
Depuis le début de son quinquennat, la gouvernance de Macron est marquée par une tendance surprenante à prendre des distances non moins surprenantes avec la vérité, qui devient pour ainsi dire sa marque de fabrique.
Oh certes, depuis Machiavel on sait que l’espace public n’est qu’un espace de représentation et que la vérité n’est pas la première vertu des politiques. Mais avec la post-modernité on a basculé dans la post-vérité. La vérité –correspondance entre une proposition et la réalité à laquelle elle réfère — a fait long feu, supplantée par la puissance structurelle de l’émetteur, sa capacité à mobiliser, produire et manipuler les émotions.
Mais ce qui frappe chez Macron et que l’on retrouve décrié dans l’opinion c’est moins le déficit de vérité que le culot qui l’anime, érigé en méthode de communication voire de gouvernement. D’où l’accusation de mensonge. Or ce qui apparaît comme mensonge chez Macron et qui est décrié comme tel par l’opinion scandalisée, à y voir de près, est tout sauf un mensonge.. En politique, le mensonge est le conflit entre une déclaration ou une affirmation et l’état de la réalité au moment où celle-ci sont prononcées.
Ainsi, lorsque l’ex-ministre de l’intérieur de Macron Monsieur Christophe Castaner déclare :
« Aucun policier n’a attaqué les Gilets Jaunes… Je n’ai jamais vu un policier ou un gendarme attaquer un journaliste »,
il commet un mensonge. Il le commet avec le culot de ceux qui sont au pouvoir et qui sont assurés par les médias aux ordres de la toute-puissance de leur parole, indépendamment de son statut de vérité. Idem pour Madame Agnès Buzyn, l’ex-Ministre de la santé lorsqu’elle déclare au tout début de la « pandémie » :
« Nous avons des dizaines de millions de masques en stock en cas d’épidémie. Ce sont des choses qui sont programmées et si, un jour nous devrions proposer à telle ou telle population ou personne à risque de porter des masques, aujourd’hui, les autorités sanitaires distribueront ces masques aux personnes à risque ».
Dans ces deux déclarations faites par des ministres alors en exercice, nous avons une contradiction flagrante entre les propositions et les faits auxquels ils étaient censés faire référence ; en l’occurrence il n’y avait pas de stock de masques disponible en France au début de la pandémie, et plus d’un Français a pu voir sur les réseaux sociaux, et dans les médias — y compris les média main stream — des bastonnades sauvages de Gilets jaunes ou de journalistes par des policiers en fureur.
En revanche, nous sommes dans un tout autre schéma de véridicité avec les déclarations diverses de grands personnages du régime de Macron concernant des décisions ou des principes d’action en lien avec la gestion de la pandémie. Ainsi, en est-il de l’assurance donnée au mois de mai 2021 par Mme Braun-Pivet, présidente de la Commission des Lois constitutionnelles, de la Législation et de l’Administration générale de la République à l’Assemblée nationale, lorsqu’elle disait :
« Nous allons faire inscrire dans la loi qu’il n’y aura jamais de pass sanitaire pour des choses aussi simples de la vie quotidienne qu’aller au resto ou prendre un café dans un bar »
De même que ces propos à dormir debout de Monsieur Olivier Véran, Ministre de la santé :
De même que ces propos apparemment clairs de Monsieur Macron :
Or le 12 juillet, la déclaration de Macron vient balayer d’un revers de main toutes ces belles assurances qui paraissaient frappées au coin du bon sens, de la sincérité et de l’esprit de responsabilité d’un chef D’État, s’adressant à son peuple. Et l’opinion, sur les réseaux sociaux ainsi qu’une frange de la presse encore libre, de crier au mensonge de Macron. Or, à y voir de près, le schéma de véridicité des trois dernières déclarations — celle de Mme Braun-Pivet, celle de Véran, et encore plus celle de Macron — n’est pas le même que celui des deux déclarations précédentes — celles de M. Castaner et de Mme Buzyn. Dans ces deux derniers cas, les déclarations faisaient référence à des faits avérés ou supposés tels, à savoir le tabassage de Gilets jaunes ou de journalistes par des policiers ou l’existence présumée de stock de masques. Il s’agit de faits qui sont présumés avoir eu lieu. Mais lorsque le Ministre de la santé affirme la main sur le cœur que le gouvernement ne va pas recourir au pass sanitaire ; et pire encore lorsque le président Macron déclare qu’il ne rendra pas la vaccination obligatoire, il ne s’agit pas de faits avérés, mais des déclarations d’intention ou des promesses ; et de telles déclarations n’ont pas le même statut de véridicité que des faits avérés. Car en l’occurrence, la comparaison n’est pas entre faits et propositions, mais entre deux propositions.
Donc cette manière de procéder de Monsieur Macron qui consiste dans des temps relativement courts à faire deux proportions contradictoires sur le même sujet, à dire telle chose puis à faire quelques semaines plus tard tout le contraire n’est pas du mensonge mais l’expression d’un double parti-pris éthique logiquement cohérent. D’une part, il s’agit de son adhésion à l’éthique de la post-vérité, pour laquelle les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles. Et d’autre part, une manière pour le moins machiavélienne de tirer les conséquences de cette éthique. En instaurant le pass sanitaire quelques semaines après avoir affirmé la main sur le cœur qu’il ne le ferait pas, Macron ne fait qu’utiliser une stratégie psychologique pour prendre la population par surprise, l’endormir avant de l’assommer. Dans un premier temps, le peuple croyant en la parole du chef de l’État, avec tous les égards désormais caducs de la parole d’un Chef de l’État, baisse la garde. Et, profitant de ce sommeil éthique, Monsieur Macron fait le contraire de ce qu’il avait dit, assomme le peuple qui entre alors dans un état de sidération. Cet état permet au chef de L’État de réaliser jusqu’au bout sa décision sans trouver d’obstacle devant lui. Car désarçonné par la surprise de la décharge, le peuple met du temps à s’en remettre.
En clair, la logique de revirement permanent qui caractérise la gouvernance de Macron, les contradictions entre ses dires et ses faits ne signifient pas qu’il s’agit de mensonge, mais traduisent le parti-pris de la post-vérité et d’une instrumentalisation politique de la violence psychologique d’un machiavélisme achevé.
Ahandeci Berlioz et Adenifuja Bolaji
