Bénin : l’Amicale des Dictateurs

l’Amicale des Dictateurs

Au Bénin, depuis au moins le Renouveau démocratique, dans la série des Présidents, il y a une logique de sublimation mémorielle qui veut que le diable d’hier devienne l’ange d’aujourd’hui. C’est ainsi que Kérékou, qui en son temps a torturé et tué nombre de ses concitoyens, assassiné un ministre sous un prétexte farfelu, mené une gouvernance désastreuse et corrompue, est devenu après coup un héros. Aujourd’hui, entre autres signes de célébration de sa mémoire, il donne son nom au plus grand stade du pays, et est perçu comme un sage. Les choses se sont-elle gâtées à ce point dans le pays pour que le diable d’hier devienne l’ange aujourd’hui ?

Mausolée de Kérékou, le pharaon béninois

Il est vrai qu’a fonctionné en sa faveur le syndrome typiquement béninois de l’imparité mémorielle qui fait la part belle au dirigeant du Nord au détriment de son homologue du Sud ; une imparité, qui sert à masquer sinon à dénier les disparités entre ces deux régions. En effet, que célèbre-t-on en nommant le Stade de Kouhounou du nom du Général Mathieu Kérékou ? Célèbre-t-on le premier Président du Renouveau Démocratique ? La Réponse est non ! Célèbre-t-on sa gouvernance sous ce régime comme étant la meilleure ? Assurément non ! Le syndrome de l’imparité mémorielle a fonctionné aussi en faveur du Président Hubert Maga, qui donne son nom au plus grand hôpital du Bénin. Alors qu’aucun des Présidents Apithy, Ahomadégbé, Soglo et Zinsou, parmi lesquels on recrute ceux qui ont le mieux dirigé le pays, ceux qui l’ont le moins saigné, n’a eu droit à cette célébration mémorielle, qui apparaît objectivement comme une discrimination positive. La ville de Porto-Novo, qui est en principe la capitale du Bénin, a aussi souffert et souffre de cette imparité. Puisque la discrimination positive devant fonctionner en faveur du Nord, à partir du moment où Cotonou est déjà la première ville du pays, il fallait que la deuxième ville fût coûte que coûte du Nord, d’où la série d’actions et d’inactions, mais aussi de sabotages qui ont délibérément confiné Porto-Novo dans l’ombre pour que Parakou apparaisse comme la deuxième ville du pays.

Mais si ce syndrome de l’imparité mémorielle d’inspiration régionaliste a avantagé Kérékou, il n’épuise pas les raisons de la logique de sublimation mémorielle qui, au Bénin, fait du diable d’hier l’ange d’aujourd’hui, la brute d’hier le bon d’aujourd’hui. Il n’explique pas non plus son caractère systématique. Aujourd’hui, le constat est clair dans l’opinion établie : Kérékou est meilleur que Soglo, Soglo est meilleur que Yayi et Yayi est meilleur que Talon, qui porte le pompon du diable du moment.

En effet, si Kérékou n’était pas meilleur que Soglo, si au détour des années 1996, celui-ci n’était pas devenu le diable, comment l’ancien dictateur pouvait-il le défaire dans une joute démocratique ? A moins que celle-ci, conformément à un vice à peine caché du Renouveau démocratique, ne soit truquée — ce qui revient au même. De même, en son temps, Yayi était accusé d’autocrate, y compris par Soglo, et on lui préférait de loin Kérékou. De sorte qu’il était clair que Kérékou était meilleur que Soglo qui était meilleur que Yayi, qui était alors le diable de l’époque. Maintenant qu’il n’est plus au pouvoir, l’ancien autocrate, l’homme sous lequel a disparu corps et âme Dangnivo, le président dont le règne a été le plus terni par la corruption, est devenu, en raison de la gouvernance originale de Talon, un croisé de la démocratie, celui-là même qui n’a pas craint de se proposer en martyr du Renouveau démocratique et sur le cadavre duquel il défiait le pouvoir de la rupture de passer avant d’attenter à la démocratie.

Tout se passe donc comme si au Bénin, pour les beaux yeux de notre célébration mémorielle, le diable d’hier devient l’ange d’aujourd’hui. De quoi on peut déduire voire pronostiquer que le diable d’aujourd’hui sera l’ange de demain. Ce consensus des amnésies va de pair avec le parti-pris de l’impunité qui est un trait remarquable de l’éthique politique du Renouveau démocratique, le mythe de la paix dont se glorifient ses zélateurs. Or la paix à tout prix ou comme prétexte à l’impunité jure avec l’éthique de responsabilité. Et toute la question est de savoir ce que vaut une démocratie qui tient l’éthique de responsabilité en piètre estime.

A voir comment la personne et la gouvernance de Talon sont décriées aujourd’hui, on se demande qui sera notre prochain diable ! Combien de temps durera l’amicale des dictateurs ?

Alidou Bachabi

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