La Force des Petits États : le Paradoxe de la Vulnérabilité

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À propos de : J. L. Campbell et J. A. Hall, The Paradox of Vulnerability : States, Nationalism, and the Financial Crisis, Princeton UP

Les petits États sont-ils plus efficaces ? John Campbell et John Hall mettent en évidence la capacité de résistance de ces États face aux crises économiques, mais leur analyse pèche par excès de culturalisme.

Les petits États figurent régulièrement en tête des indices de bien-être et des classements internationaux des pays les plus compétitifs. Ces pays sont fréquemment mentionnés comme des « modèles » dont la France gagnerait à s’inspirer pour réformer l’État, dynamiser les exportations et améliorer la compétitivité. Comment expliquer le succès économique de ces petits États ? C’est à cette question que John Campbell et John Hall tentent de répondre dans un livre succinct (170 pages) examinant la façon dont le Danemark, l’Irlande et la Suisse ont géré la crise de 2008.

L’argument central de l’ouvrage peut se résumer en 3 temps : 1) sans ressources naturelles et dotés d’une faible capacité militaire, les petits États ont historiquement connu le risque de la disparition et la crainte de l’anéantissement ; 2) cette vulnérabilité au monde a occasionné le développement de solidarités nationales et de mécanismes institutionnels permettant d’absorber les crises ; 3) ces mécanismes d’adaptation à la vulnérabilité rendent ces pays prospères et résilients aux crises financières. Ceci forme le « paradoxe de la vulnérabilité » qui sert de principe organisateur au livre.

Identité nationale et dialogue social

L’ouvrage complète utilement les analyses classiques d’économie politique comparée sur la prospérité des petits États. Dans les travaux précurseurs de Peter Katzenstein (1985), la source de la résilience des petits États face aux crises provient d’institutions néo-corporatistes permettant la représentation politique d’intérêts concurrents et l’adoption de solutions consensuelles et négociées. Dans les petits États, la recherche du consensus réduit la conflictualité et accroît l’efficacité de l’action publique. J. Campbell et J. Hall cherchent ici à contextualiser et historiciser cette analyse du néo-corporatisme des petits États : d’où provient une telle idéologie du dialogue social ? Dans quels contextes culturels ces institutions néo-corporatistes émergent-elles ? Et comment les petits États se différencient-ils dans leur gestion de la crise de 2008 ?

Pour répondre à ces questions, les auteurs mobilisent une approche comparative historique centrée autour de la notion d’« identité nationale », qu’ils définissent comme un ensemble de solidarités sociales et culturelles favorisant une action publique concertée (p. 9). Cette formulation se rapproche de celle de capital social développée par Robert Putnam (pour une synthèse : Lallement 2006). À la façon des réseaux, des normes et des valeurs, l’identité nationale est ici une ressource qui facilite la coopération au sein des groupes sociaux et entre eux. Le premier apport du livre est de suggérer que les petits États sont plus à même que les grands pays de s’organiser autour de systèmes de valeurs partagées et d’une langue commune et, donc, de développer des institutions propices à la résilience face aux crises. Une forte cohésion nationale permet le développement d’institutions robustes (« thick institutions ») caractérisées par 3 composants principaux : mobilisation des savoirs experts, structures permettant le dialogue social et préparation au risque. Le second apport du livre est de montrer que la notion d’identité nationale admet des significations variées en fonction du mode historique de construction de l’État. Lorsqu’elle cimente et produit du consensus, comme c’est le cas du Danemark et de la Suisse d’après les auteurs, l’identité nationale favorise la prospérité économique parce qu’elle permet le développement d’institutions robustes qui renforcent la résilience du pays face aux crises. Mais lorsque l’identité nationale tend à politiser les différences linguistiques ou religieuses, comme en Irlande, elle ne permet pas le développement d’institutions robustes et ne favorise donc pas la résilience face aux crises.

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