Le fait de devoir parler la langue des autres, et pas n’importe quels autres, mais ceux qui sont nos prédateurs historiques et actuels, parler leurs langues en négligeant les nôtres, cette joyeuse aberration exclusivement africaine nous cloisonne, nous piège et nous tient en esclavage intellectuel à notre corps défendant.
Exemple, considérez les actes de barbarie qui ont lieu en Afrique du Sud depuis quelque temps où, sur le mode des violences fratricides du temps de l’apartheid qui voyaient les militants de l’ANC et ceux du Zoulou Inkatha en découdre les uns avec les autres, enfermés dans un cycle de vendetta crapuleusement assisté par le pouvoir Blanc, qui soutenait en sous-main les partisans de Bouthelezi contre ceux de Nelson Mandela ; considérez l’actualisation de ce passé triste, révélateur d’une frustration politique flagrante mais déniée et donc déplacée ; considérez ces actes et le mot par lequel ils sont désignés –xénophobie – par les média étrangers et repris en chœur par les Africains, et vous vous rendez compte de la triste aberration de notre condition symbolique.
En écho aux média et au discours occidentaux, et hurlant bêtement avec leurs loups, nous appelons ces actes « xénophobie », or les victimes en sont exclusivement africaines, dans un pays où le parti au pouvoir depuis plus de 20 ans s’appelle l’ANC, c’est-à-dire le Congrès National Africain. Lorsque les Sud-Africains qui sont des Africains et qui, plus que tout autres Africains l’affirment, à travers la désignation du parti majoritaire dans leur pays, lorsque les Sud-africains qui sont des Africains par excellence s’en prennent à d’autres Africains, qu’y a-t-il de xénophobe dans ces actes, aussi barbares soient-ils ? Les victimes sont exclusivement des Africains ; elles ne sont pas indiennes, elles ne sont pas chinoises ou asiatiques, elles sont encore moins des Blancs. Dans cette Afrique du Sud pluriraciale, emphatiquement désignée nation arc-en-ciel, sont-ce les Indiens, les Chinois, ou les Blancs qui sont devenus l’alter ego du Noir, là où le Nigérian ou le Mozambicain serait devenu l’autre ?
Alors où est la xénophobie dans ce contexte ? Ce mot qu’on nous tend comme un leurre, n’a–t-il pas pour fonction de dénier l’étiologie de ce malaise, cette frustration politique héritée d’un marchandage impair qui n’a rien changé dans le fond aux rapports économiques de la société sud-africaine et que le soi-disant démantèlement de l’apartheid n’a pas fait bouger d’un iota ?
Qu’est-ce qui nous empêche d’user du mot juste pour décrire ces actes ? Parce que nous parlons bêtement les langues de ceux qui nous dominent.
Alan Basilegpo