
On s’étonne toujours de ce que les présidents africains n’écrivent pas leur mémoire de leur vivant. Plusieurs raisons, président à ou expliquent cet état de fait, parmi lesquelles on peut citer :
1) Le tropisme de l’oralité.
2) Le syndrome de la présidence à vie.
3) L’attitude éthique face à la mission présidentielle.
Le tropisme de l’oralité.
Le tropisme de l’oralité renvoie au fait que même intellectuel (souvent putatif), même docteur — et combien de docteurs n’ont pas occupé le poste de président ? — l’Africain limite le rapport à l’écrit à l’expérience scolaire et universitaire. Ce rapport à l’écrit se limite à (et a pour but) l’obtention de diplômes. Sorti de ce cadre, le tropisme de l’oralité reprend ses droits. Ce tropisme du reste n’est pas à sens unique. Le Président n’écrit pas parce qu’il n’est pas instinctivement porté à le faire. Selon le proverbe fon à tiroir qui dit. « On a donné un fusil à un gaucher : réponse — ce n’est pas dans mes habitudes. »
Mais le Président n’écrit pas aussi parce que, de l’autre côté, il n’y a pas non plus moult lecteurs qui font une manif pour le lire. Vu que la lecture — contrairement aux médias audiovisuels– n’est pas le fort de l’Africain. Quoique, statistiquement et sociologiquement parlant, les lecteurs africains se recrutent beaucoup plus parmi ceux qui s’intéressent aux sujets politiques à l’exclusion des sujets culturels, historiques ou littéraires. Et dans les sujets politiques, l’Africain s’intéresse plus à l’actualité qu’aux analyses ou aux questions historiques : toutes choses qui éloignent de l’engouement pour le mémoire qui est une réflexion sur le passé.
Le syndrome de la présidence à vie
Le syndrome de la présidence à vie est, par définition de l’objet du mémoire, en contradiction avec celui-ci. En effet, pour écrire son mémoire, un président doit avoir fini sa carrière politique. Il doit prendre à la fois de la hauteur et de la distance. Et en toute sérénité, réfléchir objectivement et à froid sur son expérience, parler de ses insuffisances, de ses atouts et formuler des conseils pour ses successeurs, sinon pour la postérité. Mais comment voulez-vous réfléchir à froid sur une fonction que vous vous refusez à quitter ? D’où l’incompatibilité de l’écriture d’un mémoire avec le syndrome d’éternisation au pouvoir consacré par les troisièmes mandats et autres trafics perpétuels de la Constitution.
L’attitude éthique.
Enfin l’attitude éthique envers la vocation présidentielle. Un président de la République doit être un patriote animé par le souci du bien-être de ses concitoyens, la défense des intérêts de son pays, le renforcement de son État. Bref, la défense et l’illustration de la souveraineté nationale, au prix même de sa vie.
Or, à en juger par ce qui se passe depuis les semblants d’indépendance octroyée aux pays africains, les présidents n’accèdent pas au pouvoir animés par le souci du bien-être de leur population, mais plutôt par leur propre gloriole, leur enrichissement personnel et celui d’un cercle restreint de partisans de leur clan ou de leur ethnie. Ils ne défendent pas les intérêts de leur nation mais ont strictement reçu mission des pays colonisateurs, à peine tapis dans l’ombre. Leur mission consiste à favoriser en toutes circonstances les intérêts des Blancs et à faire tout pour empêcher l’évolution de leur propre pays ; laquelle évolution est vue par les Blancs comme une menace pour leur prospérité, posée comme un a priori naturalisé qu’ils entendent éterniser.
Dans ces conditions, le président africain n’est pas un farouche combattant pour la souveraineté de son pays. L’exemple – hélas parmi de nombreux autres — de Monsieur Patrice Talon au Bénin le prouve si besoin est. Voilà un homme qui est le successeur lointain de grands patriotes qui ont lutté pour la souveraineté de leur pays. Mais un homme qui, aujourd’hui, volontairement ou non est conduit à s’incliner devant les intérêts néocoloniaux de la France au détriment de ceux des Africains et des Béninois. Quand vous avez une telle tournure d’esprit, ou avez accepté un tel deal ; quand être président c’est d’abord travailler pour les Blancs au détriment de votre peuple considéré comme la cinquième roue du carrosse de l’action politique ; quand vous relevez d’une telle éthique, comment pouvez-vous regarder dans le miroir du passé et dire la vérité sur votre action ? Car le mémoire, c’est aussi le miroir de l’action, de la volonté. Si vous n’êtes pas en harmonie avec le sens éthique fondamental de votre vocation de président, si votre mission en dévie, voire si elle y est totalement opposée, comment pouvez-vous regarder dans le miroir et exprimer les vérités de vos actions passées ?
L’un des rares présidents africains à avoir écrit son mémoire est Nelson Mandela. Et ce n’est pas un hasard. Si on exclut l’effet du tropisme de l’oralité valable pour toute l’Afrique, on constate que Nelson Mandela n’était pas un obsédé de la présidence à vie, et que son action en tant que Président de l’Afrique du Sud est en cohérence avec l’éthique de la vocation présidentielle. Pour des raisons qui remontent très loin dans notre histoire de peuples, le chemin vers l’écritoire est sans doute long, mais espérons qu’à l’instar de Nelson Mandela, d’autres Présidents africains vont le parcourir, car c’est aussi, à n’en pas douter, un bon chemin vers la liberté.
Adenifuja Bolaji
