
Les indépendances en Afrique noire ne sont pas consécutives à des guerres de libération. L’Algérie et le Vietnam au contraire ont arraché leur indépendance au prix de guerres farouches qui ont connu la débâcle du colonisateur. Dans le cas du Vietnam, non content d’être humilié, l’Occident a, à travers les États-Unis, relancé l’offensive coloniale au nom de la lutte contre le communisme. Et, au prix de lourds sacrifices, le Vietnam, là encore remporté sur l’Occident en administrant aux États-Unis l’une des plus lourdes défaites militaires de leur histoire.
Les guerres de libération ont envoyé un message fort dans la conscience collective des Occidentaux quant au respect qu’ils témoignent aujourd’hui au pays qui les ont remportées face à eux. Tel n’est pas le cas des indépendances sans guerre, des indépendances octroyées souvent aux conditions du colonisateur.
L’Afrique noire – francophone et anglophone – a, dans sa quasi-totalité, bénéficié de ces indépendances formelles qui, dans le langage des Occidentaux, est synonyme de fausse indépendance. En effet, l’Occident a surjoué l’importance du rôle des organisations de lutte pour l’indépendance- syndicats, groupes politiques, partis, mouvements – et a fait croire que l’indépendance était le résultat de l’action de ces organisations. Mais sans la sous-estimer et tout en saluant son bien-fondé force est de reconnaître que cette action n’est pas comparable et de même nature que celle des guerres d’indépendance imposées aux colons et gagnées par les pays concernés.
Et si les résultats de ces deux situations d’indépendance semblent identiques, cette identité n’est somme toute que formelle, et une apparence trompeuse. Aujourd’hui, on ne peut pas sérieusement dire que le Cameroun ou le Bénin — sans parler de la Côte d’Ivoire ou du Sénégal– sont indépendants au même titre que le Vietnam ou l’Algérie. Si l’euphorie des premières années d’indépendance a fait croire à la réalité de celle-ci, il faut être naïf ou aveugle aujourd’hui pour ajouter foi aux discours fallacieux de l’indépendance. Ce discours de l’indépendance qui abuse de la naïveté des Africains et passionne les milieux politiques, avides de mettre leurs pieds dans les chaussures du colon, avec à la clé l’obsession de l’élection du président. Mais le niveau de conscience, ou plus exactement la mesure dans laquelle la conscience collective des Africains est obnubilée, est donnée par la question de savoir :” Quel sens y a-t-il à se passionner d’élire des présidents alors que les pays ne sont pas indépendants ?” Pourquoi se passionner à ce point pour le choix d’un gouverneur de la France ? Est-ce parce que contrairement aux temps coloniaux, ce gouverneur aurait la peau noire et un nez épaté comme Ouattara ? Car cette passion de l’élection du président — élection souvent trafiquée et menée sous l’influence des colonisateurs– occupe les Africains à temps plein pendant qu’elle laisse sans réponse la question de leur souveraineté en tant que pays. Et quand on met en cause la réalité de l’indépendance des pays africains, ce n’est pas, suivant la modalité rhétorique qui admet que l’Afrique n’est pas indépendante économiquement, mais sous-entend qu’elle le serait politiquement. Non, il faut que cela soit clair : la dépendance de l’Afrique, l’absence de souveraineté est totale. Elle est à la fois politique et économique. Et plus exactement, elle est d’abord politique avant d’être économique.
Il n’est que de voir le drôle d’état d’esprit qui prévaut dans les pays d’Afrique noire. Tout ce qui est inconcevable ailleurs y est naturalisé. Dans la zone francophone, par exemple, c’est la France qui impose et gère la monnaie des pays dits indépendants depuis 60 ans ! Cet état de fait n’est compatible avec aucun standard de souveraineté sur aucun autre continent dans le monde, sauf en Afrique. De même, l’Afrique subit la domination symbolique de la langue coloniale imposée dans l’éducation et dans la vie sociale et institutionnelle au détriment des langues nationales. Ce qui est vraiment un boulevard à l’aliénation mentale et culturelle. La France continue d’avoir son mot à dire dans les choix de dirigeants des pays africains. Entre guerres civiles, génocides, coups d’État, elle impose le personnel politique de son choix pour atteindre des objectifs en lien avec ses intérêts. Hors de ces schémas, point de salut ! La France s’impose comme un acteur de premier plan dans la vie politique des pays africains, imposant à la fois les thèmes et les acteurs. La stratégie qu’elle met en jeu, du Rwanda en Côte d’Ivoire en passant par le Congo est celle de la division, de l’exacerbation du tribalisme et de la constitution de groupes terroristes pour faire chantage aux gouvernements qui ne font pas du zèle ou qui ne dansent pas spontanément au son de sa musique.
C’est dire que tous les dirigeants africains ne sont pas uniformément soumis à sa volonté. Mais en général, sauf être un joker politique comme les jeunes officiers du Sahel qui lui tiennent tête actuellement, ceux qui, comme Idris Deby, osent la critiquer ou virer leur cuti de servilité après avoir été son ludion, sont assassinés sans états d’âme ; et, pour cacher le forfait, ils sont souvent remplacés par leurs proches ou leurs fils, histoire de faire passer la pilule de la soumission en même temps que du prix qu’il en coûte de vouloir s’en émanciper. D’autres comme Gbagbo sont guerroyés, détrônés et menacés ou transférés devant la CPI, une institution réservée aux présidents africains récalcitrants. D’autres subissent des coups D’état gentils comme Bongo au Gabon.
Les bizarreries de l’esprit africain sont légion. Outre le schéma de domination directe de la France et ses effets brièvement brossés plus haut, il y a la répercussion psychologique et morale du parti-pris de l’aliénation et de la supercherie dans laquelle s’enferme l’élite dirigeante africaine, dans une inconscience préjudiciable dont elle ne mesure pas les conséquences. La plupart de ces présidents mis en scène et en cage par la France à travers des élections truquées, se disent, pince-sans-rire, des démocrates et, sur cette base, n’hésitent pas à s’insurger contre des vicissitudes inattendues dans leur côterie. Une supercherie qui a au moins l’apparence de la cohérence. Les organes comme la CEDEAO sont l’émanation de cette supercherie qui induit un esprit de fausseté tenace auquel les acteurs finissent par croire. Ainsi, pour réinstaller un des leurs détrônés, les pays de la CEDEAO, au nom de l’attachement à la démocratie, ont prétendument mobilisé une force en attente pour faire la guerre au nouveau gouvernement du Niger et à son peuple. Or, la seule faute de ce gouvernement et de ce peuple, à l’instar de ceux du Mali et du Burkina Faso, est de n’être pas passés par la farce d’adoubement par la France, qu’ils appellent pompeusement « élections démocratiques reconnue par la communauté internationale. » Ces pays si farouchement démocratiques avaient donc les moyens de mettre en place une force pour aller restaurer la démocratie ou ce qu’ils appellent ainsi mais n’ont jamais songé à le faire pour aider les mêmes pays à lutter contre le terrorisme qui les mine depuis plusieurs années. Cela aussi fait partie des bizarreries de l’esprit africain induites et entretenues par le jeu sordide de la fausse indépendance. Tout se passe comme si leur religion sur le terrorisme était calquée sur la perception et l’attitude des Occidentaux. Pour eux, le terrorisme ne se combat pas par les armées africaines ( faibles comme le proclamait le Président déchu du Niger), mais par les Occidentaux, notamment la France avec Barkhane, la Numisma, Takouba etc. ; et, sorti de ce schéma néocolonial, point de salut !
La preuve, après dix ans de grenouillage cabalistique autour de Kidal, qu’ils ont sanctuarisé au bénéfice des terroristes, il a suffi que le Mali demande le départ de la France et de la Numisma et prenne résolument les choses en main pour qu’en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, les terroristes soient mis en déroute !
Et la bizarrerie qui plane sur l’esprit africain, dans ce contexte du jeu de la fausse indépendance, s’est encore exprimée, lorsqu’aucun des pays de la CEDEAO, naguère si désireux d’aller restaurer la démocratie au Sahel, n’a trouvé ni humain ni fraternel ni courtois de féliciter le gouvernement malien pour son succès contre les terroristes ! Comme si, là comme ailleurs, ils attendaient l’ordre de leurs maîtres coloniaux pour se montrer en frères envers leurs frères.
Le défi actuel de l’Occident est d’installer un réseau de dirigeants dans les pays africains soit disant indépendants et, par leur biais docile, de continuer à exploiter ces pays d’une manière pire qu’au temps colonial, pendant que la misère avance dans une Afrique exsangue, en perdition. Face à ce défi, les Africains qui ne sont pas complètement obnubilés par le mauvais esprit du jeu de la fausse indépendance doivent relever un défi inverse : se lever et faire la guerre d’indépendance. Et la première cible de cette guerre ultime n’est pas l’Occident mais la tourbe infecte des soi-disant Africains qui lui tiennent le crachoir.
Adenifuja Bolaji
