Les élections approchent au Nigeria, et tout dans le langage gestuel de Buhari indique qu’il va se présenter pour un second mandat. Est-ce dans l’intérêt personnel de l’octogénaire contrarié et égrotant qu’il est ou dans celui de ses manipulateurs de l’ombre ? La question mérite d’être posée, même si en Afrique, en dehors de Nelson Mandela, on n’a pas vu beaucoup de Présidents qui ont montré qu’ils savaient, en matière de durée au pouvoir, jusqu’où ne pas aller trop loin.
Quoi qu’il en soit, la situation du Président nigérian est délicate. Le bilan de son action à la tête du pays, qu’il soit fait par les hérauts de son camp ou par ses opposants reste contrasté. Jugé à l’aune des promesses électorales censées changer le Nigeria plombé par la gouvernance corrompue et inepte de Jonathan, et en faire un pays de justice, de prospérité partagée, de fraternité et de sécurité pour tous, ce bilan « kuɖiè̩kààto̩ » comme le disent les Yoruba pour dire que quelque chose laisse à désirer.
Sur le plan social, de l’emploi et du pouvoir d’achat, il n’y a pas eu de miracle, et la vie des Nigérians est allée de plus en plus chère depuis l’accession de Buhari au pouvoir. Il y a eu la récession dont la responsabilité première a été généreusement filée à son prédécesseur. Et la sortie de cette récession reste plus incantatoire que réelle, dans la mesure où elle n’a pas eu d’effet d’adoucissement spectaculaire ni sur l’économie du pays ni sur la vie des gens. Comme et peut-être même plus que sous le régime précédent, une grande partie des Nigérians a du mal à joindre les deux bouts.
Sur le plan de la sécurité, hormis le chapitre du terrorisme de Boko haram (et la précision ici n’est pas superfétatoire car il y a toute une variété plus ou moins reconnue de terrorismes dans le pays)le Nigeria est resté égal à lui-même, comme un pays où les conséquences de l’inégalité sociale devant l’économie et l’éducation se traduisent mécaniquement en violences plus ou moins endémiques, plus ou moins anomiques. Les vols à mains armées, les accidents de la circulation dus au mauvais état des routes, les enlèvements, les violences et agressions de toutes sortes, les meurtres rituels, les trafics d’organes humains, bref tous ces signes d’une société déréglée traduisent le désœuvrement massif de la jeunesse et de la population livrées à elles-mêmes et à la culture de la débrouille.
Aussi bien que l’action militaire entreprise contre lui, l’émergence du groupe Boko haram porte en germe les raisons de sa perte de puissance.
Pour ce qui est du grand chapitre de la violence perpétrée par le groupe terroriste Boko haram, il met en relief la délicatesse de la posture politique de Buhari, à un an de la fin de son mandat. A première vue, il va de soi que le groupe terroriste a perdu de sa force de nuisance. Et au moins, en raison du fait que ce recul a lieu durant son règne, c’est en toute logique qu’il est mis à l’actif de l’action de Buhari. Mais en réalité, rien n’est moins sujet à caution. Aussi bien que l’action militaire entreprise énergiquement contre lui, l’émergence du groupe Boko haram porte en germe les raisons de sa perte de puissance conjoncturelle. En effet, le groupe Boko haram est né avec le Renouveau démocratique nigérian en 1999. Jusque-là c’était le Nord musulman qui détenait le pouvoir, bien que cette région ne fût pas démographiquement majoritaire, surtout si l’on n’est pas dupe du phagocytage implicite du Centre, qui traduit sa bonne volonté territoriale.
Mais avec la Démocratie, est venue l’alternance régionale au pouvoir, qui allait mettre à mal le monopole présidentiel du Nord, dans une fédération qui reste fortement centralisée. Des chrétiens du sud comme Obasanjo et Goodluck Jonathan font leur apparition à la tête du pays. Et c’est à cette alternance qu’il faut relier l’émergence du groupe terroriste Boko haram et sa virulence qui est allée croissante au fur et à mesure que le pouvoir présidentiel passait des mains d’une ethnie du Sud-centre, connotée chrétienne et musulmane à la fois, aux mains d’ethnies du Sud-sud et du Sud-est, connotées purement chrétiennes. Cette origine politique et les raisons ethno-religieuses associées caractérisent la genèse du groupe terroriste Boko haram ainsi que l’adhésion massive à ses rangs de la jeunesse désœuvrée du Nord musulman. Le programme de Boko haram s’inscrit de fait dans une aspiration politique généralement partagée par les partis et les hommes politique du Nord. Les soutiens et les promoteurs de Boko haram se recrutent parmi ces mêmes hommes politiques qui, officiellement prétendent s’en distancer sinon les combattre À un débordement incontrôlable et une radicalisation inattendue près, le groupe Boko haram s’insère dans une représentation régionaliste conquérante de la vie politique marquée par une volonté hégémoniste du Nord musulman qui reste aussi vivace que collectivement intériorisée
C’est pour cela qu’il y a de fait une synergie implicite et objective entre le groupe Boko haram et les bergers peulhs massacreurs disséminés un peu partout dans le pays et dont les exactions, si elles sont concentrées dans le centre du pays, n’épargnent pas pour autant les Etats du Sud. Le terrorisme des bergers peuls qui souscrit à la même idéologie hégémoniste conquérante a ceci de particulier qu’il apparaît comme borgne là où Boko haram frappe de manière aveugle. Porté par le discours de l’espace vital et la référence à la guerre religieuse contre tout ce qui n’est pas Peul/Hausa, ce terrorisme borgne a l’excuse d’une cause socioéconomique réelle, qui est le conflit autour de l’usage des espaces de pâturage. Etant de par leur condition professionnelle de nomades, en situation d’étrangers territoriaux, les bergers peulhs ont conçu la violence barbare – meurtres et viols – comme un moyen de terroriser les sédentaires aux dépens desquels ils satisfont leurs besoins pressants, dans la barbarie et le mépris des règles élémentaires d’un Etat de droit. Ces mœurs d’un autre temps qui sont contraires à toute idée d’humanité et de civilisation devraient susciter de la part de tout Etat de droit une réaction de répression sans faille ni faiblesse. Cette action répressive est nécessaire d’une part au nom de l’Etat détenteur du monopole de la violence légitime et d’autre part pour la sécurité des personnes et des biens dont il est le garant.
Or, la particularité du cas nigérian est que, depuis au moins l’arrivée de Buhari à la tête du pays, les bergers peulhs sont considérés comme des intouchables. Leurs crimes monstrueux, nombreux et récurrents restent impunis, et cette impunité est quasi institutionnelle. Elle s’abrite sous l’alibi politique de la paix dans une nation multiethnique et séparée entre musulmans et chrétiens, pour ce qui est des deux grandes religions du Livre qui se partagent les âmes des Nigérians. Sous les présidents Obasanjo et Jonathan, les forces de sécurité et la Justice prévenaient, désamorçaient et limitaient les incidents et les massacres et, lorsqu’ils se produisaient, leurs réactions qui s’abîmaient dans des gesticulations sans suite, avaient au moins le mérite d’exister et de sauver les apparences de l’Etat de droit. Il est vrai qu’alors, les incidents meurtriers étaient plus proches du crime passionnel que d’une volonté planifiée de tuer ; ils relevaient d’une culture de violence inhérente aux mœurs et aux conditions de vie des bergers nomades. Mais, au milieu de la présidence de Jonathan, les exactions des bergers peulhs étaient devenues plus fréquentes, plus ciblées et plus meurtrières. Elles ne faisaient pas mystère de leur inspiration politique et religieuse. Entre Boko haram et les bergers peulhs, il y avait de fait une division du travail terroriste à la même fin de déstabilisation du pouvoir central, de défi de l’ordre démocratique. La différence entre Boko haram et les bergers peulhs est que les premiers étaient localisés dans le Nord-est d’où ils menaçaient de conquérir ou d’envahir tout le pays, tandis que les bergers peulhs avaient l’avantage de l’ubiquité territoriale qui leur permettait de semer la zizanie sur toute l’étendue du territoire où ils jouissaient d’une libre circulation en tant que citoyens Nigérians.
C’est pour cela que Buhari a choisi de sacrifier son devoir de président de la République et de chef de la nation sur l’autel hautement politique de l’ethnie.
Avec l’arrivée au pouvoir de Buhari, le rapport entre ces deux variétés du terrorisme du Nord musulman a évolué. Tandis qu’en raison de la menace politique directe qu’il constituait et de ses répercussions internationales, Boko haram a suscité une volonté de répression à la mesure du danger qu’il représentait, les bergers peuls eux, confinés au domaine national, enhardis par l’arrivée au pouvoir d’un congénère peulh, sont montés en puissance. Ils ont renforcé leur organisation politique et stratégique sur le territoire national, chapeautés par un groupement à caractère traditionnel et religieux – Allah Miyetti – ils sont devenus plus opérationnels, plus meurtriers et plus ubiquistes sur le territoire nigérian.
Ainsi, alors que Boko haram était combattu avec plus de détermination et d’organisation par le nouveau pouvoir, les bergers peulhs ont vu leur impunité grandir au point de faire figure aujourd’hui de véritables intouchables à la fois politiques et judiciaires. Cette impunité n’a fait que mettre du carburant dans le moteur infernal de leur barbarie qui a pris de la vitesse. Les tueries sont plus régulières et plus ciblées, et surtout plus meurtrières. Et, à chaque fois, pas un seul coupable n’est désigné, encore moins poursuivi. Cette inaction délibérée du gouvernement, qui ressemble à s’y méprendre à un permis de massacrer, traduit un refus de la part de Buhari de contrarier le cœur idéologique de sa base électorale, essentiellement ethnique et religieux. Il y a certainement dans le silence et l’inaction de Buhari à l’égard des massacres commis sur des populations innocentes par les bergers peulhs, une part ethnique de communion idéologique et éthique avec les siens. Mais la part politique est la plus forte. Dans une Afrique où lorsqu’un homme vient au pouvoir, c’est toute son ethnie ou sa région qui se considère comme au pouvoir, il est difficile à Buhari d’aller à l’encontre de la volonté des siens sans perdre l’équilibre politique. C’est pour cela que, d’une manière qui reste typique en Afrique, il a choisi de sacrifier son devoir de président de la République et de chef de la nation sur l’autel hautement politique de l’ethnie arrosé du sang de centaines d’innocents.
Dans le même temps Buhari met un point d’honneur à combattre Boko haram. Ne croyant pas à la conquête promise par ce groupe terroriste, ou plus exactement y ayant renoncé tactiquement – car, il fut bien un temps où le vieux bigot était désigné par la secte comme son seul intermédiaire valable et crédible avec l’Etat nigérian – Buhari a d’autant plus jeté son dévolu sur la répression de Boko haram qu’il ne fait rien contre les bergers peuls dont les massacres réguliers, confinés dans la sphère nationale, sont considérés comme un phénomène d’essence sociale et non politique.
Sous Jonathan, Boko haram était tout puissant et le terrorisme pastoral faible, moins organisé et moins meurtrier. Avec Buhari, le rapport s’inverse.
Mais la perte de puissance effective du groupe Boko haram ne doit pas être mise au seul crédit de la volonté de Buhari de la réduire. La raison sociologique et politique explique aussi le reflux manifeste de Boko haram ces trois dernières années. Il y a comme un jeu de vase communicant entre les activités meurtrières des deux entités terroristes qui porte la marque de l’intolérance conquérante du Nord musulman. Sous Jonathan, Boko haram était tout puissant et le terrorisme pastoral faible, moins organisé et moins meurtrier. Avec Buhari, le rapport s’inverse : la réduction de la puissance de nuisance de la secte islamiste va de pair avec l’intensification des raids des bergers peuls, l’ubiquité territoriale de leurs exactions, et surtout l’ampleur des attaques et le nombre de victimes.
En vérité, ce mouvement de vase communicant est déterminé par une seule et même cause : l’arrivée au pouvoir de Buhari. En effet, comme évoqué plus haut, la raison première de la prise d’arme par les combattants de Boko haram est l’inquiétude ressentie suite au coup d’arrêt porté par le Renouveau démocratique nigérian à la domination politique du Nord, qui, par une succession de coups d’Etat, a vu, trente ans durant, le Nigeria dirigé par des dictateurs militaires issus de son sein.
C’est le même refus de voir un sudiste prendre la tête du pays dans le cadre d’élections pourtant libres et démocratiques qui a coûté la vie à MKO Abiola en 1998. Si bien que lorsque Obasanjo y parvient en 1999 après un parcours du combattant hautement périlleux, c’est un peu au prix du sang de son illustre congénère. Et l’Etat de grâce dont il jouit, tout au moins à son début, de la part de l’élite politique du Nord, était une manière de respect à l’esprit du défunt, et par crainte de trahir un flagrant délit d’acharnement ethnique sur fond d’intolérance régionaliste. Car, après l’assassinat de MKO Abiola, s’opposer d’entrée frontalement à l’accession au pouvoir d’un autre Yoruba trahirait l’intolérance régionaliste des acteurs politiques du Nord et leur allergie à la culture démocratique. Mais très vite, cette allergie allait apparaître au grand jour. La première réaction au fait que le Nigeria n’était plus dirigé par des militaires originaires du Nord musulman comme ce fut le cas durant les trois décennies précédentes a été, dans les Etats du Nord, l’instauration de la charia en défiance ouverte à la constitution du pays. Ce geste anticonstitutionnel de la part des acteurs politiques du Nord était conçu comme une provocation du pouvoir central. Il traduisait le ras le bol de la rationalité constitutionnelle – une logique qui n’était pas inspirée du Coran et qui générait chez eux une aliénation politique et culturelle insupportable. Mais, mis devant le fait accompli, le Président Obasanjo évita avec intelligence de tomber dans le piège de la provocation et ne chercha pas à aller à la confrontation. Ce choix consacra l’hémiplégie constitutionnelle du pays, tout au moins dans ses aspects philosophiques, juridiques et éthiques.
Ce n’est pas par hasard que la violence et la barbarie de Boko haram atteignirent leur apogée sous la présidence de Jonathan.
Le conflit frontal évité, la frustration du Nord d’être dirigé par des sudistes chrétiens se mua en un combat de l’ombre. C’est sur le champ de cette bataille que naquit Boko haram dont l’essence idéologique est enracinée dans le refus de la Démocratie en tant qu’elle permet à des musulmans du Nord d’être dirigé par des chrétiens du sud. Une aliénation idéologiquement insupportable et pour l’éradication de laquelle aucune violence ne sera assez inhumaine ni barbare.
Et la barbarie de Boko haram est allée croissante, au fur et à mesure que le pouvoir passait d’une main chrétienne du Sud à d’autres mains encore plus chrétiennes et plus sudistes. Ce n’est pas par hasard que la violence et la barbarie de Boko haram atteignirent leur apogée sous la présidence de Jonathan, un homme de ce Sud profond chrétien, considéré comme le paradigme du rejet ethnique par la conscience politique du Nord. De ce point de vue, c’est en toute logique que le groupe Boko haram entra dans une phase de déclin militaire avec l’arrivée de Buhari au pouvoir. Cette baisse de puissance manifeste est due à l’action conjuguée de deux facteurs. Le facteur apparent mis en valeur par le discours officiel est bien-sûr la répression militaire organisée sur fond de lutte contre la corruption dans l’armée qui a miné le terrain de l’armement des troupes et de l’approvisionnement logistique de l’Armée.
Ce facteur est indéniable mais il cache un autre tout aussi important qui est d’ordre idéologique et sociologique. En effet, compte tenu des raisons fondamentales et initiales de l’émergence de Boko haram, l’arrivée à la tête du pays d’un Président du Nord musulman a eu pour effet logique d’atténuer le sentiment d’inquiétude et le désarroi de la conscience politique du Nord, qui constituent le fond de commerce du groupe terroriste. C’est sans doute par anticipation de ce revirement que la secte, en juillet 2014, perpétra à l’encontre du candidat à l’élection présidentielle un attentat à Kaduna dont le Général Buhari réchappa de justesse.
La baisse de l’inquiétude existentielle de la conscience politique du Nord a eu un double effet sur le recrutement par la secte terroriste Boko haram des jeunes désœuvrés et laissés pour compte de l’incurie politique nationale. D’une part, cette baisse suscita un grand nombre d’abandons et de désertions, et d’autre part, elle réduisit drastiquement la fascination que le groupe exerçait sur les jeunes désœuvrés.
Le silence du président nigérian devant les exactions meurtrières, fantaisistes et planifiées des bergers peulhs est sidérant et révoltant.
Donc la baisse de la puissance de nuisance de Boko haram est d’essence politique avant d’être militaire : elle est la traduction du retour de ce qui, dans la conscience politique inquiète des masses ainsi que des acteurs du Nord, est considéré comme la normalité politique. Alors que la secte Boko haram a pris les armes pour enrayer l’inquiétude suscité par les conséquences politiques indésirables de l’avènement de la Démocratie, ce sont ces mêmes conséquences qui, avec l’alternance qui amena un Nordique musulman à la tête du pays, ont conduit mécaniquement à la désaffection de ses soutiens traditionnels, à la crise du recrutement des combattants sinon à la désertion, et pour finir au palissement de l’étoile, naguère scintillante, de sa geste conquérante.
Mais l’éthique de conquête qui est une part importante de la conscience politique du Nord musulman demeure intacte. Aussi, à la réduction du pouvoir de fascination et de nuisance de Boko haram répondit ou correspondit l’occupation par les bergers peuls de l’espace de terreur laissé vacant. Ainsi, la recrudescence des attaques des bergers peuls, leur organisation, leur ubiquité et leur coordination territoriales et l’ampleur des hécatombes qu’ils provoquent régulièrement répondent à la nécessité d’entretenir le funeste fantasme de la conquête et le discours implicite d’une volonté de domination envisagés comme seul mode de rapport à l’altérité ethnique. Cette volonté de domination est d’autant plus pathétique qu’elle est toute entière enracinée dans un complexe d’infériorité tenace et use de moyens d’un autre âge pour se réaliser. Se sentant défavorisé par rapport au sud sur plus d’un plan – sociologique, géographique, énergétique, économique et infrastructurelle, – les Nordiques ont conçu de la violence et du fantasme de la conquête le moyen d’exorciser leur frustration et d’inverser le déséquilibre en leur faveur. Ce programme passe d’abord par le rejet de la démocratie, et l’idéologie du conflit ethnique et religieux dont la dialectique ne se résout que dans le massacre, le génocide et l’islamisation.
Ce programme faisant partie intégrante de l’idéologie de la conquête qui anime la conscience politique du Nord et que Boko haram a porté jusqu’à une voie d’impasse, il va de soi qu’il jouit du respect de tous. C’est pour cela que les bergers peuls, en tant que figure actualisée de sa réalisation, sont considérés comme des intouchables. On comprend pourquoi Monsieur Buhari, bien que Président de la République, laisse faire, ne réagit pas et reste insensible à cette campagne de massacres qui fauchent par centaines la vie de ses concitoyens innocents. Le silence du président nigérian devant les exactions meurtrières, fantaisistes et planifiées des bergers peulhs est sidérant et révoltant. Il est d’autant plus sidérant que l’homme n’est pas avare de stigmatisation des groupes ennemis de la nation qu’il réprime parfois avec une force disproportionnée – que ce soit la secte chiite dont près de 400 fidèles ont été tués par l’armée sous des prétextes douteux, ou le groupe IPOB que Buhari s’est empressé d’estampiller terroriste alors que ces sécessionnistes Ibo n’ont jamais fait couler le sang de leurs concitoyens. Mais cette réactivité dans la répression des ennemis supposés de la nation s’arrête aux portes de la barbarie des bergers peuls qui font couler le sang des Nigérians innocents comme bon leur semble dans l’indifférence totale de Monsieur Buhari. Les nouveaux porteurs du flambeau de la conquête nordiste méritent d’être épargnés, car ils constituent un réceptacle privilégié de l’espérance des masses nordiques dont la psyché est entée sur le fantasme suprématiste de la réduction de tout ce qui n’est pas nordique et musulman.
Cette espérance constitue la pâture de la base politique de Buhari. Appliquer la loi aux bergers peuls ce serait casser la confiance que les masses nordiques vouent à Buhari comme le porteur de leur espérance et de leur cause. Or, dans la mesure où Buhari, malgré ses difficultés personnelles et son bilan peu reluisant à la tête du pays, compte renouveler son mandat, il est obligé de ménager sa base ethnique qui est sa première force électorale sinon la seule. Conformément à l’adage qui dit qu’il faut amener la jarre aux genoux avant que Dieu ne nous aide à la mettre sur la tête, si Buhari s’aliène le soutien de ses congénères en touchant à un seul cheveu des bergers peuls massacreurs alors il ruinera aussitôt la fascination qu’il exerce sur les masses nordiques et perdra du même coup toute espérance d’être aidé par ses partenaires politiques nationaux – Yoruba ou autres – sans lesquels aucune victoire électorale n’est crédible encore moins possible.
Telles sont les raisons du silence ahurissant du président du Nigeria, pendant que des groupes de bergers de son ethnie sèment la violence meurtrières dans le pays, versent le sang de leur concitoyens dans une barbarie d’un autre âge sans jamais trouver devant eux le spectre de la loi ou de la justice.
Enfin, un autre aspect de la recrudescence des massacres perpétrés par les bergers peuls se trouve peut-être dans une assistance stratégique de la secte Boko haram. Ayant perdu de leur puissance de nuisance et leur charme conquérant en raison de l’arrivée au pouvoir d’un Président nordique en la personne de Buhari, il va de soi que le calcul stratégique de Boko haram pour persévérer dans son être consiste à travailler au rétablissement des conditions politiques nationales favorables à sa résurgence. Or, ces conditions passent par l’arrivée au pouvoir d’un sudiste. Et c’est probablement à cette option que travaillent les stratèges de Boko haram, dans l’hypothèse hautement probable d’une assistance logistique et technique aux bergers peuls. La répétition ces dernières semaines des massacres prêtés aux bergers peuls et surtout leur ampleur et leur barbarie plaident dans le sens d’une alliance logistique et technique entre Boko haram et les bergers peuls. Le but de cette alliance est de forcer l’exécutif à réprimer les auteurs supposés des massacres. Une réaction qui serait électoralement fatale à un second mandat de Buhari ; celui-ci l’a si bien compris que face aux récents hécatombes de Benue et de Taraba qui ont fortement ému l’opinion nigériane et internationale, le Président Buhari, tel un sphinx, est resté figé dans un mystérieux silence de mort.
Prof. Adeyanju Babajide