À propos de : Francis Wolff, Trois Utopies contemporaines, Fayard
À l’heure où l’on proclame la fin des utopies, F. Wolff en recense trois formes actuelles, qui toutes prétendent élargir l’homme : le transhumanisme, l’animalisme et le cosmopolitisme. Mais seule cette dernière se tiendrait dans les frontières de l’humain.
Le monde n’est plus à l’utopie politique
Voilà trente ans s’effondrait le mur de Berlin et avec lui les utopies politiques. Depuis, s’est fait jour un étrange paradoxe : plus personne ne croit au paradis sur terre – c’est la fameuse « fin de l’histoire » (Fukuyama) –, et pourtant les claims particuliers continuent de prospérer. « C’est parce que nous ne croyons plus à la cité juste, ni à la Cité, ni à la Justice, que nous multiplions les foyers de revendication », écrit F. Wolff (p. 21). À l’idéal d’émancipation collective s’est substituée « une multiplicité dispersée de désirs » individuels. Mais si « nous ne croyons plus au salut commun ; ni au salut ni au commun » (p. 15), le rêve d’émancipation collective s’est-il pour autant dissipé ? Non pas, mais il est pétri de contradictions : « nous attendons de l’État qu’il nous permette de vivre sans lui [et qu’il] nous rende moins inégaux tout en nous laissant tous indépendants, de lui et des autres » (p. 21). Reléguer l’utopie politique au rancart de l’histoire n’est pourtant pas sans risque. Parmi les principaux dangers, Trois Utopies contemporaines relève les relents identitaires et nationalistes, le repli sur les droits individuels, et plus largement sur la sphère privée. F. Wolff s’emploie également à étudier les nouvelles utopies individualistes que sont le transhumanisme et l’animalisme : insistant sur les droits personnels, elles ont, dit-il, oublié la question de l’égalité ; tournant le dos à l’humanisme, elles ont abandonné l’idéal d’un « nous ». Or, si ces les conséquences qu’impliquent ces deux utopies sont dangereuses, le concept d’utopie, lui, doit être sauvé, sans quoi l’humanité se prive des forces de progrès et se condamne soit au présentisme, soit à la nostalgie. Ces forces de progrès, l’auteur les puise dans l’idéal cosmopolitique, le seul capable de porter l’humanisme comme un absolu.
Le logos au service de l’utopie
Les premières pages distinguent l’utopie théorique (des prémices de la modernité jusqu’à Marx) et l’utopie en acte. Alors que l’utopie théorique se borne à des buts précis (bousculer les consciences, stimuler l’imaginaire, ouvrir le champ des possibles), l’utopie en acte, quant à elle, voit sa réalisation effective se retourner contre son principe même – le cas d’école étant le communisme, dont les exemples historiques ont été pour le moins décevants. C’est la bonne fortune passée du « nous » qui a, paradoxalement, précipité sa dévaluation, tant les régimes s’en réclamant ont ébréché sa crédibilité. Symétriquement, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a subi de nombreux coups de boutoir, en particulier de la part du marxisme, lequel dénonçait son caractère purement formel, « bourgeois », non suivi d’effet.