Ils ont tué Sylvanus Olympio
Nous avons pleuré quelques instants
Et bien vite nous avons séché nos larmes
Et repris notre train-train habituel comme des bêtes
Alors, ils en ont déduit que, pire que des bêtes, nous étions des Nègres
Ils ont tué Ruben Um Nyobe
Nous avons pleuré quelques instants
Et bien vite nous avons séché nos larmes
Et repris notre train train habituel comme des zombis
Alors, ils en ont déduit que, pire que des zombis, nous étions des Nègres
Ils ont détrôné Laurent Gbagbo et l’ont embastillé à la Haye
Nous nous sommes mollement et passablement indignés
Et bien vite nous avons mis un bémol à nos humeurs
Et repris notre train train habituel comme des ânes
Alors, ils en ont déduit que, pire que des ânes, nous étions des Nègres
Ils ont tué Thomas Sankara
Nous avons hurlé de rage de loin en loin
Et bien vite, nos hurlements ont laissé place à un culte stérile
Censé exonérer notre nonchalance congénitale
Alors, ils en ont déduit que, pire que des nonchalants, nous étions des Nègres
Au Congo, ils ont remplacé manu militari un Démocrate par un autocrate
A peine nous nous en étions émus ou rendu compte
Et bien vite notre cécité a fait le lit de l’amnésie
Et nous avons repris notre train-train habituel
Alors ils en ont déduit que, plus que des amnésiques, nous étions des Nègres
Ils ont tué François Tombalbaye
Nous avons pleuré quelques instants
Et bien vite nous avons séché nos larmes
Et repris notre train-train habituel comme des bêtes
Alors, ils en ont déduit que, pire que des bêtes, nous étions des Nègres
Ils ont tué Ibrahim Baré Maïnassara
Nous avons pleuré quelques instants
Et bien vite nous avons séché nos larmes
Et repris notre train-train habituel de pachydermes
Alors, ils en ont déduit que, pire que des pachydermes, nous étions des Nègres
Ils ont tué Laurent Désiré Kabila
Nous avons pleuré quelques instants
Et bien vite nous avons séché nos larmes
Et repris notre train-train habituel avec une morne résilience
Alors, ils en ont déduit que, pire que des résilients, nous étions des Nègres
Ils ont détrôné Mamadou Tandja
Nous avons ouverts de grands yeux ébahis
Et bien vite nous avons tenu la bride à notre émoi
Et repris notre train-train habituel de peuples éberlués
Alors, ils en ont déduit que, pire que des éberlués, nous étions des Nègres
Ils ont détrôné puis tué le Colonel Kadhafi
Nous avons hurlé notre stupeur et notre indignation
Et bien vite nous avons tu notre indignation d’Africains
Et repris notre train-train habituel de Subsahariens
Alors, ils en ont déduit que, pire que des Subsahariens, nous étions des Nègres
Ils ont activement investi dans la guerre du Biafra pour démanteler le Nigeria
Ils ont trempé dans le génocide du Rwanda et protégé les génocidaires
A peine avons-nous exprimé notre écœurement pour leur parti-pris criminel
Dans ces événements et bien d’autres qui ont meurtri notre continent
Et nous reprenions bien vite notre train-train habituel d’innocents Africains
Alors, ils en ont déduit que, pire que des Africains, nous étions des Nègres
Sachons qu’à titre de comparaison, la France ne peut pas toucher à un seul cheveu de l’Algérie encore moins du Vietnam alors que ces pays ont été aussi colonisés par elle. Vous êtes-vous jamais demandé le pourquoi de cette différence de statut dans le harcèlement colonial français ? Eh bien, la réponse est simple : ces deux pays — avez-vous entendu parler de la bataille d’Alger ou de Diên-Biên-Phu ? — ont arraché leur indépendance par la guerre et dans le sang. Et la réponse à la question posée est celle-ci : tant que les Noirs Africains, à l’instar des Africains d’Algérie ou des Asiatiques du Vietnam, ne se lèveront pas et ne prendront pas les armes en bravant la mort contre la colonisation perpétuelle de leur peuple et de leur continent, la France ne leur laissera jamais de répit ; elle continuera tel un braconnier impénitent à les harceler de son terrorisme, comme elle le fait depuis les soixante dernières années !
Aminou Balogun