne aujourd’hui, et dont le silence coupable frise l’indignité. En tout état de cause, cette récurrence de l’acharnement de Buhari contre les frontières, et d’une manière générale, la compulsion du Nigeria – tout président confondu — à fermer les frontières entre nos deux pays pour un oui ou  pour un non,  est révélatrice de l’incapacité des dirigeants béninois d’hier et d’aujourd’hui à promouvoir une politique économique responsable basée sur une agriculture moderne, source d’une industrie moderne transitant par les petites et moyennes industries. Telle est la leçon positive que nous pouvons tirer de cet épisode de la fermeture par M. Buhari des frontières entre le Nigeria et le Bénin, qui ne date pas d’hier.

Adekoya Badero

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