par Àdánɖéjan Boɖéà
Résumé : Cet article propose une lecture critique d’une publication récente de l’écrivain béninois Florent Couao-Zotti sur la situation politique togolaise, afin d’en extraire les enjeux discursifs et idéologiques. Au-delà du commentaire littéraire ou mémoriel, nous mettons en évidence la manière dont cette prise de parole, apparemment critique, participe à la délégitimation des forces panafricanistes contemporaines, tout en entretenant un flou complaisant sur les logiques néocoloniales qui structurent les pouvoirs en Afrique de l’Ouest.
Introduction : entre chronique du réel et fiction du désespoir
Le 7 juin 2025, l’écrivain béninois Florent Couao-Zotti publie sur sa page Facebook un texte intitulé « Togo : l’éternel recommencement ? ». S’inscrivant dans une tradition africaine de chronique politique littéraire, ce texte mêle récit historique, affect et critique sociale autour des manifestations récentes provoquées par l’arrestation du rappeur Aamron. L’article, à première vue solidaire des aspirations démocratiques togolaises, révèle en creux les contours d’une posture intellectuelle ambiguë, où la critique interne des régimes autoritaires africains masque l’absence d’analyse structurelle du système néocolonial dont ils procèdent.
I. Une critique en surface : le pouvoir togolais sans son adossement international
Le texte dépeint avec verve et acuité la répression cyclique des espoirs populaires au Togo. De la dictature paternelle d’Eyadéma aux dérives dynastiques de son fils Faure, Couao-Zotti retrace un demi-siècle de déni d’alternance. Mais à aucun moment, l’auteur n’évoque les alliances stratégiques entre ces régimes et les puissances occidentales, notamment la France, qui ont assuré leur pérennité. Le soutien diplomatique, militaire et financier de Paris au régime togolais, même lors des crises majeures, est systématiquement occulté. Ce silence constitue une lacune majeure qui édulcore la responsabilité systémique de la Françafrique dans le blocage politique régional.
II. La figure de l’intellectuel désabusé : un rempart contre la radicalité panafricaine ?
La tonalité du texte oscille entre lyrisme mélancolique et satire désenchantée. Mais cette posture de lucide fatiguée vire au dérisoire lorsqu’elle s’attaque à ceux qui tentent de penser autrement la souveraineté africaine. Ainsi, les journalistes Alain Foka et Domtché sont qualifiés de « vendeurs de panafricanisme frelaté ». Cette formule légitime un rejet du discours panafricaniste contemporain en le ravalant au rang de produit commercial démagogique. Elle participe à une entreprise plus large de disqualification des voix critiques vis-à-vis des institutions postcoloniales (CEDEAO, OIF, coopération militaire, etc.).
III. Une biographie en résonance avec le silence politique
Florent Couao-Zotti est une figure emblématique de la littérature francophone postcoloniale, publiée en France, régulièrement invitée dans les circuits culturels soutenus par l’OIF et les chancelleries occidentales. Son tropisme vers une esthétique de l’ambiguïté, du grotesque et de la résignation sociale rejoint ici un positionnement politique qu’on pourrait qualifier de neutralité fonctionnelle. En refusant de nommer les structures de domination externe, et en disqualifiant ceux qui le font, il adopte une posture conforme aux attentes des institutions culturelles dominantes : critique interne mais sans radicalité, contestataire mais jamais révolutionnaire.
Conclusion : de la lucide indignation au rôle d’auxiliaire involontaire ?
Loin d’être un pamphlet révolutionnaire, le texte de Couao-Zotti s’inscrit dans une logique de gestion symbolique de la colère populaire. En donnant à voir l’échec des espoirs togolais sans jamais en interroger les causes internationales, il participe à neutraliser les dynamiques de rupture portées par des mouvements comme l’AES. Son attaque contre les figures du panafricanisme critique en fait un acteur, sinon volontaire, du moins complice du maintien du paradigme françafricain. C’est en cela que sa biographie intellectuelle et culturelle devient pertinente : elle révèle comment certains intellectuels africains, tout en se réclamant de la justice et du peuple, contribuent à la perpétuation d’un ordre qu’ils prétendent observer avec détachement.
Àdánɖéjan Boɖéà
Mots-clés : Florent Couao-Zotti, Togo, Françafrique, néocolonialisme, AES, panafricanisme, critique littéraire, intellectuels africains, neutralité politique.
