LOUIS HUNKANRIN 1886 – 1964: Un Nationaliste Dahoméen?
par A. I. ASIWAJU (1974)
– «Perturbateur professionnel, escroc (sic), faussaire, déserteur, Condamné à diverses reprises par les Tribunaux militaires et par Les Juridictions Criminelles et Correctionnelles de droit commun de la colonie … »
(Le gouverneur-général de l’AOF 1923) 1.
– «Patriote de grande classe, ancien fonctionnaire d’élite, a été toute sa vie, le vivant exemple de l’honnêteté, du dévouement, du courage et du Mérite ».
(Citation du gouvernement en 1964 au titre posthume de «Grand Officier de l’Ordre National du Dahomey») 2.
Tels étaient les jugements contrastés sur Louis Hunkanrin, le Porto-Novien, qui s’est révélé une épine dans le pied des administrateurs français du Dahomey, mais aussi une sorte de suspect aux yeux des régimes postindépendance de son pays. Ce n’était pas une expérience particulière en Afrique occidentale française où les opposants les plus remarquables à la domination française ont été généralement peu considérés par leurs pays après l’indépendance par des gouvernements dirigés principalement par des pro-français, qui avaient tendance à être indifférents, sinon opposés aux options et méthodes de ces critiques du régime colonial.
Cette atmosphère politique pointe certaines difficultés méthodologiques touchant à l’effort de l’historien pour évaluer l’homme. Hunkanrin a vécu toute sa vie la plupart du temps comme une victime du régime français de l’indigénat (3) qui a fait de lui un prisonnier chronique et un détenu. Ce fait limite les sources à partir desquelles le chercheur pourrait tirer ses informations. Toujours étudié principalement à travers les dossiers jaunis des administrateurs coloniaux français et des juristes qui, dans la plupart des cas retenus contre lui, étaient à la fois juges et partis, Hunkanrin est resté l’un des rares dirigeants africains déplorablement peu connus. Ses documents privés à l’indigence compréhensible, maintenant sous la garde de sa fille survivante, sont mal organisés et généralement inaccessibles en raison de l’absence fréquente de leur dépositaire de Porto-Novo où ses archives sont encore conservées dans une maison familiale. Les journaux de l’époque, publiés principalement au Dahomey, Sénégal et en France, qui contenaient des informations sur Hunkanrin, quoique nombreux, étaient généralement mal réalisés et strictement contrôlés, et leur intégralité n’est pas encore mis au jour (4). La plus grande connivence de Louis Hunkanrin avec l’élite instruite qu’avec les masses limite les informations sur lui à un cercle assez restreint d’amis proches et de relations, de sorte que l’historien se trouve privé de l’avantage d’une collecte systématique et de l’évaluation de la preuve orale à partir d’un plus grand nombre d’informateurs (5). Mais malgré ces problèmes, il y a au moins une certaine marge pour une évaluation préliminaire.
L’idée de cette brève étude est que Louis Hunkanrin n’était ni le fourbe pour lequel le faisaient passer les colons français ni le nationaliste pour lequel on est enclin à le prendre aujourd’hui (6). Comme le montre son surnom populaire, «Eke l’Oju Oti » (7), », c’était un esprit doué d’une forte volonté, un adhérent, infatigable voire rigide, aux vertus jumelles d’équité et de l’humanité. Un de ses biographes a vu juste en observant que « son amour de la justice et sa profonde sympathie pour les opprimés ont déterminé ses lignes d’action politique » (8). Ce caractère ne pouvait que conduire à des ennuis avec l’administration coloniale française, les autorités, ainsi qu’avec le fonctionnement du régime de l’indigénat fondé sur la discrimination entre sujets et citoyens. Mais de là à le prendre pour un nationaliste Dahoméen tout simplement parce qu’il a passé une bonne partie de sa vie active dans diverses prisons coloniales et camps de détention, c’est perdre de vue que l’objet essentiel de son opposition était les abus de l’administration coloniale et non pas la domination française en tant que telle. Admirateur de Blaise Diagne, le premier des politiciens « français noirs » du Sénégal qu’il a accompagné dans sa tournée de conscription au Dahomey en 1918, (9) Louis Hunkanrin n’était pas différent de la première génération de l’élite instruite de toute l’Afrique occidentale française qui, avant 1958, ne pouvait concevoir le statut d’indépendance de leur pays d’origine (10), et aspirait à un Dahomey dont les intérêts seraient «indissolublement liés à ceux de la France » (11). Le fait qu’il ne soit pas devenu un Jomo Kenyatta ou un Nkrumah pour le Dahomey et l’incroyable atermoiement du gouvernement dahoméen qui a dû attendre jusqu’à ce qu’il soit mort avant de lui conférer une distinction honorifique nationale, montre si besoin est le degré de la réserve que Hunkanrin inspirait même aux Dahoméens. Son inclination à l’engagement l’a conduit à embrasser les idées communistes, et ceci, peut-être plus que tout autre considération, l’a placé dans la suspicion permanente aussi bien du régime colonial que du régime post-colonial.
Louis Ouéssou Hunkanrin est né à Porto-Novo le 25 Novembre 1886 (12) d’une ascendance royale. Son père était un bijoutier professionnel au service des rois de Porto-Novo tandis que sa mère, Woumè, (13) était une descendante directe de la branche de Dè Messe de la lignée royale de Mèpon qui avait rejeté le traité de protectorat français de 1863 (14). Cette connexion, comme il sera montré tantôt, constitue une explication non négligeable de la série de désaccords fatals qui plus tard opposeront Louis Hunkanrin aux Français à Porto-Novo. En effet, la politique vindicative par laquelle les Français interdirent à Dè Messe de présenter un candidat au trône, outre qu’elle se mettait en travers des traditions successorales bien établies à Hogbonu, heurta le sens de justice de Hunkanrin (15). Sa subséquente association avec le prince Sohingbe, fils de Mèpon et prétendant au trône de 1901 à 1923, était ce qui, en grande partie, détermina la déportation des deux amis en Mauritanie en 1923 à la suite de leur implication présumée dans des incidents de Porto-Novo de cette année-là (16).
L’effet catalytique que produit souvent l’éducation occidentale sur l’esprit des Africains ne contribua qu’à aiguiser la conscience de Hunkanrin des maux de l’administration française de son pays. Cadet d’une famille de neuf enfants, il eut le privilège d’aller à l’école dans une localité qui, plus que d’autres de l’empire français, avait fait du Dahomey ce que Emmanuel Mounier un commentateur français, allait appeler le « quartier latin de l’Afrique noire » ( 17). Ayant commencé sa scolarité à l’école catholique romaine, il fut parmi les tout premiers élèves de l’école publique établie à Porto-Novo en 1902 (18). Après une brève expérience de travail avec la firme allemande Witt et Busch, il fut admis en 1904 à «l’Ecole Normale» de Saint-Louis au Sénégal qui venait de voir le jour et qui, jusque dans les années 1930, restera la seule institution de formation des enseignants pour toute l’Afrique occidentale française (19). Classé parmi les quatre premiers Dahoméens à obtenir leur diplôme de cette école (20), il a été mis à la disposition des services éducatifs du Dahomey et affecté à l’école publique de Ouidah le 27 Août 1906 (21). Bien que sa performance à ce poste ait mérité une recommandation pour la confirmation et la promotion en 1909 (22), son indépendance d’esprit et d’action ainsi que son attitude intransigeante à l’égard de tout exercice arbitraire du pouvoir furent à l’origine de conf
lits avec les autorités coloniales qui avaient aussi le contrôle des écoles. À partir de 1907, objet d’une action disciplinaire « en raison du Mauvais Exemple Donné aux Élèves » (23), à la suite d’un combat présumé avec un collègue autour des locaux de l’école, Hunkanrin a été exclu du service en Avril 1910 sur des accusations de « violence et dénonciations calomnieuses contre le Directeur »(24).
Désormais, il tombe sous la surveillance étroite d’une administration coloniale d’essence totalitaire et réactionnaire. Ayant échoué dans sa démarche de réintégration, il entre au service de la Compagnie Française de l’Afrique Occidentale (CFAO), un oligopole français ayant des intérêts commerciaux dans toute l’Afrique de l’Ouest (25). Après une brève carrière et un avancement accéléré au statut d’«agent d’affaires» (26), il ne tarda pas à retomber dans les mêmes ennuis. En vertu d’une ordonnance de la Cour d’Appel du Tribunal colonial français de Dakar le 11 Août 1911, il fut condamné à six jours d’emprisonnement avec sursis pour violence et insulte contre un receveur des douanes (27).
En Juillet 1912, il a été jugé devant le Tribunal de Cotonou, qui l’a condamné à dix-huit mois de prison, plus 25 francs d’amende pour «abus de Confiance» contre la CFAO. La peine, réduite à un an de prison par une décision de la Cour d’appel le 8 Novembre 1913 a été servie à Dakar (28). Son séjour à Dakar, la deuxième des Quatre Communes du Sénégal, qui durera dix ans entre 1904 et 1914, l’a amené au contact de Blaise Diagne qu’il admirait selon toute vraisemblance comme le modèle du traitement que les Français devraient accorder à tous les Africains instruits. Ses protestations d’allégeance à ce pantin sénégalais du colonialisme français étaient publiées dans les numéros de la Démocratie du Sénégal (29).
Il retourne au Dahomey en Juillet 1914 (30). Ses critiques contre les excès notoires de l’administration du gouverneur Noufflard (3l) et la réaction du gouvernement qui en résulta l’ont conduit à prendre le maquis au Nigeria, après avoir été accusé par la cour de diffamation à l’endroit aussi bien du gouverneur que du procureur du tribunal de la colonie. A Ijofin, village nigérian où il s’était réfugié, Hunkanrin était pleinement associé au prince Sohingbe renvoyé du Dahomey, en raison évidente des troubles que provoquaient son aspiration au trône de Hogbonu, mais sous le prétexte qu’il serait un Nigerian (32). Pendant son exil volontaire à Ijofin, Hunkanrin a été condamné par contumace à quatre reprises par l’administration dahoméenne, condamnations qui furent finalement annulées par la loi d’amnistie d’Octobre 1919 (33). Le rappel du gouverneur Noufflard en 1917 et l’appel de Blaise Diagne en sa faveur, lors de son voyage au Dahomey en 1918, auprès de M. Fourn, successeur de Noufflard, ont créé un nouveau climat qui permirent à Hunkanrin de rentrer au Dahomey en 1918 (34). Son soutien actif à la mission de Blaise Diagne au Dahomey et son engagement volontaire dans l’armée coloniale ont temporairement adouci l’attitude de l’administration française à son égard. Le service militaire le conduisit une fois de plus au Sénégal, et de là, à Toulon, Saint-Raphaël et Paris en France (35).
Mais, en dépit de la discipline militaire, il s’en faudrait de beaucoup pour réduire Hunkanrin au silence. D’entrée impressionnées par son intelligence exceptionnelle, les autorités militaires lui confièrent des tâches administratives et le rôle de conseiller en matière de commission relative au Dahomey ; mais très vite, ils finirent par l’évaluer en ces termes :
«Un anarchiste militant, n’ayant cesse de faire preuve de mauvais esprit et d’indiscipline dans ses rapports avec ses supérieurs et de faire de la propagande par colportage des idées anarchistes, révolutionnaires et soviétiques parmi ses camarades » (36).
Louis Hunkanrin considère la discipline dans l’armée comme étant incompatible avec la dignité de l’homme (37). Contrairement à la tradition militaire de l’exécution des ordres sans regimber, il n’hésitait pas à s’engager dans des discussions sans fin sur les instructions de ses supérieurs, et était très allergique à la routine (38). Sa position dans l’armée lui offrait de généreuses heures de loisir qui lui ont permis d’entretenir des contacts décisifs avec les chefs communistes français parmi lesquels se trouvaient Léon Prouvost de Saint-Raphaël, le rédacteur en chef de « Revue Sociale » (un périodique de propagande socialiste) (39) ainsi que Stefany et Bloncourt qui ont tous deux diffusé des critiques anticoloniales de Hunkanrin dans « Le Paria », un mensuel communiste français à grande diffusion de l’époque (40). Pour ces activités et implications, il a subi une série de mesures disciplinaires, allant du rejet de sa demande de démobilisation en France, jusqu’à une peine d’emprisonnement de trente jours et une rétrogradation en Janvier 1920, pour absence non autorisée de poste de service et pour détention de « tracts anarchistes, antimilitaristes et soviétiques et de lettres insultantes pour L’Armée» (41). Il a finalement été traduit en cour martiale par le Conseil de guerre à Dakar qui, en Avril 1921, lui infligea une peine d’emprisonnement de six mois pour des accusations de désertion (42).
À peine débarqué au Dahomey, qu’il dut faire face à un procès pour contrefaçon qui en Décembre 1921 s’était conclu par une peine de trois ans d’emprisonnement et cinq ans d’interdiction par la Cour d’assises de Cotonou (43). Il était encore en train de purger cette peine lorsqu’en 1923, survinrent les incidents de Porto-Novo. Alors qu’il était un prisonnier réduit au confinement durant ces événements, des soupçons d’implication sérieuse avec cinq autres personnes, y compris le prince Sohingbe, leur valurent d’être exilés pour dix ans en Mauritanie. Mais, tandis que tous les autres moururent en exil, Hunkanrin survécut à toutes les difficultés dont les moindres n’étaient pas les souffrances d’une longue séparation d’avec les siens mais aussi l’expérience d’un climat débilitant et la vie chez les Maures, gens à peau claire dont la fierté raciale et l’héritage musulman signifiaient souvent du mépris pour un prisonnier étranger nègre qui n’était pas près embrasser l’Islam (44).
À son retour au Dahomey en 1933 suite à sa libération, Louis Hunkanrin reçut un accueil chaleureux et triomphale de la part de ses parents et amis, en particulier les éditeurs de journaux à Cotonou, et ce fait semble avoir déterminé la méfiance des autorités coloniales françaises, qui le mirent sous une surveillance permanente. Toutefois, cette surveillance a été combinée avec une nouvelle approche pacifique au problème que constituait Hunkanrin. Il a d’abord été engagé comme agent de recherche en charge des coutumes dahoméennes et plus tard comme rédacteur en chef de « Trait d’Union », un journal fondé par l’administration pour promouvoir la compréhension entre le gouvernement et les populations locales (45). L’administration coloniale espérait que ces responsabilités et occupations détourneraient l’intelligence et l’énergie de Hunkanrin de ses penchants critiques.
Vain calcul. Des articles de Hunkanrin, non sur les coutumes mais qui dénonçaient les maux de l’administration coloniale, étaient fréquemment publiés dans « La Voix du Dahomey », un journal anti-colonial fortement influencé par Blaise Kouassi, admirateur et gendre de Hunkanrin (46). Cela a conduit à son implication dans le célèbre procès contre ce journal et par la suite l’emprisonnement de ses rédacteurs en 1935.
Bien qu’il ait été sursis à sa peine dans ce procès, ses écrits publications politiquement engagées qui continuèrent à être publiés et, en particulier, le rapport sensationnel qu’il a produit de son étude des coutumes dahoméennes, ont conduit à sa révocation définitif du service public en 1936 (47).
L’imposition du régime de Vichy en France pendant la Seconde Guerre mondiale a placé Hunkanrin une fois de plus dans une opposition active au gouvernement du moment, dans la mesure où son soutien a été pour la «France libre de Charles de Gaulle alors en exil en Algérie (48) . En Janvier 1941, accusé d’être un espion de l’Angleterre, il fut détenu à Cotonou et en Septembre de la même année, avec trois autres personnes, condamné à mort. Cependant, tandis que les autres personnes accusées étaient exécutées en règle à Dakar, la peine de Hunkanrin a finalement été révisée et commuée en huit ans de réclusion au Soudan français (49).
Alors que les insinuations d’un « commandant de cercle » français au Soudan, qui avait laissé entendre que Hunkanrin pratiquait la sorcellerie (50), peuvent être considérées comme déplacées, que l’homme ait émergé en 1947 comme le personnage de légende le plus étrange parmi les sujets coloniaux de l’Afrique occidentale française est indiscutable. Car en effet, le 15 Décembre de cette même année, Hunkanrin retourna au Dahomey à la fois vivant et alerte. Il avait alors soixante-et-un ans et, à sa mort le 28 mai 1964 non seulement il avait fêté son 77ème anniversaire, mais il avait aussi été témoin des célébrations du troisième anniversaire de l’indépendance du Dahomey. Cependant, tandis qu’il devait tirer beaucoup de satisfaction du fait d’avoir survécu à la domination française et au régime de l’indigénat au Dahomey, la politique extrêmement factieuse du Dahomey d’après-guerre a dû aussi écœurer le quasi octogénaire dont la vie fut dédiée à la cause de la liberté et à l’espoir d’un leadership honnête.
À son enterrement en 1964, Louis Hunkanrin a été honoré à titre posthume du titre de «Grand Officier de l’Ordre National du Dahomey». Mais ce n’était rien moins qu’une reconnaissance partielle d’une contribution qui était de loin supérieure, plus vaste et plus profonde et qui ne peut être comprise à sa juste valeur. Au Dahomey, qui était naturellement le plus important théâtre de ses activités, la biographie de Louis Hunkanrin est l’histoire d’un prince Porto-Novien occidentalisé, intrépide dans sa haine de l’injustice, défenseur des opprimés, épris de socialisme, journaliste combattif et qui faisait la une des journaux de toute la période coloniale.
Il était un pédagogue. Ayant connu les lumières et l’effet libérateur de l’éducation occidentale, il a voulu améliorer et accroître les infrastructures de l’enseignement, et toutes ses démêlées avec le régime colonial visaient à assurer la parité de traitement entre Français et Africains instruits. Comme il le faisait remarquer dans l’une de ses nombreuses lettres, il n’était pas un révolutionnaire(51). Sa vision était purement conforme au programme éducationnel français. Parlant et écrivant plus en français qu’en goun ou yoruba ( les deux langues de son terroir) et souvent habillé en costume français, son attachement aux idéaux assimilationnistes paraissait découler du besoin, largement ressenti par la plupart des leaders Africains contemporains, pour l’Africain d’acquérir les outils de l’homme blanc dans le but de traiter à armes égales avec lui(52). Le fait qu’il fût un adepte des valeurs occidentales est plus que suffisamment illustré par le fait que son action était à l’intérieur des cercle des élites de Porto-Novo et Cotonou plutôt que dans les villages. Il est significatif que la connaissance que nous avons de lui est, en dehors des archives coloniales, est plus ou moins limité à ce qui a été écrit sur lui, soit par lui-même ou bien par des Africains instruits, principalement dans les journaux proches des élites.
Les conditions difficiles dans lesquelles il écrivait ne lui ont pas permis d’atteindre le rythme et la qualité de production littéraire qui lui auraient permis d’être classé parmi les politiciens africains contemporains les plus éclectiques. Cependant, la plume de Louis Hunkanrin n’était jamais vraiment sèche. Il ne lésinait pas sur ses efforts pour coucher ses idées sur papier, partout où et chaque fois qu’il le pouvait. Croyant à l’efficacité des journaux comme un moyen important d’influencer l’opinion publique, il créa et dirigea un certain nombres de journaux et apporta une immense contribution à d’autres qui n’étaient pas sous son contrôle direct. Il créa « le Messager Dahoméen » à Paris en novembre 1920 deux mois avant son rapatriement de France en janvier 1921 (53). Au Dahomey, avec Blaise Kouassi, il fonda le « Courrier du Golfe du Bénin » qui dura jusqu’en 1933 (54) ; et il était, comme déjà indiqué, le rédacteur en chef du « Trait d’Union », un hebdomadaire gouvernemental crée en 1936. Ses nombreuses contributions éditoriales incluaient ses articles dans « La Démocratie du Sénégal » ou « La France d’Outre-Mer » et « Le Récadaire de Béhanzin », un mensuel clandestin publié en 1915 par Émile Zinsou Bodé et Paul Hazoumè, deux proches amis de Hunkanrin(55).
L’impact de Louis Hunkanrin sur le journalisme dahoméen, particulièrement dans les années 1930, relayé principalement par Blaise Kouassi qui exerçait une grande influence sur la presse dahoméenne de l’époque, était à la mesure de l’accueil que toute la presse dahoméenne lui a rendu, à son retour d’exil en Mauritanie en 1933 (56).
En dehors du journalisme, ses deux autres écrits majeurs étaient « L’Esclavage en Mauritanie » et « Le Zangbéto, étude ethnologique » tous deux publiés dans des numéros récents de « Études Dahoméennes »(57) ; reflets pour l’un de ses souvenirs de Mauritanie, et pour l’autre de son éphémère expérience de commis chercheur en ethnologie du Dahomey.
En dépit de ce regard sur l’impact local de Louis Hunkanrin, force est d’avoir présent à l’esprit le fait que ses activités allaient bien au-delà des frontières du Dahomey. Son courage exceptionnel et son caractère tenace qui furent à l’origine de ses vastes déplacements en Afrique de l’Ouest et en France, aussi bien en tant que prisonnier qu’en tant que soldat, firent de lui l’une des personnalités africaines les plus connues dans ses régions. Son inclination à s’exprimer contribua à sa notoriété partout et en toute circonstance. À travers ses propres publications ainsi que celles qui lui sont consacrées, en particulier dans les journaux publiés ou diffusés en dehors du Dahomey, sa notoriété se répandit dans les recoins de l’Afrique de l’Ouest, et en France. Au Soudan, comme précédemment à Cotonou, où ses pétitions suscitèrent une enquête sur les conditions de vie des prisonniers (58), Hunkanrin était « un prisonnier embarrassant, et certainement aussi, un sorcier » (59). Dans les études sur la politique Nigériane, Hunkanrin est fort peu mentionné. Pourtant son séjour à Ijofin, un village nigérian dans la Division Egbado de l’Ouest Nigérian entre 1913 et 1918, ainsi que ses contacts avec Lagos (60), généralement en liaison avec l’Affaire Sohingbe, suggèrent des possibilités d’échange avec des nationalistes nigérian contemporains comme Herbert Macaulay dont les activités dans la même localité d’Egbado ont été évoquées ailleurs(61). L’un des pionniers Africains à adhérer à la Ligue des Droits de l’Homme, Hunkanrin a conçu du Dahomey un terrain propice aux idéaux du communisme français portés sur la justice naturelle et la fraternité universelle de tous les hommes, l’opposition à la propriété privée, et à toute forme de violence, et le respect de la liberté individuelle(62).
En France, il était connu pour ses articles dans « le Combattant », un journal communiste, dans lequel il dénonçait les traitements infligés aux Africains dans l’armée française, ce qui lui coûta de tomber en disgrâce auprès de Blaise Diagne. En ce qui concerne le panafricanisme, il était à la même enseigne que Tovalou Houénou, l’avocat et homme politique Dahoméen basé à Paris dont les activités panafricanistes ont été abordées dans un récent mémoire (63).
Pour une personnalité de cette stature, être fait à titre posthume GRAND OFFICIER DE L’ORDRE NATIONAL DU DAHOMEY par le gouvernement dahoméen de 1964 n’était rien d’autre qu’une sous-estimation. Hunkanrin a toujours mérité des honneurs bien plus élevés et une plus large publicité non seulement au Dahomey, mais dans toute l’Afrique que ceux auxquels il a eu droit jusqu’ici. Car même si il était un conservateur dans sa croyance absolue aux valeurs positives de la culture française, il a excellé dans sa détermination à combattre les maux inhérents à la pratique administrative française dans son pays. De ce point de vue, il apparaît comme un proto-nationaliste dont les idées et l’engagement actif ont inspiré les sentiments nationalistes qui ont conduit le Dahomey à embrasser l’idée de l’indépendance politique. En Afrique, il devrait être tenu pour un grand pionnier des idées qui ont inspiré l’évolution de l’Organisation de l’Unité Africaine, pour autant que cet organisme ait pour but la liberté en Afrique et l’égalité avec les autres peuples du monde. Pour toutes ces évolutions, l’éducation est importante, comme le pensait Hunkanrin, l’« Ancien Élève de l’Ecole Normale de Saint-Louis» (64). Le Collège Louis Hunkanrin, une école secondaire privée de Porto-Novo, est donc un symbole plus approprié pour honorer un homme qui croyait que l’éducation devrait rendre les hommes libres.
Notes et références
(1) Archives nationales du Sénégal (Fonds dahoméen), Dakar Au Ijofin, par exemple, à la fois Sohingbe et Hunkanrin se seraient engagés dans des activités considérées par les Français comme portant préjudice à leur administration au Dahomey avec une référence particulière à Porlo-Novo. Vigoureuses pétitions, rédigées par des écrivains publics nigérians de Lagos tels que OH Williams, à Docemo Street,, ont été proférés à l’encontre des autorités françaises au Dahomey, et en 1916, des efforts ont été faits pour permettre à Sohingbe, éventuellement avec Hunkanrin, d’aller en France, à partir de Lagos pour solliciter l’appui de leurs sympathisants français qui pourraient influencer le gouvernement métropolitain à opérer des changements dans l’administration dahoméenne. Voir ANS, Série 8G 19 Le lieutenant-gouverneur du Dahomey au Gouverneur-Général de FA.OF 01/12/16. aussi Télégramme N ° 37, Gouverneur-Général de l’AOF au lieutenant-gouverneur du Dahomey, 184-1916, instruire des négociations avec le gouvernement britannique du Nigeria afin de ne pas permettre à Sohingbe d’embarquer à Lagos. Voir le chapitre 6 de Asiwaju, A.I. Western Yorubaland, en vertu de la règle coloniale; version révisée d’une thèse de doctorat Ibadan dont le livre paraîtra prochainement chez Longmans dans la série Histoire d’Ibadan. |