Bénin : Talon en Tòfá dans le Texte

En accédant au pouvoir en 2016, surtout parce qu’il était opposé à Zinsou identifié à tort ou à raison comme un Blanc français, Talon avait campé la figure du patriote, l’incarnation d’un panafricaniste positif et pragmatique. Très vite, il a joué aussi sur la figure de Béhanzin, à la fois en raison de ses origines personnelles mais aussi en surfant sur  le contexte.  Dans l’image qu’il s’est voulue de lui-même et qui a été colportée par ses thuriféraires plus ou moins vocaux, Talon apparaissait implicitement comme l’émule et le continuateur de l’œuvre de résistance de Béhanzin. La récupération de quelques miettes des trésors du Dahomey pillés par la France lui donne l’occasion d’étoffer cette image glorieuse en apparaissant comme celui qui prend sa revanche dans le combat mené par Béhanzin contre la France. Alors que pour lui, toutes cette histoire d’œuvres restituées, ainsi que les statues d‘Amazone et de Bio Gèrà qu’il fit construire à la va-vite à Cotonou, n’entre que dans le théâtre d‘une politique touristique qui lui tient à cœur. Toute cette démarche a été implicitement interprétée comme l’expression d’un patriotisme proactif et vigilant. Mais les événements du Niger et l’attitude servile de Talon à l’égard de la France – bien qu’elle résulte d’une pression politique féroce —  font s’écrouler ce château de carte du patriotisme et du panafricanisme de Talon. Mais dans le fond, avait-on vraiment besoin d’attendre ces événements internationaux ou africains pour avoir les yeux décillés sur la réelle éthique de Talon ? Il n’y a qu’à voir le respect dans lequel l’homme  tient ses compatriotes pour s’en convaincre.

A vrai dire, l’engagement de Talon aux côtés de la France vient de loin. Il n’est pas sans rappeler les mêmes soumission et complicité de Tòfá qui ont permis à la France de conquérir le royaume du Danhomè.

Voici ce qu’écrivait le Hérissé sur Tòfá dans ces années-là :

Tòfá est un homme d une cinquantaine d’années, à l’oeil vif et intelligent, à l’abord aimable et courtois. A mon arrivée, il se lève, vient au-devant de nous, très aimablement, nous souhaite la bienvenue et nous invite à nous asseoir. La conversation s’engage. Nous parlons de la France, dont il a toujours été l’allié fidèle, et qu’il voudrait bien connaitre; du gouverneur Liotard, qu’il a en grande vénération: de l’ancien gouverneur Ballot, aux côtés duquel il fit campagne contre Béhanzin. L’interprète Xavier Beraud traduit très exactement, et la conversation dure pendant quelques instants.

À un moment je raconte, incidemment, que l’un de mes collègues de la Chambre française a écrit récemment au Président de la République pour lui demander de gracier Béhanzin et de l’autoriser à revenir au Dahomey. Tòfá saute sur son canapé et me fait dire, non plus par l’interprète, mais par mon neveu qui parle sa langue : « Il n’est pas possible que le grand chef des blancs fasse une chose pareille. Condo (c’est le nom de Béhanzin) est le plus mortel ennemi de la France ; il essaierait encore de « casser  » le Dahomey. Son retour est impossible » Je rassure de mon mieux cet excellent Tòfá qui, remis de l’émotion que je lui ai involontairement causée nous offre alors d’excellent champagne de la Veuve Clicquot. Il paraît que c’est la marque des grands jours. Nous buvons au Président de la République, au Gouverneur et à la France. Au moment où le roi boit en s’abritant derrière son pagne, ses fils et ses ministres, claquant des doigts se précipitent face contre terre.
Tòfá fait apporter des cigares. On ouvre la boite ils ne lui plaisent pas il en jette par terre la moitié. Mais ils ne sont pas perdus pour tout le monde ; ministres et princes du sang se jettent à quatre pieds pour les ramasser. (…)

Tòfá me propose de visiter sa salle de réception et sa garde-robe. Nous traversons un grand salon encombré de tous les bric-à-brac possibles et imaginables, rangés sur une table immense qui encombre l’appartement. Il y a là des pendules, des statuettes en marbre et en plâtre, des boîtes à musique, des collections de pipes, etc.; autour de l’appartement, des meubles de salon, de salle à manger, voire même de chambre à coucher; accrochées aux murs, des gravures françaises, anglaises : le portrait de la reine d’Angleterre fait pendant à un tableau représentant Judith tuant Holopherne; un grenadier du premier Empire coudoie un échantillon du nu au dernier Salon. Cette salle est un vrai magasin d’accessoires de théâtre, une boutique de revendeur du quartier du Temple. Tout à côté se trouve la garde-robe royale. Il nous faut tout voir, tout admirer; on ne nous fait grâce ni du chapeau ni d’une paire de bottes Successivement passent devant nos yeux la série des chapeaux à claque garnis d’or et surmontés de plumes blanches, rouges, bleues, vertes et portant tous, sur le devant brodé en or  » roi Tòfá ». Pour chacun des chapeaux, il y a un habit différent dont la couleur du fond, en velours, correspond à ta couleur de la plume du chapeau. Ce sont de superbes redingotes brodées et doublées de soie comme on en portait à Versailles sous Louis XIV; les cothurnes, portant toujours l’inscription « roi Tòfá » – afin que nul n’en ignore – sont en aussi grand nombre que les chapeaux et que les habits.
Il se dégage de toute cette friperie une odeur de musc et de naphtaline qui vous prend à la gorge. Tòfá est enchanté de nous montrer toutes ces richesses il essaie devant nous ses différentes coiffures et nous explique que chaque année, au 14 juillet, quand il se rend au gouvernement, il revêt successivement dans la journée tous ces costumes, et que son peuple est heureux de le voir aussi bien habillé. Après l’empereur Guillaume d’Allemagne, c’est certainement le monarque le mieux nippé du monde entier.
La visite intérieure terminée, Tòfá descend avec nous dans la cour du tata nous fait admirer la salle d’audience où il rend la justice, la belle ligne de cases qui abritent ses nombreuses femmes, puis nous reconduit jusqu’à la porte de son domaine et, très galamment, nous dit au revoir en nous souhaitant toutes sortes de choses heureuses pendant notre séjour dans son royaume.
(…)Tòfá, on le voit, n’est pas un roitelet ordinaire. Sur la côte de Guinée, c’est quelqu’un ; il sait dépenser généreusement tous ses revenus, (qui sont considérables, et, malgré son amour quelquefois immodéré pour l’absinthe ou pour le Champagne, il a su conserver sur ses sujets une certaine autorité qui n’est point inutile au bon fonctionnement du régime de protectorat que nous avons institué au Dahomey.

Remplacez Tofa par Talon, et vous aurez compris comment et pourquoi celui-ci soutient passionnément la France dans sa politique néocoloniale en Afrique, au détriment non seulement des Africains mais des Béninois. Rien de nouveau sous le ciel donc. Selon la tradition Fon, on peut dire que Tòfá est le Jɔtɔ de Talon. En langage freudien, on dira que Talon est atteint du Complexe de Tòfá

Adenifuja Bolaji