
Il est à peu près sûr que, si on devait faire un sondage pour savoir quel est l’intérêt de cet extrait d’une récente interview du Professeur Raoult présenté dans le document vidéo ci-dessus, une grande majorité des lecteurs serait à côté de la plaque. Parce que nous baignons dans un imaginaire qui a naturalisé un certain nombre de discours, de lieux communs, ou de conception pourtant lourds de conséquences pour nous autres africains. Qu’on se comprenne, la question en jeu ici n’a rien à voir avec le Covid-19 dont le Professeur Raoult est une des stars médiadico-médicales. Pour mieux appréhender le propos citons le professeur dans cet extrait :
« Non, mais globalement il n’y a pas vraiment de thèse. Tout le monde sait que tout ça c’est manuporté. essentiellement c’est manuporté Il y en a en réalité dans tout, sur tous les meubles sur toutes les chaises, sur tout. Donc, il y en a partout du virus. Le risque d’exposition aéroportée est relativement faible à côté du risque d’infection manuportée. D’ailleurs, moi j’ai eu l’occasion de le dire, on a fait ça en Afrique, mais d’autres avaient fait une vraie étude de cette nature-là aussi au Pakistan. Le lavage des mains, le simple lavage des mains diminuait de 30% le risque d’infection respiratoire »
Si même avec l’extrait sous les yeux, et après plusieurs lectures le lecteur n’a pas trouvé l’intrus ce n’est pas étonnant car l’habitude, la naturalisation aura fait son oeuvre. L’anomalie, ou si l’on veut, ce qui aurait dû être une anomalie, la voilà sous forme de question : Pourquoi le Professeur a mis en balance l’Afrique d’un côté et le Pakistan de l’autre ? Cette étude dont il parle, il l’a faite dans quelques villages du Sénégal. Mais il dit qu’il a fait cette étude en Afrique. Jusque-là à la limite, il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Sincèrement, il peut bien, par une synecdoque croissante dont le fondement historique est compréhensible, prendre le Sénégal pour l’Afrique. Mais là où le bât blesse ce n’est pas seulement qu’il ne prenne pas l’Asie pour le pour Pakistan, mais le fait que cette conscience de distinction soit marquée et semble fondée en réalité : en clair l’Asie c’est plus que le Pakistan, mais le Sénégal c’est l’Afrique. D’où vient cette capacité africaine à se contracter, cette indistinction nocturne ? Pourquoi dans la nuit africaine tous les chats sont gris ?
A certains égards, on peut ajouter aux précédentes une question qui, quoique subsidiaire, ne manque pas de pertinence, à savoir : et si nos prétentions panafricanistes ordinaires, cette façon instinctive que nous avons, nous aussi, de nous dire Africains alors que nous sommes Burkinabé, voire Yoruba, là où l’Italien ou le Suédois s’assument plus souvent Italiens ou Suédois et non pas Européens, est-ce que cet assaut d’extension identitaire qui jure avec nos guerres fratricides endémiques ne vient pas de cette assignation exogène d’identité que nous aurions fait nôtre à notre corps défendant ? Aurions-nous été, serions-nous Africains sans cette manière autoritaire du Blanc de nous l’avoir imposé ? En sommes, pour le dire plus ironiquement : sommes-nous Africains avant et malgré nous ?
Adenifuja Bolaji
