Compagnons de Rupture, derniers amis fidèles, vous savez dans quelles circonstances, lorsque, après avoir éliminé un à un les ennemis potentiels de mes affaires personnelles, j’ai décidé de m’en prendre aux partis politiques.
Nous avions alors la certitude de conduire notre projet à la victoire. Quand mes soutiens se levèrent par milliers pour faire de moi le maître absolu du pays, j’ai reconnu avec fierté la même bravoure que manifestaient ceux de Pinochet, de Mobutu, et d’Idi Amin Dada dans leurs pays et leurs temps respectifs.
Malgré la hardiesse de mon projet, notre ruse et notre rage légendaires, nos klébés furent décimés après trois ans de lutte. Nos deux partis siamois n’ont pu faire le poids face à la volonté du peuple dont nous louons la détermination dans ces dernières élections. Et déjà ma voix éplorée n’éveille plus d’écho.
Où sont maintenant les avocats de la ruse et de la rage, agrégés en malices ?
Où est le devin bonimenteur Tofâ qui prophétisait le ras-de-marée des klébés?
Où, la déesse de Gbanamè qui n’avait pas de mots assez fielleux contre nos ennemis, les Soglo, les Yayi, les Ajavon ?
Qui rendra raison de leur silence de mort ? Quel oiseau de malheur annoncera la triste nouvelle de leur revirement ?
Puisqu’ils ont scellé par leur silence le pacte de la suprême infidélité, comment les attendrais-je pour rédiger ma lettre de démission ?
Comment oserais-je me présenter devant vous, braves klébés, si je perdais le pouvoir de vous nourrir de mes mains ?
Non ! A mon destin je ne tournerai plus le dos. Je ferai face et je marcherai. Car la plus belle victoire ne se remporte pas avec des chars et des grenades lacrymogènes lancés contre un peuple aux mains nues. Est vraiment victorieux, l’homme resté seul et qui continue de lutter dans son cœur. Je ne veux pas qu’à l’entrée de Kigali, mon ami Kagame trouve des souillures à mes pieds. Quand je vous reverrai, je veux que mon ventre s’ouvre à la joie. Maintenant advienne de moi ce qui plaira au peuple ! Qui suis-je pour que ma disparition soit une lacune sur la terre ?
Partez vous aussi, derniers klébés fidèles. Rejoignez l’Assemblée où son Président Me Adrien Houngbédji qui n’a jamais pu être élu Président à cause de mes intrigues va provisoirement profiter de l’occasion pour se faire couronner. Avec ses rondeurs de vieux filous, il vous promet le retour de la Démocratie des comparses et des compères. Là-bas, il paraît que les nouvelles lois vous seront aussi favorables que la pluie qui drape les flamboyants de velours rouge ou le soleil qui dore la barbe soyeuse des épis.
Compagnons disparus, héros inconnus d’une tragique épopée, voici l’offrande du souvenir : un peu de coton, un peu de port et du jus d’anacarde. Voici le pacte renouvelé avant le grand départ pour Kigali.
Adieu, klébés, adieu !…
Pastiche du célèbre discours d’adieu de Béhanzin, de Jean Pliya
Aminou Balogun