
Un historien que cite ce Monsieur Lugan, et qui fait partie comme lui de la clique des néo-négationnistes occidentaux, s’appelle Olivier Pétré-Grenouilleau. Cet historien a jeté un pavé dans la marre, en soutenant des thèses qui mettent au centre voire stigmatisent la participation volontaire de l’Afrique et des Africains à la traite négrière, en même temps qu’elle relativise le rôle de l’Europe dans ce crime contre l’humanité en pointant du doigt et en montant en épingle la traite transsaharienne arabe. A l’en croire, la traite négrière, c’était une affaire d’Africains qui vendaient des Africains ; le rôle des Blancs était secondaire et se bornait à acheter. A l’évidence, ce raisonnement vise à minimiser la responsabilité des Européens.
Mais les choses ne sont pas aussi simples. Non seulement parce que d’un point de vue éthique, si un homme de 60 ans qui se dit vertueux accoste une fillette de 7 ans dans la rue qui lui propose des rapports sexuels tarifés, les accepte et après consommation prétend que c’était la fillette qui se vendait, on peut interroger le sens de la vertu de cet homme. Ce n’est pas à dire qu’à l’époque, l’Afrique pût être considérée comme une mineure et l’Europe majeure, mais force est de convenir que le rapport de force qui s’imposait – force militaire et technologique – était de loin en faveur des Blancs.
L’autre aspect du problème c’est que cette thèse selon laquelle c’étaient les Africains eux-mêmes qui vendaient leurs propres congénères n’est ni aussi solide ni aussi conforme à la vérité qu’il y paraît, au vu du grand nombre de résistants à la traite négrière. Ces résistants africains à la traite négrière étaient aussi bien des individus que des communautés, des groupes religieux et/ou politiques, des royaumes entiers, des rois et des reines, qui ont fini malgré leur bravoure par s’incliner devant la supériorité militaire et technologique de l’ennemi.
En clair l’argument d’Olivier Pétré-Grenouilleau que soutient le sieur Lugan est tendancieux et intellectuellement douteux. C’est comme si dans les siècles postcoloniaux, faisant le bilan de l‘exploitation des matières premières, notamment du pétrole en Afrique, et au vu du constat qu’au moment où la dernière goutte de pétrole fut extraite, le continent était dans la dévastation écologique et la misère totale, on en concluait que c’était les Africains eux-mêmes qui vendaient leurs matières premières, et donc qu’ils étaient responsables de la catastrophe socioéconomique et écologique qui en a résulté. Or n’en déplaise à nos historiens néo-négationnistes, ces faits d’exploitation bien qu’ayant leur origine dans les siècles antérieurs, restent contemporains dans leur férocité léonine. Tout le monde sait qu’en vue de spolier les Africains de leurs ressources, les Européens et d’une manière générale les Occidentaux, dominent et contrôlent la vie politique africaine et décident dans les détails dans quelle mesure et jusqu’à quel point telle ou telle ressource sera pillée. Donc prétendre que, du temps de la traite négrière, ce sont les Africains qui se vendaient eux-mêmes, est aussi faux que de dire que ce sont les Africains qui décident du sort de leurs matières premières de nos jours. Pour en arriver à cette conclusion malicieuse et passablement tendancieuse, nos historiens se sont délibérément laissé enfermer dans le piège commode des mots et du glissement sémantique. Même par ces gens qui se disent intelligents, le mot esclavage a été utilisé pour désigner une variété hétérogène de rapports d’asservissement ; de telle sorte qu’entre le serviteur, le tributaire, le serf, le captif, le prisonnier et l’esclave au sens négrier du terme on se perd. Donc couvrir tout ce beau monde du sombre drap de l’esclavage et vouloir ensuite faire la leçon à l’Afrique, comme si en matière d’histoire ou de sociologie de la servitude, elle était une exception est une posture moralement tendancieuse et épistémologiquement douteuse. Après tout le mot slave ne désigne pas une ethnie africaine !
Dans la même veine tendancieuse, le même historien, Olivier Pétré-Grenouilleau, a fait polémique en bidouillant les chiffres pour illustrer sa volonté de relativisation voire de minoration de la responsabilité de l’Europe judéo-chrétienne dans la traite des Noirs africains par les Blancs européens. Cette volonté d’euphémisation ou de blanchiment des Européens dans les crimes de la traite négrière s’opère soit par culpabilisation des victimes sinon leur substitution aux bourreaux, soit par la mise en exergue d’autres sources concurrentes d’esclavages dans le but de relativiser l’action européenne.
Ainsi, en ce qui concerne le nombre d’esclaves impliqués dans la traite transsaharienne, cet historien en arrive au chiffre inédit de 17 millions, et en conclut benoitement que la traite transatlantique, qui n’avait impliqué que 11 millions d’individus, était moins anthropovore que sa sœur transsaharienne ! Inutile de dire que ce chiffre de 17 millions a été contesté par les historiens les plus sérieux du continent africain – qu’ils soient d’Afrique ou d’Occident. Mais même si on accepte ces chiffres – maximisé d’un côté et minimisé de l’autre – on ne saurait faire l’impasse aussi vite sur la dimension historique des traites, et négliger leur durée respective. Ce n’est qu’eu égard à la prise en compte des durées que toute comparaison sur les nombres de victimes peut être valable. Or tout le monde sait que la traite arabo-musulmane s’est étalée sur 13 siècles alors que 90% du trafic de la traite transatlantique, autant dire la quasi totalité, n’a durée que 110 ans !
Donc ce qu’il faut considérer c’est le rapport 17/13 à peu près égal à 1,3. Soit un million trois cent mille esclaves par siècle pour la traite transsaharienne. Dans le cas de la traite transatlantique, en raison de la disparité de sa distribution dans le temps, il est statistiquement plus signifiant de distinguer deux périodes : les trois premiers siècles, caractérisés par un trafic faible qui atteignit un total de 1,1 millions d’esclaves. Ce qui donne le rapport 1,1/2,9 = 0,38, équivalent à une moyenne de 380 000 esclaves par siècle. Et la deuxième période plus intense et marquée par une industrialisation implacable du système de la traite avec un trafic qui atteignit 9,9 millions d’esclaves en seulement 110 ans, ce qui donne le rapport 9,9/1,1 = 9. Soit 9 millions d’esclaves par siècle !
Comme on le voit, contrairement à ce que prétendent nos historiens blanchisseurs, la traite transatlantique a été bien plus anthropovore que sa sœur transsaharienne.
Adenifuja Bolaji
