
Alors que dans le Landerneau politique français chacun des ténors en vue ne rate pas une occasion de jouer à « plus gaulliste que moi tu meurs », de manière paradoxale, les mêmes acteurs, dans le même élan, feignent d’ignorer ce qu’aurait pu être la position du Général de Gaulle dans les circonstances actuelles de la crise ukrainienne ; une crise qui emballe les dirigeants européens et les induit dans des décisions ou des actes pour le moins suicidaires et absurde ; comme si la panique du chant de cygne de l’Occident triomphant lui faisait perdre tout discernement et l’induisait en folie.
Et pourtant, en France, une certaine idée de l’attitude du Général de Gaulle est préfigurée et illustrée dans la position courageuse qu’adopta Jacques Chirac pendant la guerre américaine en Iraq contre laquelle il s’inscrivit courageusement en faux. Il est vrai que c’était au moment où la France, avant le règne géopolitiquement crapuleux de Sarkozy, n’était pas entrée dans le commandement intégré de l’Otan. Dans le cas de la guerre en Ukraine, au-delà des oppositions politiques comme celle exprimée par Chirac sur l’Iraq, de Gaulle et sa vision d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural n’aurait jamais agi dans le sens d’un isolement contre-nature de la Russie , de son détachement économique et politique du corps de l’Europe — la Grande Maison selon les termes de Gorbatchev. L’amitié entre la France et la Russie, comme l’exprimait Pierre de Gaulle, le petit fils du Général, dans un discours voué à la conspiration du mépris par les média dominants, est un gage de la prospérité européenne, de son unité et de sa vérité historique. Or, c’est contre cette prospérité, cette unité et cette vérité historique que les Etats-Unis, sous la bannière belliqueuse de l’Otan livre une guerre insidieuse et sans merci.
Mais alors, pourquoi Macron qui se dit gaulliste à ses heures méconnaît-il cette ligne claire que le Général aurait fait sienne ? Pourquoi joue-t-il les va-t-en-guerre ? Pourquoi participe-t-il fébrilement à l’armement de l’Ukraine ? Pourquoi refuse-t-il la voie de la paix qu’aurait suivie le Général de Gaulle ? Pourquoi accepte-t-il le risque cruel de faire souffrir le peuple français au quotidien, l’astreindre à des privations de toutes sortes sous un prétexte géopolitique plus que douteux.
Certes est bien connue la servilité des pays européens, la France comprise, à l’ordre américain dont le bras armé est l’Otan. Depuis l’entrée dans le commandement intégré de cet organisme qui a troqué sa vocation de dissuasion contre celle plus offensive d’affirmation des fantasmes hégémonistes américains, la France est devenue une exécutante servile de la volonté des Etats-unis. Pour autant, l’alacrité de Macron qui n’a su utiliser la présidence tournante du Conseil de l’Europe qu’il occupait au plus fort de la crise que pour la renforcer et abonder dans le sens des injonctions américaines, cache, derrière cette démonstration ostentatoire de servilité à l’ordre américain, un sourd intérêt français qui n’a rien à voir avec le romantisme de la souveraineté ukrainienne menacée et qu’il faut sauver à tout prix.
Pour comprendre l’aveuglement français dans la haine anti-russe relayée abondamment par la propagande et les médias, il faut tourner le regard vers l’Afrique noire où la France néocoloniale persévère dans son être diabolique à travers un système implacable et suranné — la Françafrique. Sur ce terrain toutefois, comme au Sahel mais aussi en Afrique centrale, la Russie de Poutine, par son assistance militaire, a mis en déroute le narratif de la présence française qui, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, était surtout vouée à créer, renforcer et maintenir celui-ci, afin de continuer à piller ces territoires.
Confrontée à l’offensive russe dans ses territoires africains, la France était d’autant plus inquiète qu’elle ne pouvait ouvertement s’opposer à la volonté des dirigeants rebelles de ces pays de sortir de sa cage néocoloniale et de voler de leurs propres ailes en matières sécuritaires. Face à ce dilemme d’une incapacité morale et politique d’affronter la Russie sur le sol africain, la France a trouvé dans la guerre d’Ukraine une occasion en or d’en découdre avec son empêcheuse russe de néocoloniser et de piller l’Afrique en rond. En entrant à corps perdu dans la guerre de l’Ukraine au motif farfelu de vouloir sauver la souveraineté menacée de celle-ci ; en donnant à ce parti-pris belliqueux l’objectif passablement extravagant de vaincre militairement la Russie ; en voyant dans cette victoire le cas échéant le signe de l’efficacité d’une action concertée de l’Union européenne ; en promettant de mettre à genoux l’économie russe, comme le disait le Ministre de l’économie française dans un numéro de rodomontade pour le moins farfelu, la France espérait faire d’une pierre deux coups : participer activement au mot d’ordre géopolitique des Etats-unis, exécuter leurs injonctions au mépris de l’idée gaulliste de l’indépendance française, et dans le même geste se débarrasser de l’irruption russe dans les affaires africaines.
En clair, vaincre la Russie en Europe, avec la sous-traitance de l’Union Européenne et sous l’égide américaine, est encore la meilleure façon pour la France de la vaincre en Afrique noire. Un art bien risqué de faire d’une pierre deux coups.
Adenifuja Bolaji
