Les Tocos et les Faucons : Sociologie des Élections en Afrique de l’Ouest

Sur le golfe du Bénin, et plus extensivement sur le golfe de Guinée, les pays sont caractérisés par un faciès et un ethos sociopolitiques clivés, en raison de la géographie et de l’histoire héritées du colonialisme. Chacun de ces pays –Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin, Nigeria — est divisé en deux grandes régions à sensibilité politique marquée et tranchée, ethniquement déterminée : il y a une région où les gens sont instinctivement et traditionnellement disposés à brûler le pays, instaurer l’anomie au nom de leur primauté politique qu’ils tiennent pour naturelle, et pour la défense de laquelle ils pratiquent volontiers la politique de la terre brûlée, « c’est-nous-ou-le-chaos », « ou-bien-nous-sommes-au pouvoir-ou bien-le pays-explose ». Cette disposition n’est pas seulement un élément de chantage politique, mais un état d’esprit potentiellement traduisible dans la réalité. Cette région nous l’appellerons la région des faucons

Et puis il y a la seconde région, celle des tocos (variété paisible de toucans) qui, pour des raisons historiques et culturelles, a intériorisé l’identification à la nation et qui tient l’unité et la cohésion de celle-ci comme primordiales. La guerre, les violences politiques meurtrières ne semblent ni dans ses gènes ni dans ses habitudes, et elle fait tout pour les éviter.

Ce clivage éthique s’exprime lors des élections présidentielles considérées, dans ces états à tradition autocratique plus ou moins déguisée, comme la reine des élections. Pendant ces occasions, si le Président en exercice est de la région des faucons et cherche à rempiler plus ou moins légalement une énième fois, eh bien, il va de soi que sa victoire est une évidence biblique, une formalité que le théâtre électoral se chargera d’accomplir, s’il le faut dans la violence et le sang, dans tous les cas dans une implacable terreur.

Si, comme cela est rare, c’est le candidat de la région des tocos qui était au pouvoir, et que se présente face à lui un adversaire de la région des faucons, même si les élections qui le donnent gagnant sont d’une irréprochable honnêteté saluée par l’ensemble des observateurs internationaux, la reconnaissance de sa victoire et plus encore son maintien au pouvoir se solderont par des agitations, des soulèvements causant hécatombes et déprédations, s’ils n’aboutissent pas à la guerre civile et le chaos.

Le cas où la paix règne est le seul où le candidat de la région des Faucons se perpétue au pouvoir. Dans ce cas, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, et chacun semble alors dans son rôle et son tempérament. Pour les uns, la règle est d’être au pouvoir et l’exception d’en être hors, et pour les autres la règle est d’être hors du pouvoir, et l’exception d’y être — éventualité qui se réalise souvent dans la violence.

Sans en être les exceptions, le Ghana et, dans une bien moindre mesure, le Bénin offrent des faciès nuancés quant à l’actualisation de cette règle. Quant aux autres États, ils apparaissent presque comme des paradigmes.

Adenifuja Bolaji

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