Kleptoneria, ou le Dilemme d’un Vieux Chasseur Devenu Président

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Le Kleptoneria est un pays d’Afrique. Dans le monde entier, il est considéré comme un  Etat corrompu, un pays de désordre, d’injustice sociale et de violence ; ses habitants sont perçus comme des gens malhonnêtes et arnaqueurs. Cette perception n’est pas entièrement le fait des préjugés ni du mépris du monde extérieur. Elle correspond en grande partie à la réalité. A la faveur de l’or dont le pays est l’un des grands producteurs mondiaux, l’élite dirigeante du  Kleptoneria était devenue, en l’espace de quelques générations, une classe de voleurs cupides et insatiables. Cette culture a été intériorisée par tous les habitants, dans toute la structure sociale du pays, du plus pauvre au plus riche. Chacun était corrompu, trompait ou cherchait à tromper son prochain, et les Kleptonérians vivaient dans la méfiance permanente les uns des autres. Les dirigeants, à tous les niveaux s’accaparaient des richesses du pays, se livraient à un gaspillage monstrueux des ressources publiques, et  menaient un train de vie aussi grandiose que scandaleux au vu de la misère noire qui sévissait dans le pays.

En effet,  nombreux étaient les Kleptonérians qui ne mangeaient pas à leur faim ; à cause de l’or dont la recherche et l’extraction occupaient toutes les strates de la société,  plus personne ne cultivait la terre. Il n’y avait aucune industrie dans le pays autre que celles qui gravitent autour de la recherche,  l’extraction et l’exportation de l’or. Une sorte d’esclavage du travail basé sur la production de l’or s’était substitué aux diverses activités normales d’une communauté humaine normale ; de sorte que, de la plus petite aiguille aux grandes machines sophistiquées en passant par les produits vivriers,   les Kleptonérians ne fabriquaient ou ne produisaient rien par eux-mêmes. Les produits de subsistance étaient importés grâce au revenu généré par l’or.

Ce mode d’économie typiquement africain basé sur la culture du renoncement et la monoculture de l’or avait conduit le pays au bord de la ruine. L’anomie s’installait. Les violences et les crimes de toutes sortes secouaient la société de toutes parts. Pour y remédier, un nouveau régime accéda au pouvoir sous la houlette d’un vieux chasseur nommé Ribahu. Le vieil homme qui avait accédé au pouvoir à plus de quatre-vingts ans mais qui passait pour un septuagénaire, s’était fait élire sous le slogan de la lutte contre la corruption et du changement. En raison de la sagesse que l’on prête aux vieux chasseurs, les Kleptonérians aux abois avaient vu en lui  l’homme capable de terrasser la bête immonde de la corruption qui dévorait leur société et la menaçait de ruine.

Mais à dire vrai, sans parler même de vision, Ribahu n’avait aucune originalité en tant qu’homme politique. Il s’était simplement revêtu de la blanche tunique du chevalier de la lutte contre la corruption, parce que l’idée en était en vogue,  et le peuple croyait en l’arrivée d’un messie. Les Kleptonérians ne se rendaient pas compte que, comme toute chose, la lutte contre la corruption qui rongeait leur pays commençait d’abord par la contribution personnelle, la volonté libre et ferme de chacun d’y renoncer. Ils ne voyaient pas que le nouvel édifice d’une nation débarrassée de la corruption dont ils rêvaient ne pouvait se bâtir qu’avec la pierre de chacun.

Et puis, quelles que soient les capacités de Ribahu  à hisser les Kleptonérians de l’abîme où des décennies de corruption  et de mauvaise gouvernance les ont jetés, quelle que soit sa propre probité – putative, fausse ou réelle – il se trouvait confronté à une question méthodologique. La question  peut se formuler comme suit :  comment un régime de corrompus, dans un pays de corrompus, face à une opposition de corrompus peut-il légitimement et efficacement mener la lutte contre la corruption ?

Ne voulant pas se départir de son image de chevalier blanc de la lutte anticorruption, la réponse de Ribahu a consisté à cibler l’opposition et à  en jeter les membres en pâture à la vindicte populaire. Compte tenu de leur rêve de le voir éradiquer le fléau, cette stratégie de Ribahu combla l’attente des Kleptonérians. Mais avec le temps, la mise à l’index des seuls acteurs de l’opposition érigée en réponse unique au fléau de la corruption laissait un goût âcre d’injustice et d’abus de la crédulité collective. Cette stratégie de Ribahu, qui ne disait rien de l’écurie d’Augias qui lui tenait lieu de gouvernement  a fini par déciller les yeux des Kleptonérians. Les Kleptonérians ont pris conscience que,  sur la question de la corruption, Ribahu trompait son monde.

Alors que les élections générales au Kleptoneria sont imminentes, et que le vieux Chasseur se présente à sa propre succession, les Kleptonérians vont-ils commettre l’erreur de confier à nouveau leur destin à l’un des représentants de ces vieux chasseurs sans boussole ni vision qui ont abusé de leur confiance ? Ou bien vont-ils choisir un dirigeant neuf, intègre,  instruit rodé à la science de la gouvernance économique et qui les conjure de l’aider à donner à leur pays la place  qui lui revient dans le concert des nations ?

Bejide Alamoran

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