France : le Vote Républicain

Jean-Luc Mélenchon

En France depuis Mitterrand s’est sournoisement installée dans les mœurs la tradition du vote dit républicain ; elle correspond à une autre installation toute aussi sournoise, celle du Front national devenu synonyme de l’Extrême droite.

C’est de ce mécanisme qu’a profité pour devenir Président un inconnu comme Macron, qui était encore au biberon lorsqu’il se mettait en place sous Mitterrand. Depuis lors, tout candidat aspirant à devenir Président de la République en France n’a qu’une tâche propédeutique à accomplir : tout faire pour se retrouver au second tour face au candidat de l’Extrême droite. Ce qui suppose que tout est fait pour que ce candidat de l’extrême-droite soit suffisamment favorisé pour se retrouver au second tour mais en même temps suffisamment diabolisé pour être massivement rejeté au second tour. Ce qui, au passage, a fonction de plébiscite pour son adversaire – quel que fût son score au premier tour– qui apparaît comme le sauveur de la République.

A tort ou à raison, le candidat de l’Extrême droite est revêtu dans l’imaginaire de la grande majorité des Français des oripeaux du diable, de la haine, de l’intolérance et de l’arbitraire. En raison de ses positions nationalistes et du discours de la préférence nationale qui va de pair avec la bouc-émissairisation des étrangers, et d’une personnalité comme Jean-Marie Le Pen qui l’incarna à ses moments forts,  l’Extrême-droite est accusée de nostalgie nazie, de haine des étrangers, des Noirs et des Arabes, notamment dans leur  versant islamique. Elle constitue souvent et non sans raison, la figure transactionnelle de la haine et de la xénophobie qui, sous des formes diverses, caractérisent l’histoire des Blancs dans leurs rapports aux non-Blancs.

Un moment spectaculaire de la manifestation de ce vote a été le face à face Chirac/Le Pen d’avril 2002. Lors du premier tour de l’élection présidentielle de cette année-là, après avoir bien compris que la voie royale de l’élection était de se retrouver face à Le Pen, le système a tout fait pour qu’il en soit ainsi. Entre autres choses, cela a supposé, à gauche, la montée de candidatures parasites comme celle de Taubira, ou au contraire, à droite, le désistement du candidat de droite extrême, Charles Pasqua.

Ces manigances politiciennes savamment orchestrées ont conduit à un premier tour catastrophique, apparenté à un séisme politique, dans la mesure où, pour la première fois depuis des décennies, la gauche était exclue du second tour. Le candidat du parti socialiste, Lionel Jospin dut se rendre à l’évidence de son exclusion du jeu ; une exclusion  pour le moins inattendue d’un homme qui, en tant que premier ministre d’un gouvernement de cohabitation, était en droit d’espérer mieux. L’émergence du duel Chirac/Le Pen avait des allures d’une tragédie. Le fait que M. Le pen se retrouvât au second tour était agité dans les médias comme une menace à la Démocratie. Les valeurs républicaines étaient présentées comme menacées. Il est vrai que Jean-Marie Le Pen n’avait rien d’un ange et que sa diabolisation n’était pas une vue de l’esprit.

Le dénouement, on le sait, a été la mobilisation contre l’Extrême-droite, le vote dit républicain, qui a permis à Chirac, avec 80%  des voies, non seulement d’être élu haut les mains, mais de recevoir comme une onction de plébiscite pour le moins douteuse.

Depuis lors, l’appel au vote républicain ainsi que le conditionnement des réflexes à cet effet, structure la vie politique française. Subtilement mise en terre par Mitterrand dans le terreau de la diabolisation de l’Extrême droite lepéniste, la graine vicieuse du vote républicain a germé et nourri plus d’une élection. Et pourtant, il n’y a a rien de plus absurde que ce concept lorsque l’on voit le mécanisme vicieux qui régit son fonctionnement. En général, les protagonistes, dupés ou dopés par l’industrie sondagière à la solde de l’oligarchie au pouvoir, font mine de croire à leur étoile jusqu’au lendemain du premier tour où leurs divisions et leur culte de l’égo ont conduit à faire émerger le schéma fétiche, qui appelle ensuite au « sursaut républicain. » Alors, l’appel au vote républicain devient un impératif catégorique brandi par toutes les bonnes consciences, de part et d’autre de l’échiquier politique.

Or, rien n’empêche l’esprit républicain d’être un peu plus réfléchi, un peu plus prévoyant et stratégique. Si l’union sacrée pour la République est possible est-ce seulement  au second tour qu’elle s’impose ? Pourquoi ne pas la prévoir avant le premier tour afin d’éviter ensuite de se mettre dans tous ses états ? Pourquoi les protagonistes se laissent-ils griser par l’hubris des sondages et restent-ils aveugles jusqu’au lendemain du premier tour ?

L’exemple le plus immédiat peut être considéré avec les prochaines élections où les divers candidats de gauche, ont tour à tour – en tout cas à en croire les sondages – fait pschitt. A la seule exception de Jean-Luc Mélenchon avec son Union Populaire, qui ne s’en laisse pas conter. Dans ce cas d’espèce, au lieu d’attendre que Zémmour ou Marine Lepen se retrouve en face de Macron au second tour, qu’est-ce qui empêche tous les partis de gauche – de l’écologie jusqu’au parti communiste – de faire union populaire avec Jean-Luc Mélenchon au premier tour ?  Il va de soi qu’une telle union aurait l’avantage de clarifier le débat et l’espace politique. Elle montrerait que, vu la situation dans laquelle le système politique français s’est enlisée depuis l’émergence assistée de la figure de Le Pen,  la vraie lutte contre les partis qui  menacent la République est une lutte qui se fait aux aurores et non pas une lutte crépusculaire, faussement héroïque. Et c’est cela le vrai sens du vote républicain !

Bodéa Aupiais

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