À propos de : Sanjay Subrahmanyam, L’Inde sous les yeux de l’Europe, Mots, peuples, empires, 1500-1800, Alma
Subrahmanyam propose une histoire des représentations orientalistes de l’Inde dépassant la conception de la rencontre culturelle comme subjugation de l’Autre. Son attention se porte plutôt sur les fécondations mutuelles et les circulations intellectuelles entre l’Inde et l’Europe.
Tout est parti, confie Sanjay Subrahmanyam, d’une Currywurst. C’est ce « plat bizarre » (p. 12) — une saucisse allemande enrobée de sauce tomate et saupoudrée d’une poudre de curry industrielle — qui pousse l’auteur à s’engager dans cette réflexion savante sur les représentations européennes de l’Inde entre 1500 et 1800. Mais la Currywurst n’est que l’ultime déclencheur d’une entreprise déjà entamée par Subrahmanyam, l’un des historiens les plus renommés de l’Inde pré-moderne, depuis 1990 environ, alors qu’il enseigne à l’EHESS, puis participe au 500e anniversaire de l’arrivée de Vasco de Gama sur les côtes indiennes. Un parcours intellectuel qui prend racine dans un contexte historiographique interrogeant les liens entre savoir et pouvoir dans la lignée de l’essai phare L’orientalisme d’Edward Saïd, paru en 1978.
Les questions qui sous-tendent l’ouvrage sont les suivantes : que collecte-t-on et que traduit-on de l’Inde ? Dans quels buts ? Et de quelles façons ? L’Inde sous les yeux de l’Europe n’est donc pas conçu comme un récit encyclopédique des relations euro-indiennes, mais plutôt comme une histoire de l’élaboration du savoir européen et de la traduction culturelle, à travers différentes « vignettes » thématiques et biographiques. Les quatre chapitres, chronologiques, explorent d’abord les productions portugaises du XVIe siècle et leurs descriptions de la société indienne (chapitre 1), le topos de « la religion » des Indiens dans des écrits du XVIIe siècle (chapitre 2), puis les biographies de différents acteurs ; James Fraser (1712-1754), un facteur écossais de la Compagnie anglaise des Indes orientales et collectionneur passionné de matériaux indiens (chapitre 3) et quatre personnages du XVIIIe siècle aux approches diverses (chapitre 4) : « un entrepreneur et commandant militaire français [Bussy], un ecclésiastique portugais également concepteur invétéré de projets jamais achevés [de Noronha], un aventurier franco-suisse qui était aussi un avide collectionneur d’objets sud-asiatiques [Polier], et un Écossais qui finit par devenir un administrateur de la Compagnie des Indes orientales en Inde du Sud et au Gujarat [Walker]. » En arrière-plan, il s’agit aussi de mettre en évidence ce que les représentations européennes de l’Inde nous révèlent de la représentation et de l’identité de l’Europe même.