La Médicalisation du Corps Noir

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Florissante, l’histoire des rapports entre race et santé s’est récemment tournée vers les origines de la médecine aux États-Unis et le rôle décisif que les esclaves africains, morts ou vivants, y ont joué. Une histoire à leur corps défendant et dont pourtant leurs voix émergent.

Les 23 et 24 février 2018, à l’université de Rice, à Houston au Texas, s’est tenu le tout premier colloque international consacré à l’histoire de la médecine dans le contexte de l’esclavage dans les Amériques [1]. Le colloque rassemblait aussi bien des historiens et des américanistes travaillant principalement sur une période allant de l’ère esclavagiste (XVIIIe-XIXe siècles) jusqu’au début du XXe siècle, que des acteurs de la société civile et membres d’organisations de défense des droits civiques s’intéressant particulièrement aux liens que ces recherches historiques peuvent présenter avec les luttes contre les discriminations « raciales » dans le domaine de la santé aujourd’hui, aux États-Unis.

L’organisation d’un tel évènement scientifique témoigne de la vivacité d’un champ de recherche qui s’est structuré relativement récemment, 40 ans après la publication du livre pionnier de Todd Savitt (Savitt, 1978). Longtemps pensées comme marginales par rapport aux travaux plus généralistes d’histoire économique et sociale traitant des sociétés esclavagistes, les études historiques sur la race et la médecine ont connu un renouveau tout particulier depuis les années 2000, avec la publication de nombreux ouvrages et articles éclairant à la fois les relations entre le développement de l’esclavage aux États-Unis et l’émergence de nouvelles pratiques et théories médicales déployées majoritairement par des médecins blancs pour traiter les corps noirs sur les plantations (Willoughby, 2017 ; Kenny, 2011), les expérimentations sur les corps des esclaves par les médecins blancs, mais aussi la mise en place, par les esclaves et leurs descendants, pendant et après l’esclavage, de pratiques médicales alternatives et de soins auto-administrés, souvent désignés comme illégitimes par les médecins qui, eux, pratiquaient une science de tradition euro-centrée (Long, 2016 ; Fett, 2002 ; Schiebinger, 2017). Ce nouveau champ de recherche saura intéresser à la fois les philosophes, les sociologues et les historiens de la médecine et des sciences, mais aussi les sociologues des relations inter-ethniques et les historiens des minorités raciales et sexuelles, puisqu’il permet de penser les relations de domination et de subjectivation des corps marginalisés avec les processus de médicalisation et d’essentialisation du social dont ils font l’objet.

S’appuyant sur des recherches minutieuses en archives, les ouvrages de Hogarth, Cooper Owens et Berry ont en commun de proposer une réflexion sur les pratiques de biologisation du social, de commodification et de médicalisation des corps noirs entre les XVIIIe et XIXe siècles. Faisant l’histoire des expérimentations médicales, du développement de la science médicale aux dépens des corps noirs, mais aussi des pratiques de résistance des esclaves confrontés à l’objectivisation de leurs propres corps, leurs travaux viennent nourrir une réflexion d’actualité en révélant les relations de pouvoirs inhérentes à la production des savoirs médicaux. Ils mettent en évidence le rôle décisif d’un corps noir créé par le marché et la médecine dans la rigidification de la hiérarchie raciale aux États-Unis.

Les maladies du corps noir

Dans Medicalizing Blackness : Making Racial Difference in the Atlantic World, 1780-1840, l’historienne Rana A. Hogarth met en lumière les théories et les pratiques médicales développées par des médecins britanniques et étatsuniennes sur les esclaves sur la côte de la Caroline du Sud aux États-Unis et dans les colonies britanniques des Caraïbes entre 1780 et 1840. Hogarth s’intéresse non seulement au développement de savoirs médicalisant les différences corporelles des esclaves, mais aussi aux processus de circulations de ces nouveaux savoirs dans une économie plus large des pratiques, en relation avec le maintien du système esclavagiste dans les Amériques.

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