Afrique : Pour Mieux la Rejeter, Objectivons D’abord Notre Servitude

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Le courage des Africains considérés dans leur majorité ne va jamais jusqu’à la limite du suicidaire. L’éventualité de payer sa liberté de sa vie, qui est le principe économique et éthique même de la liberté n’est pas valorisée par les Africains.

On le voit avec l’esclavage. Ce n’est pas pour dire qu’il n’y a pas eu des résistants en amont et en aval de cette barbarie de la réification et de l’animalisation du Noir. Il y a, on le sait, des individus, des groupes, et des royaumes entiers qui ont résisté. Il y a eu des suicides individuels voire collectifs d’Africains qui préféraient la mort à l’esclavage et aux viols dans les négriers. Mais ces résistances n’ont pas empêché l’esclavage de fonctionner ; et bien qu’elles eussent traversé tout le temps de l’esclavage, les résistances sont apparues comme marginales, et elles n’ont pas empêché sa naturalisation et son fonctionnement dans la durée. Une durée – quatre siècles, et pas moins ! – trop longue pour ne pas laisser des séquelles sur l’Afrique et les Africains d’aujourd’hui.

Or, la preuve qu’une race humaine peut unanimement et fermement rejeter l’esclavage et lui préférer la mort est donnée par les Indiens d’Amérique. Alors on peut se demander pourquoi l’Afrique a fait ce choix de la soumission au lieu de préférer la mort ?

On peut considérer que nous avons joué les roseaux, nous avons plié pour ne pas rompre. Rétrospectivement, comparés aux Indiens qui ont rejeté catégoriquement l’esclavage, nous pouvons dire que nous avons tiré notre épingle du jeu démographique et existentiel de l’histoire : nous sommes toujours là et nous comptons par centaines de millions, alors que les Indiens, pour avoir rejeté l’esclavage des Blancs sont exterminés. Nous avons un continent, l’Afrique, auquel on nous identifie, alors que l’Amérique n’identifie plus les Indiens, premiers habitants de ce continent, ravagé, pillé et victime d’un génocide implacable de la part des Européens. Signalons au passage un aspect assez grave de la dimension symbolique des représentations historiques : c’est que, après ce crime inaugural d’une barbarie sans nom,  l’Occident est parvenu à l’euphémiser, à le dénier, à le refouler, et à oser se faire passer aux yeux du monde comme une race d’humains dignes de ce nom, capables de donner des leçons d’humanité au reste du monde. Il y a là quelque chose qui doit nous faire réfléchir sur la violence symbolique qui dans l’histoire va de pair avec la violence politique.

Et c’est dans les filets de cette violence symbolique qui obstrue notre claire vision du monde et de l’histoire — la nôtre mais aussi celle des autres et de leurs rapports à nous — c’est dans le marais de cette chloroformisation naturalisée de notre conscience  que nous sommes piégés, lorsqu’on parle de nous en termes de nations libres ou d’États indépendants qui auraient des chefs et leur place dans le concert des nations du monde !

Aujourd’hui aussi, dans les États africains, la plupart de nos dirigeants jouent les roseaux pour ne pas rompre. On appelle ça trahison, intelligence ou collaboration avec le Blanc. Il ne faut certes pas leur en jeter la pierre. Ce n’est pas une pensée correcte que de croire un Ouattara opposé à un Gbagbo ou un Compaoré opposé à un Sankara. Ce sont tous des Africains dignes de ce nom qui ont été confrontés à une alternative implacable et qui y ont répondu par inconscience, par intérêt ou par réalisme. L’Alternative est d’une simplicité légendaire : le Cimetière ou le Château. «Ou bien tu refuses de danser au son de ma musique et tu te retrouves à deux mètres sous terre ou au mieux dans une prison, ou bien tu danses comme un ours et tu auras des châteaux, des femmes, des richesses, mon amitié, et des comptes dans mes banques et  paradis fiscaux.»

Mais dans la mesure où n’étant pas fous, la plupart de leurs dirigeants choisissent naturellement le terme positif de cette alternative tragique, les Africains continuent de végéter dans la condition d’esclavage des temps passés, à ceci près que jadis, la conscience de celle-ci ne leur était pas déniée et que maintenant ils sont pour la plupart induits à croire le contraire. C’est comme si un magicien perfide ayant transformé un homme en singe, est parvenu à faire croire à  ce dernier qu’il est toujours un homme, et celui-ci, ajoutant foi à cette tromperie, saute de branche en branche dans son arbre en criant : «Je suis un homme ! Je suis un homme ! »

L’Afrique dans sa grande majorité ne peut pas continuer à faire sienne l’éthique de roseau. Nous devons changer de paradigme mental et éthique. L’esclavage mental dont parlait Bob Marley est encore malheureusement en vigueur et ses chaînes à peine invisibles pèsent sur nos esprits. Nous devons en secouer vigoureusement le joug. Les Blancs disent que nous sommes indépendants alors qu’ils nous assujettissent pour piller nos ressources matérielles et humaines dont ils ont du mal à accepter qu’elles puissent nous échoir en priorité. Et pour cela ils ont actualisé le mode de notre antique asservissement. Par rapport à leur histoire, les Blancs ont fait leur devoir. De l’ancien système d’esclavage que leurs ancêtres leur ont légué, ils sont parvenus à en faire un système apparemment invisibles mais plus redoutables et plus inhumain que celui dont ils ont hérité. A nous de faire notre propre devoir. Pour nous libérer de l’esclavage actualisé qu’ils nous imposent, nous devons reformuler les termes de notre liberté. Et cette reformulation passe par l’objectivation de notre servitude : symbolique, intellectuelle, conceptuelle et politique. Comme un Peter Abrahams en son temps, n’ayons pas peur de dire «  Je ne suis pas un homme libre. » Et prouvons au monde cette vérité pour qu’elle puisse nous aider à nous libérer.

Adenifuja Bolaji

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