Si la reconstitution historique échoue à produire une vision assurée de l’origine des écritures, les récits mythiques en revanche en proposent une version idéalisée, attribuant l’invention instantanée de l’écriture à un personnage extraordinaire, héros civilisateur, dieu ou empereur mû par une inspiration divine, un songe ou une intelligence hors du commun.
Petit tour du récit des origines de l’écriture selon les civilisations
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Le Mythe ÉgyptienL’histoire raconte que, blasé et las des hommes, Rê avait quitté l’Égypte et nommé Thot dieu de la sagesse. « Écoutez-moi tous, je suis à ma place dans le ciel, autant que je le peux, je veux que ma lumière brille dans l’autre monde… Et toi, tu seras mon scribe ici, tu maintiendras la justice parmi les gens de ce monde. Tu prendras ma place, tu seras mon substitut. Ainsi, tu seras appelé Thot, le substitut de Rê. » Sur les ordres de Rê, les hommes reçurent de Thot les hiéroglyphes, c’est-à-dire les paroles sacrées qui permettraient l’appropriation de toute sagesse. Thot règne sur les arts de l’écriture, de l’arpentage, de la médecine, de la mathématique, de l’astronomie. Il est aidé par Seshat, la maîtresse des livres, qui gère les archives, rédige les chroniques des rois, inscrit leurs noms sur les feuilles de l’arbre de la vie. La ruse ne lui est pas étrangère. Ainsi permit-il à la déesse Nout de donner naissance à ses enfants. Rê, jaloux, avait interdit à Nout d’épouser Geb, le dieu de la terre, et comme elle avait désobéi il défendit aux douze mois de la laisser accoucher. Alors Thot invita la Lune à un jeu et gagna la soixante-douzième partie de sa lumière, soit cinq jours. Il offrit ces cinq jours à Nout, pour qu’elle puisse mettre au monde ses enfants Osiris, Horus, Seth, Isis, et Nephthys. Décrit dans le Livre des morts comme « le scribe parfait aux mains pures », Thot est plus qu’un dieu créateur, il est le verbe même du dieu créateur. « Je donne le souffle à celui qui demeure dans le monde caché grâce aux paroles magiques qui sortent de ma bouche, afin qu’Osiris triomphe de ses adversaires. »
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Le Mythe GrecIl y avait alors en Phénicie un roi qui avait une fille fort jolie, nommée Europe. Naturellement, Zeus en tomba amoureux et, ayant pris la forme d’un taureau blanc, il l’enleva. Le père d’Europe envoya ses autres enfants à la recherche de sa fille. L’un d’eux, Cadmos, après avoir erré longtemps sur la Méditerranée, parvint à Delphes, où l’oracle lui apprit qu’il ne retrouverait jamais sa sœur. Mais l’oracle lui dit aussi qu’il fonderait une ville là où le mènerait une génisse blanche. La cité qu’il fonda s’appela Thèbes. Cependant, pour remercier les dieux, il fallait sacrifier la génisse. Les compagnons de Cadmos allèrent donc puiser de l’eau dans un petit bois. Mais le bois et la source appartenaient à Arès, le dieu de la guerre, et un dragon les gardait. Le monstre dévora les compagnons de Cadmos avant que le héros ne parvienne à le tuer. Sur l’ordre d’Athéna, Cadmos traça un sillon pour fixer les limites de la future ville et il y sema les dents du dragon. Surprise ! À peine avait-il terminé que des hommes en armes surgirent de terre ! Tous les guerriers s’entre-massacrèrent, sauf cinq qui devinrent les nouveaux compagnons de Cadmos. Cadmos, attristé par la mort de ses compagnons, dessina sur le sable un emblème différent pour chacun d’eux : ainsi, il pouvait les évoquer et s’en souvenir. Et il attribua également un signe à chacun de ses cinq nouveaux compagnons. D’après Hérodote. |
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Le Mythe TouaregAmerolqis appartient au monde préislamique et mythique. Sa personnalité repose sur un paradoxe : sa créativité culturelle s’oppose à la stérilité de ses performances génésiques qui font éclater toutes les femelles – animales ou humaines – qu’il approche, car c’est un géant. Sans descendance biologique, il est le créateur des traits majeurs de la vie sociale : l’écriture (confondue avec la langue), la poésie et la musique transmise par le violon monocorde. Personnage mythique, à la fois donjuanesque et romantique, héritier du célèbre Imrou’l-Qays, poète préislamique d’Arabie, Amerolqis aurait inventé les formules destinées à expliciter chaque signe conçu comme un code. Géant à l’intelligence puissante, il aurait initié l’homme à des connaissances qui ne lui étaient pas destinées. Il appartient, par ses caractéristiques prométhéennes, aux mythologies universelles. Il a du héros civilisateur les qualités exceptionnelles, la situation unique et supérieure, donc totalement solitaire |
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Le Mythe ChinoisDans les temps anciens, Fuxi régnait sur le monde. Levant les yeux, il contempla les figurations qui sont dans le ciel. Baissant les yeux, il contempla les phénomènes qui sont sur la terre. Il considéra les marques visibles sur le corps des oiseaux, et il considéra les dispositions avantageuses offertes par la terre. Il emprunta à proximité, et il emprunta à distance. Il commença alors à créer les huit trigrammes, afin de communiquer avec le pouvoir de l’Efficience infinie à l’œuvre dans l’univers, et il classa les conditions de tous les êtres. Des trois « Grands Ancêtres », empereurs mythiques de la Chine, le premier est Fuxi, à la tête humaine sur un corps de serpent. C’est lui qui enseigna aux hommes les signes fondamentaux de l’écriture, les « huit trigrammes ». Sous le règne du troisième « Grand Ancêtre », Huangdi, l’Empereur Jaune, considéré comme le fondateur de la Chine, le scribe-devin Cang Jie, dont les deux paires d’yeux lui permettaient de voir au-delà des apparences, aurait imaginé les caractères chinois en observant tour à tour les figures géométriques dessinées dans le ciel par les oiseaux en formation de vol et les traces de leurs pattes sur le sol. Il aurait ainsi appareillé les signes d’en haut avec ceux d’en bas et tracé les premières écritures. On dit que les dieux se seraient mis alors à trembler de rage parce qu’un mortel avait percé les secrets réservés aux immortels. Et l’on dit aussi que, pour réparer le désordre, les dieux se résolurent à faire de Cang Jie un demi-dieu. D’après le Livre des mutations. |
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Le Mythe HébraïqueAu commencement du monde, Dieu créa d’abord les lettres. Puis, à partir de ces lettres, il créa le Ciel et la Terre. À Moïse, il les révéla : « L’Éternel dit à Moïse : Monte vers moi sur la montagne et y demeure, je veux te donner les tables de pierre, la doctrine et les préceptes que j’ai écrits pour les enfants d’Israël… Dans son indignation, Moïse brisa les Tables et les lettres s’envolèrent. Et Moïse remonta les mains vides au sommet de la montagne du Sinaï. Il y eut une deuxième fois et Moïse écrivit alors sous la dictée de Dieu, dans le ressouvenir de la graphie divine à jamais perdue. » D’après le Livre de l’Exode et le Talmud. |
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Le Mythe MayaItsamna serait, selon les sources ethno-historiques de la mythologie maya, le créateur de l’écriture et le protecteur des prêtres. « Premier prêtre » et « premier scribe », il est presque toujours, dans l’iconographie classique, assis sur un trône céleste. Le « dragon barbu » qui fait jaillir les divinités de sa bouche, est sa représentation animale. Pawahtun est lui aussi presque toujours représenté sur son trône. C’est une divinité âgée portant une coquille d’escargot sur le dos ou sortant de cette coquille. À ces deux dieux sont subordonnés des dieux inférieurs identifiables, par leur coiffure, comme scribes et comme lettrés. L’un des plus significatifs est le jeune dieu du maïs. Dans l’iconographie classique, son crâne est allongé et tordu, à l’image d’un épi de maïs. Il porte sur le devant de sa coiffure un dieu farceur. S’il a été choisi comme divinité protectrice des scribes et de l’écriture, c’est peut-être parce que la préparation des grains de maïs qu’on faisait tremper avant de les réduire en pâte ressemblait, dans le monde précolombien, à celle du papier obtenu par trempage des fibres d’écorce d’amate. En outre, les Mayas établissaient sans doute aussi un lien entre la pâte de maïs qui assurait leur subsistance et le papier sur lequel ils archivaient leur savoir. Dans les récits du Popol Vuh, le jeune dieu du maïs a un frère jumeau. Avec lui il descend à Xibalba, le monde inférieur, où ils meurent tous les deux et sont ressuscités par les Héros jumeaux. D’après L’Art maya et sa calligraphie, de Michael D. Coe, Justin Kerr, Éditions de la Martinière, 1997. |
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Le mythe aztèqueQuetzalcoatl est un dieu barbu, portant un masque, deux boucles d’oreilles à pendentifs, un pectoral appelé « joyau du vent » et un chapeau en forme de cône. Il est le fils du dieu du soleil et de l’une des déesses de la lune. Il est le dieu de la végétation et du vent, il est la force de la vie. C’est un dieu bienfaisant, législateur et civilisateur. Il donne à ses fidèles la culture du maïs, les arts, les techniques, la sculpture, et il leur donne l’écriture. Il leur enseigne la mesure du temps par le calendrier et le mouvement des étoiles. Lorsque Quetzalcoatl est condamné à l’exil, il part vers l’océan. Parvenu sur le rivage, il prépare un bûcher et s’y jette. Alors, des oiseaux sortent des flammes et on voit le cœur de Quetzalcoatl s’élever au milieu d’eux et se transformer pour devenir la planète Vénus. Les Aztèques seraient arrivés dans la vallée de Mexico guidés par les amoxoaque, les « possesseurs de livres », qui portaient les dieux dans leur dos et qui portaient aussi « l’encre noire, les couleurs, les livres, les écrits, qui portaient le savoir ». D’après Les Grandes Figures des mythologies, de Fernand Comte, Paris, 1997.
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Le mythe mésopotamienDe tous les métiers humains dont le dieu Enlil a nommé les noms, il n’a nommé le nom d’aucun métier plus difficile que l’art du scribe. C’est à Nabu et à son épouse Tashmeton que les Mésopotamiens attribuaient l’invention de l’écriture. Au début de chaque année, les dieux s’assemblaient dans l’Oupshousteira, le sanctuaire des destins. Marduk détachait de sa poitrine la « tablette aux destins ». Il la confiait à son fils Nabu pour qu’il y grave les arrêts des dieux, réglant ainsi pour un an le sort de chaque mortel, et Nabu pouvait à son gré augmenter ou diminuer le nombre de jours assigné à chacun. Muni du style, du ciseau et de la tablette à graver, Nabu est « sauveur des dieux et créateur des hommes », et le roi d’Assyrie Assurbanipal lui rend hommage en ces termes : « Le dieu Nabu, le scribe de l’univers m’a fait présent de sa sagesse […], j’ai appris les connaissances que le sage Adapa a apportées aux hommes; les trésors cachés du savoir des scribes […], j’ai été initié aux présages du ciel et de la terre […], j’ai résolu les divisions et les multiplications compliquées qui défient l’entendement […] et je sais déchiffrer les pierres inscrites d’avant le Déluge qui sont hermétiques, sombres et embrouillées. » Aux côtés de Nabu, Nisaba, sœur d’Enki, a la garde de l’écriture : « Ma noble sœur, la sainte Nisaba, a reçu la règle à mesurer et garde à son côté l’étalon de lazulite; elle diffuse les grands pouvoirs, fixe les frontières, marque les bornes, elle est devenue la secrétaire du pays… » D’après un mythe sumérien connu sous le nom d' »Enki et l’ordre du monde « . |
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Le mythe runiqueIl n’a qu’un seul œil, sa barbe est longue et le manteau bleu dans lequel il s’engouffre lui donne un air inquiétant et fort mystérieux. Edda poétique, dits du Très Haut |
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