À propos de : Frédéric Bauden et Malika Dekkiche (éd.), Mamluk Cairo, a Crossroads for Embassies : Studies on Mamluk Diplomacy and Diplomatics, Leuven, Brill
Les travaux sur les Mamelouks au Moyen Âge se sont développés depuis une vingtaine d’années. Ils témoignent de la richesse d’une période où le Caire était au centre du monde, lien essentiel entre l’Est et l’Ouest, réseau d’échanges entre la Méditerranée et l’Asie.
Que la guerre soit « l’horizon ultime de toutes les relations entre princes et rois au Moyen Âge » [1], ce constat vaut aussi pour les mondes musulmans, centrés alors autour du Caire. Or, si l’époque considérée dans cet ouvrage (1250-1517) est bornée par des batailles célèbres, de la fin des croisades et de la dynastie abbasside à l’essor mongol et aux victoires ottomanes, la période est également marquée par d’intenses échanges à une échelle de plus en plus large.
Le Caire était la capitale politique et le centre religieux et juridique d’un nouveau monde arabo-islamique, divisé et pluriel, émergé entre les Croisés et les Mongols. Le sultanat mamelouk d’Égypte et de Syrie est au cœur de l’histoire et de la géopolitique du milieu du XIIIe au début du XVIe siècle : spatialement, au croisement des routes commerciales et des grandes voies de pèlerinage ; chronologiquement, à la jonction de l’ère ayyoubide et de l’émergence de la Pax mongolica et de la Sublime porte.
L’historiographie récente des Mamelouks s’intéresse à tous les réseaux que tracent leurs échanges et aux acteurs de ces contacts, en suivant un mouvement d’Ouest en Est, pour écrire une histoire globale sur une longue période, avec déplacement progressif du centre de gravité de la Méditerranée au Moyen-Orient et à l’Asie. C’est ce parcours que suit et vient synthétiser l’ouvrage collectif coordonné par Frédéric Bauden et Malika Dekkiche, reprenant en vingt-huit chapitres des travaux présentés lors de la conférence de l’Université de Liège de 2012 sur les relations diplomatiques du sultanat mamelouk avec les puissances musulmanes et non-musulmanes de 1250 à 1517. Toutes les contributions reprennent les sources pour écrire une histoire diplomatique qui rendent compte des relations du Caire avec, d’un côté, les royaumes latins, les îles méditerranéennes, les républiques italiennes, l’Aragon, Al-Andalus, Byzance et le sultanat seljoukide d’Anatolie ; de l’autre, la Mer Noire, les espaces mongols et turkmènes ; mais aussi la Mer Rouge et l’Afrique, de l’Abyssinie au lac Tchad ; et, à l’horizon, l’Inde et la Chine.
Mameloukologie ?
Quand David Ayalon, l’un des pionniers de l’historiographie mamelouke, commençait à s’intéresser à cette période, un autre historien du monde musulman lui fit remarquer que c’était comme s’il étudiait l’histoire des îles Fidji… [2]. Les choses ont bien changé depuis, et le phénomène mamelouk s’est considérablement rapproché des centres d’intérêt des médiévistes. Depuis une vingtaine d’années, les travaux sur les Mamelouks se sont développés et organisés, en diversifiant les thématiques, en élargissant la focale, et en multipliant les outils de recherche (bases de données de sources partagées, groupes de recherche et programmes internationaux, collections spécialisées…). Stephan Conermann put même parler d’un « boum » des études mameloukologiques [3] !
Traditionnellement étudiée dans le cadre des échanges bilatéraux avec le monde latin – que ce soit dans une perspective militaire (D. Ayalon), ou déjà dans une perspective diplomatique (Peter M. Holt [4]) –, de l’histoire politique du système social militaire, de la géopolitique de la traite des esclaves, ou de l’histoire du commerce des épices, le sultanat mamelouk est devenu l’objet d’étude d’une histoire multipolaire interne à l’espace musulman. Longtemps concentrée sur le front de l’Europe latine, les recherches sont devenues plus extensives, à la fois géographiquement et thématiquement. Les sources mameloukes, abondantes et variées (chroniques, dictionnaires biographiques, documentation administrative, littérature), sont exploitées en tenant compte du tournant culturel des études de l’anthropologie historique, associant les disciplines et recoupant les méthodes. Désormais, selon S. Conermann, personne ne conteste que la « mameloukologie » soit une branche des sciences humaines [5].
C’est dans ce contexte épistémologique, où la mameloukologie ne peut plus considérer séparément les dimensions historiques du social, de la culture, du droit ou de la politique, que s’inscrit l’ouvrage Mameluk Cairo, qui ordonne toutes ces dimensions à partir de la question centrale de la politique étrangère du sultanat mamelouk. Dressant le tableau de l’état de la recherche dans le domaine, Frédéric Bauden et Malika Dekkiche se répartissent analytiquement la tâche en distinguant dans une grande introduction générale la diplomatie de la diplomatique. Les autres contributions dessinent chacune une zone de la vaste carte des réseaux d’échanges dans les cinq parties de l’ouvrage consacrées respectivement au Mongols et à leurs successeurs (Ilkhanides, Jalayrides, Horde d’Or) ; aux Timourides, Turkmènes et Ottomans ; aux pays musulmans occidentaux (Al-Andalus nasride, Ifrîqiya hafside) ; à l’Arabie, l’Inde et l’Afrique ; et à l’Ouest latin (villes italiennes, Portugal, Chypre). Une dernière partie traite de la culture matérielle…