En Afrique, et surtout en Afrique noire, nos élites et nos artistes sont extraverties et fière de l’être. Ils valorisent plus leur reconnaissance exogène que leur reconnaissance endogène dont souvent ils n’ont que faire. Ils reçoivent avec joie et fierté leur être de l’extérieur à leur groupe de référence. Et cela n’a pas l’air de les inquiéter outre mesure, bien au contraire. Actuellement, tout ce qui croit compter dans le monde noir africain — que ce soit dans le domaine scientifique comme dans le domaine des arts — est en Europe ou en Amérique, ou mis en selle ou en scène par l’Europe ou l’Amérique. Quand un Africain dit : « je suis professeur à Yale », ou bien « je suis lauréat du Prix Médicis», il croit avoir tout dit. Cela résonne comme un verdict de qualité sans appel et incommensurable, sans préjudice de la valeur réelle du strapontin souvent spécialisé qui lui est affecté, encore moins de sa propre valeur. Si les artistes africains– écrivains, musiciens, chanteurs, sculpteurs, danseurs, reconnus dans le monde occidental ; si les Africains recrutés par les Occidentaux dans leurs institutions de savoir ont sûrement des talents ou des qualités qui leur valent cet intérêt du Blanc par ailleurs irrémédiablement méprisant envers le Noir, ceux qui sont en Afrique sont loin d’être des demeurés.
Mais le vrai problème de l’Afrique en tant que société est le renversement de l’ordre de la valorisation dans le domaine du savoir, des arts, et de la reconnaissance. En principe, un vrai savant, un vrai artiste devrait être reconnu et fait par sa société. Et la reconnaissance extérieure ne peut venir que comme confirmation, un petit plus qui consolide la reconnaissance en soi. En général, dans une société qui se respecte, 99% des hommes de qualité dans tous les domaines du savoir et des arts doivent recevoir leur reconnaissance de façon endogène. Et il n’y a pas de raison pour qu’il n’en soit pas ainsi pour l’Afrique, pour autant qu’on y réfléchit et qu’on y soit conscient de son être-là. En principe, 99 % des gens qui comptent dans le domaine du savoir et des arts doivent être ceux qui sont formés et reconnus par les institutions africaines elles-mêmes et les publics africains. Ceux qui sont reconnus par les Blancs ne devraient qu’être une infime minorité, une catégorie résiduelle ou complémentaire qui n’a pas vocation à se poser en aristocratie exclusive ou en référence sine qua non de la connaissance. Un écrivain né en Afrique, qui écrit dans une langue européenne, est publié par des éditeurs européens, est primé en Europe, et est lu essentiellement par des Européens, n’est pas un écrivain africain. De même, un savant Africain qui a fui en Occident auquel il vend son savoir essentiellement pour son mieux vivre personnel n’est pas un savant africain, il est un autoentrepreneur intellectuel au service de son bien-être personnel et de ses maîtres ou employeurs Occidentaux. Et le mythe du savant Africain made in USA ou Europe ainsi que l’impérialisme qu’il induit ne devraient pas exister.
Toute société éprise de progrès doit avoir la haute main sur le système de formation, et de reconnaissance de ses élites. La reconnaissance exogène ne doit être que secondaire et partielle. Tel est le cas du Japon, tel est le cas des deux Corées, tel est le cas de la Chine, tel est le cas de l’Inde, etc. Toute société qui se trouve dans une situation inverse n’a aucun avenir. La fuite des cerveaux est sans doute la première cause de ce renversement dramatique. Mais il y a aussi le peu de considération que l’Africain a pour lui-même. Il est temps d’en prendre une profonde conscience et d’y remédier afin que l’Afrique cesse de marcher sur la tête.
Adenifuja Bolaji