Il est à tous les rendez-vous, on le boit à toutes les occasions. Le nom de cette boisson varie selon les localités. Encore appelé « adja tchéké tchéké », le sodabi s’est depuis des décennies installé dans les habitudes de consommation des Béninois. A travers les régimes politiques, les générations, les révolutions scientifique et philosophique, le Sodabi a résisté et survécu. Désormais, ce breuvage , pure invention béninoise traverse les frontières et conquiert des territoires.
Le sodabi, alcool du vin de palme de fabrication artisanale, a été préparé pour la première fois par les frères Gbèhalaton et Bonou Kiti Sodabi du village de Sèdjè houègoudo dans le district d’Allada. Bonou Kiti Sodabi faisait partie des militaires Béninois alors Dahoméens envoyés combattre en France au cours de la guerre 1914 -1918. Au cours de son séjour en France, il put acquérir les techniques de préparation de diverses boissons. De son retour au pays, Bonou Kiti et son frère Gbéhalaton entreprirent dans leur village (Sèdjè) , de distiller de l’alcool avec des alambics bricolés par eux-mêmes. Ainsi, de 1919 à 1925, ils réussirent à fabriquer une boisson dénommée «Ahankou» ou «Anko» à partir de bananes fermentées.
En 1926, ils eurent l’idée d’utiliser du vin de palme fermenté, ce qui donna une boisson alcoolisée à la saveur particulière et qui fut rapidement appréciée de leur entourage, et bientôt les consommateurs vinrent des villages alentour se procurer la boisson des frères sodabi. La renommée de leur produit franchit les frontières et la fameuse boisson ne fut plus désignée que sous le nom de ses fabricants : «sodabi». Mais en pleine période coloniale une telle entreprise ne pouvait se poursuivre sans se heurter aux interdits de la colonisation. En 1931, l’administration coloniale à la suite d’un rapport du chef canton Agoudafo Sékou, arrêta les 2 frères Sodabi et les emprisonna. Cette mesure fit l’objet d’une campagne de presse d’un journal local, «phare du Dahomey» qui publia la photo de Sodabi, l’inventeur à l’appui d’un article circonstancié. Néanmoins, les deux frères Sodabi restèrent en prison six mois et ne furent libérés qu’après le départ d’Allada de l’administration MANGET et le paiement d’une lourde amende de 6000 francs d’alors.
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Le Noir se montrait inventif, et le Blanc entre en mode panique. Quand on sait que l’histoire de l’esclavage a tourné autour de l’échange de liqueurs pourries venues d’Europe contre des cargaisons d’hommes et de femmes arrachées à la terre africaine, on comprend la réaction furieuse du colon de voir les Noirs se mettre à fabriquer une liqueur du cru. La colonisation n’est pas seulement de la domination, de l’exploitation et du pillage des Africains, mais elle est aussi et se veut une surveillance morale, sociologique et épistémologique, un contrôle technologique du colonisé. La réaction de l’administration coloniale dans cette affaire en fait foi.
Mais cet incident loin d’arrêter le flot de sodabi à la source, servit plutôt à assurer la renommée de la boisson inventée par les deux frères. Ces derniers désormais empêchés de produire, avaient déjà lancé le produit. La demande devient si importante que des distilleries clandestines furent installées un peu partout. De nos jours, le Sodabi n’est plus fabriqué par ses inventeurs, mais il est produit partout où la palmeraie naturelle offre suffisamment de ressources. Le sodabi, malgré ses cents ans d’âge, a encore de beaux jours devant lui.
(BeninInfo.com 03/10/2004) |