Afrique : Pédagogie vs Talents

A priori, en voyant l’habileté scénique de ces très jeunes enfants, leur vivacité et leur intelligence des gestes et des rythmes, on applaudit leurs talents, et on se dit vivement qu’ils soient portés, par une éducation idoine, à leur légitime firmament qui révélerait les grands acteurs et actrices qu’ils sont déjà en herbe. Que, comme cela arrive la plupart du temps, ce gisement de talents ne s’étiole pas à force d’être laissé à l’abandon, parce que le théâtre, le métier d’artiste ou de comédien ne seraient pas censés nourrir son homme ou sa femme… Et on prie pour que ceux qui s’occupent de la jeunesse ne laissent pas s’éteindre ces étincelles de talents qui ne demandent qu’à être entretenues pour révéler tout le potentiel de lumière et de flamme qui sommeille en eux.

Mais à peine a-t-on fait cette réflexion et formulé ce vœu qu’en se penchant sur le contenu de la scène dont le jeu les a portés à notre connaissance enthousiasmée, on en reste perplexe. Dans ce mini-drame de la vicissitude sentimentale, on entend d’abord la déclamation du prétendant mis en ballottage amoureux, qui dit « Baby, baby I love you » ; anglicisme qui exprime à la fois sa passion et la douleur d’un cœur meurtri de se savoir menacé de concurrence. Et la femme de répondre en fon « A ko hor aloba nu mi fo cho bo lo I love you dor wè a. » En clair, « Que vaut ton ‘I love you’ si tu n’es même pas capable de m’offrir un portable ? » S’ensuit un échange d’invectives et de déballages ; et une réplique éloquente de la jeune femme qui en dit long sur l’éthique de l’amour sous nos cieux. Parlant de sa liberté de choix amoureux, elle dit : « Je peux épouser un Français, un Libanais ou un Indien, c’est pas ton affaire ! » Un Français, un Libanais, un Indien, pour une Béninoise au lieu par exemple d’un « Nigérian, Togolais ou Malien ». Cet éventail de suggestions de la femme révèle ce qui, dans l’imaginaire local, fait sens en tant que choix marital en or. Ceux qui, dans la perception sociale des Béninoises, ont de l’argent et donc le pouvoir d’attraction sur elles ; ceux avec qui elles ont la certitude d’avoir un beau parti. Il s’agit donc d’une conception matérialiste des rapports amoureux, qui est déjà annoncée par la plainte de ne pas s’être vu offrir un téléphone, et qui finit dans la liberté d’épouser un Français, un Libanais ou un Indien, au lieu plus modestement d’un Togolais, d’un Malien ou d’un Nigérian…

Dans cet échange d’un drame de la vie sentimentale ordinaire, entre matérialisme stupide et violence conjugale, il n’y a pas, comme le disent les Anglais, de quoi écrire au pays. Rien d’édifiant, rien d’éducatif, rien d’éthique, rien de recommandable, rien d’exemplaire pour qu’on y mêle de jeunes enfants dans la fleur de l’âge, qui devraient apprendre plutôt que l’amour n’a rien à voir avec l’intérêt matériel — Français, Libanais, Indien — même si on ne vit pas d’amour et d’eau fraîche. Au lieu de quoi, dans une inconscience abyssale, la vidéo circule en toute fierté, et tous ceux qui se la partagent ne voient que le premier aspect sans le second : Comment pourrons-nous aller loin en tant que société ou race avec une telle naïveté ? Entre les exigences pédagogiques et l’exhibition du talent, nous devons faire un choix conforme à ce que Max Weber appelait l’éthique de la responsabilité…

Alan Basilegpo


Antithèse

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