Ceci n’est pas un essai, mais juste une question. Une question qui interroge chaque Béninoise, et chaque Béninois dans son for intérieur. Les gens qui ont joui sous le long règne de Kérékou — pot pourri de violence, de crimes et de médiocrité — les gens qu’il a faits ont aujourd’hui le verbe haut, dressent pince sans rire la statue d’un héros, homme de bien, sage patriote. Chacun rivalisant d’ardeur et de dithyrambe à la mesure de son bonheur acquis.
Mais qui témoignera pour les dizaines de morts innocents sous Kérékou ? Qui parlera au nom des centaines de ceux qui pour tout bienfait de son régime n’ont soupé qu’à la bauge de la répression sanglante ? Qui sera le porte-voix des sans voix qui par milliers ont souffert sous une forme ou une autre de la barbarie du régime ténébreux de Kérékou ?
Quelle est cette conception malicieuse de la mémoire que nous léguons à la postérité ? Tissu de mensonge et de complaisance dont une mesquine minorité au nom de ses intérêts drape un Dictateur fait de bric et de broc, un dirigeant au mieux médiocre. L’histoire n’est pas un banquet de masturbation. Et la jouissance dans la mémoire, à mille lieues des consensus frauduleux, doit être une jouissance pour tous.
Faut-il que le standard de la moralité politique soit si bas pour que les criminels deviennent des héros ? Au Chili, Pinochet avait aussi des amis et des clients. Mais le peuple chilien n’a pas laissé subvertir sa mémoire par une bande d’usurpateurs égoïstes. Dans les pays où l’histoire ne marche pas sur la tête, les peuples écrivent leur histoire et confèrent à chacun la place qu’il mérite. Au Chili, le peuple a appelé un chat un chat.
Pourquoi au Bénin, une ridicule minorité impose sa loi en tressant des lauriers à un dirigeant criminel ? Pourquoi feignons-nous de voir que nos difficultés politiques depuis bientôt trois décennies découlent de l’imposture dont Kérékou est le nom ? Pourquoi tous ces mensonges et cette complaisance sur la grandeur et la sagesse frauduleuses de Kérékou ? Que n’avons-nous cure du respect de la mémoire des centaines de compatriotes qui ont péri ou souffert d’une façon ou d’une autre sous son régime de barbarie ? Doit-on mesurer la gloire d’un dirigeant à sa durée de vie politique ? Avons-nous besoin de héros modernes pour notre « Démocratie » ? Qu’à cela ne tienne ! Retroussons-nous les manches et travaillons-y sans relâche ; nous finirons bien par en avoir un à la mesure de nos efforts et de nos vertus ; mais assurément pas dans le mensonge, l’impunité et l’injustice envers les victimes de la barbarie et du pillage des biens publics en quoi se résume l’essence du régime de Kérékou.
Pourquoi une minorité de profiteurs, après avoir pillé le pays depuis cinquante ans, se pique d’imposer le récit de notre mémoire et la vérité d’un clan au peuple ?
Dans le texte des hommages à Kérékou, de qui se moque-t-on ?
Adenifuja Bolaji
