
Notice biographique : Paul Hazoumé (1890–1980)
Paul Hazoumé est l’une des grandes figures intellectuelles du Dahomey colonial et postcolonial. Né à Porto-Novo en 1890 dans une famille proche des cercles royaux, il devient enseignant, écrivain, administrateur, ethnographe et homme politique.
Formé dans les écoles de la colonie et lecteur insatiable, il passe pour l’un des premiers hommes de lettres dahoméens.
On lui doit :
- Doguicimi (1938), souvent considéré comme le premier roman historique béninois,
- de nombreux articles ethnographiques sur les coutumes fon,
- un engagement constant pour la valorisation des cultures locales,
- une carrière politique marquante, notamment comme président de l’Assemblée territoriale du Dahomey.
Son œuvre, située entre observation ethnologique, mémoire familiale et défense de l’identité culturelle, a profondément marqué la compréhension moderne du vodun et de la société fon.
Un Témoignage Ethnographique Unique
L’article « La Révolte des Prêtres », publié en 1956 dans Présence Africaine, est l’un des documents les plus précis et les plus vivants sur un rituel jadis central dans la gestion du sacré : la révolte collective des prêtres (ma, magbo) provoquée par un sacrilège.
Il révèle la façon dont la société dahoméenne organisait :
- la protection du sacré,
- la réparation de l’offense,
- l’expression ritualisée de la colère divine.
Ce texte offre un accès rare au monde religieux précolonial dans sa complexité et sa théâtralité.
Le Dahomey et le Sens du Sacré
Chez les Fon du Dahomey, le sacré n’était pas une abstraction mais une force vivante. Le prêtre ou la prêtresse, initié·e dans le couvent, devenait le dépôt vivant de la divinité. Offenser un prêtre signifiait offenser directement la divinité qui résidait en lui.
Hazoumé rappelle que :
« Le Dahoméen a le sens inné du spirituel. Son bonheur dépend de ses divinités et de ses ancêtres. »
Cette affirmation, typique des années 1950, vise à contrer les discours coloniaux dévalorisant l’animisme.
Quand le Sacrilège Déclenche la Fureur Divine
L’article décrit avec une précision ethnographique les étapes du rituel :
1. L’effondrement rituel du prêtre profané
Il tombe à terre, retire ses vêtements, se couvre de poussière, de cendres et de guenilles.
2. La plainte rituelle vers le couvent
Chant gblé gblé, procession silencieuse, gestes codifiés.
3. Le jugement des grands prêtres
Une enquête interne établit l’intention ou non du sacrilège.
4. La révolte des prêtres
Les initiés se griment, se déchaînent en chants, danses et injures ritualisées. Ils assiègent symboliquement la demeure du profanateur.
5. La soumission finale du sacrilège
Collier de palme, repentance, purification, amende rituelle.
Cette séquence rituelle, qui pouvait durer plus de dix jours, constituait une justice religieuse publique, visant à restaurer l’ordre cosmique troublé.
Abomey vs Porto-Novo : Deux Politiques du Sacré
Hazoumé met en lumière une distinction capitale :
- À Abomey, le pouvoir royal centralisait et contrôlait les prêtres.
- À Porto-Novo, les prêtres « Hwé » jouissaient d’une autonomie complète.
La révolte des prêtres, interdite à Abomey, prospérait donc à Porto-Novo, où les autorités religieuses détenaient une puissance réelle, parfois supérieure à celle du gouvernement civil.
Cela rappelle la diversité interne du monde dahoméen, souvent simplifié dans le discours colonial.
Un Texte entre Mémoire et Histoire
Écrit en 1956, alors que les traditions vodun subissaient l’érosion missionnaire et coloniale, le texte de Hazoumé porte une double ambition :
- sauvegarder la mémoire d’un rituel en voie de disparition,
- défendre la dignité culturelle des pratiques animistes.
Il témoigne aussi d’un regard d’époque : fascinée par la tradition, mais consciente de ses zones d’ombre (poisons rituels, violences symboliques).
Pourquoi republier Hazoumé aujourd’hui ?
1. Pour transmettre une connaissance en voie d’effacement
Le texte constitue une archive vitale pour comprendre le système rituel fon.
2. Pour sortir du regard exotisant sur le vodun
Hazoumé démontre la logique interne, la cohérence et la profondeur de ces rites.
3. Pour éclairer le présent béninois
La renaissance du vodun contemporain puise à ces traditions, parfois en les réinterprétant.
4. Pour nourrir le débat culturel et identitaire
Le texte invite à repenser la place du sacré, de la sanction et de la parole rituelle dans la société actuelle.
À présent : place au texte intégral de Paul Hazoumé
La Révolte des Prêtres
