Afrique : les Docteurs-Tonneaux Vides Qui nous Dirigent

Mon Idéo Va, Court, Vole et Tombe sur…:

Grâce et sa Fast Sheet

ideogLorsqu’un citoyen lambda, même un médecin, signe un manifeste, une déclaration publique, ou un discours en mentionnant son titre de docteur–ce que mutatis mutandis font rarement les instituteurs ou les infirmiers, par exemple–je me demande à quoi ça sert, si ce citoyen ne parle pas ou n’agit pas ès qualité ?
Si je suis docteur–même et surtout médecin–et que je parle ou j’agis sur un terrain autre que celui de la médecine, en l’occurrence sur un terrain politique et que je me présente comme docteur, quelle incidence cette qualité a sur le fond de mon propos ? Pourquoi cet étalage de titre au lieu de la simple  mention sociale M. ou Mme Untel consacrée ?
Parce que j’ai fait de longues études universitaires sanctionnées par un doctorat, un titre que je trouve suffisamment prestigieux pour ne pas le tenir au secret, mais au contraire l’exhiber au tout venant, comme définissant tous mes actes, même et surtout ceux qui n’ont rien à voir avec ma profession ?
Sinon à quoi ça sert de dire qu’on est docteur sur le terrain politique quand on ne soigne rien et qu’on ne peut pas considérer que le champ politique dans son intégralité correspond à l’objet d’étude de son doctorat ? À quoi ça sert même lorsqu’on est docteur en science politique ? Le registre épistémologique de la science politique étant bien distinct du registre de l’action politique.
Tout cela n’est donc que du vent dans lequel nous nous illustrons en Afrique. Car, c’est quand même un paradoxe que le continent le plus intellectuellement arriéré soit celui-là même dont les élites et les dirigeants au sommet — Cadres, Ministres, Présidents — font assaut d’exhibition de titres universitaires ronflants. En Occident, au Japon, ou en Corée du Sud,  les gens préfèrent prouver par leurs actes qu’ils sont docteurs plutôt que de le crier sur les toits

Sorti de l’Afrique, personne n’est sérieusement obsédé par l’idée d’exhiber à tout propos un titre universitaire dans le champ sociopolitique ou l’espace public car cela s’apparente au tonneau vide. Et c’est malheureusement le cas de ceux qui nous dirigeaient ou aspiraient à nous diriger hier, les Dr Emile Derlin Zinsou, Dr Basile Adjou Moumouni, Dr Hilla Liman, Dr John Atta Mills, etc. ou ceux qui sont là aujourd’hui, les Dr Goodluck Jonathan, Dr Yayi Boni, et consorts.

Pour info, et dans la même veine tonneau-vide, Mme Grâce Mugabe, l’épouse du Président Robert Mugabe du Zimbabwe, vient elle aussi d’avoir son doctorat, le doctorat le plus rapidement potassé au monde, puisqu’il a été délivré après seulement quelques semaines d’études. On pourrait appeler ça un fast sheet … Est-ce le signe qu’elle est désormais parée et prête à monter sur le trône de son vieil époux, après sa mort ?

Éloi Goutchili

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Un commentaire

  1. Cette réflexion de M. Eloi Goutchili est si juste que je ne puis m’empêcher de lui faire écho, en citant le passage suivant :

    « Il n’est donc pas étonnant qu’on assiste aujourd’hui de plus en plus à une nouvelle forme de perversion – manifestation évidente d’un complexe de supériorité ou d’infériorité selon le cas – consistant à faire désormais du titre de “Docteur” le must par excellence pour décliner au mieux son identité, en toutes circonstances et quel que soit le domaine de spécialité. Autrement dit, on se sert du titre de “Docteur” comme d’une béquille ou plus exactement d’une prothèse dont on espère qu’elle compensera un manque, un vide intérieur, c’est-à-dire l’absence d’une qualité particulièrement recherchée et appréciée qu’on aurait bien voulu exhiber par snobisme, mais qui malheureusement ne fait pas partie intégrante de sa personnalité intrinsèque. Cette forme de surcompensation frise souvent le ridicule quand on sait que dans la pure tradition francophone (ne sommes-nous pas francophones après tout ?), ne s’affublent systématiquement du titre de “Docteur” que les personnes nanties du grade de “Docteur en médecine”, c’est-à-dire les médecins. Cette appellation est d’ailleurs consacrée par un usage pluriséculaire et se passe de tout commentaire. Ainsi, un professeur d’université par exemple ne devrait en principe pas éprouver le besoin de se faire obligatoirement appeler “Docteur”, tout simplement parce qu’il n’y gagnerait absolument rien en termes de valorisation de sa personne, dans la mesure où l’obtention du doctorat est la condition minimale pour prétendre à l’enseignement universitaire. De même, il ne viendrait certainement à l’esprit d’aucun chercheur de haut niveau et reconnu comme tel de vouloir systématiquement se faire désigner par le titre de “Docteur”; ceci pour la simple raison que, de notoriété publique, l’une des marques distinctives du vrai chercheur est l’humilité : l’humilité devant la science, devant l’infinie complexité des innombrables phénomènes naturels et sociaux qu’il est amené à observer et à étudier au quotidien ; l’humilité tout court comme valeur d’éthique et de déontologie.

    Il est vrai que, dans le monde anglophone, les choses se passent tout autrement. Les usages y ayant cours veulent en effet qu’en matière de présentation, l’identité d’un professionnel du monde universitaire ou académique soit toujours accompagnée ou suivie de l’indication de son grade universitaire (PhD, MSC, MA, MBA BA, etc) Mais alors, comment expliquer cet accès subit de snobisme, cette soudaine envie de mimétisme à rebours des béninois francophones que nous sommes ? Est-ce par goût ou soif de modernité ou par simple coquetterie ? Mon avis là-dessus est clair : “à bon vin point d’enseigne”… Au demeurant, le Frère Godfrey Nzamujo, prêtre dominicain d’origine nigériane ayant de surcroît longtemps étudié et travaillé aux Etats-Unis (en des domaines aussi variés que la biologie, l’électronique et l’informatique et ce, jusqu’au niveau du prestigieux Ph.D.), donc de culture partiellement anglo-saxone, promoteur du célèbre Centre Songhaï de Porto-Novo au Bénin, apportera la clarification suivante : “Il ne s’agit pas d’être fier de son curriculum vitae ou d’entrer dans la compétition pour inscrire au Guiness des records de plus longs palmarès de doctorats, mais de reconnaître l’importance du travail intellectuel sérieux, de son ascèse. Un complexe d’infériorité marque les africains qui se gargarisent d’avoir tel ou tel diplôme, tel ou tel poste… Les études ne sont pas là pour que l’on s’en glorifie : elles donnent la capacité de diminuer les contraintes rencontrées dans les démarches humaines…. Un animateur de développement doit toujours se sentir en position d’apprentissage et d’analyse, de comparaison et d’évaluation. C’est à cette attitude de questionnement permanent qu’on reconnaît un vrai intellectuel, et pas à sa collection de diplômes gagnés en bachotant ou en répétant ce que pensent d’autres” » (sic).

    (Extraits de mon modeste essai intitulé : « Le meilleur est à venir : un regard critique citoyen sur la gouvernance au Bénin et en Afrique » en son chapitre 1er ayant pour titre : « Le vieux mythe du Bénin, quartier latin de l’Afrique : un stéréotype qui a la vie dure »)

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