Cœur de Cauris : Amour et Égalité des Sexes en Afrique

La question de l’égalité des sexes est une question sérieuse, qui défraie la chronique de façon régulière. Elle se pose aussi bien au niveau politique – lorsqu’il s’agit d’élire les représentants ou de nommer des politiques (ou des hommes, comme on dit)à divers postes de l’appareil d’Etat – qu’au niveau social, notamment dans le monde du travail, avec en ligne de mire les questions sous-jacentes de l’égalité salariale et de l’accessibilité des femmes à des postes de responsabilité.

Dans tous les cas, la question de l’égalité des sexes renvoie à celle de la parité en laquelle elle se résout politiquement, comme réponse à la demande de justice comme fondement de la vie démocratique. Mais à l’instar de la vie démocratique elle-même, la place de la femme dans la société, la question de l’égalité des sexes, la liberté des femmes, toutes ces questions sont culturellement déterminées. En clair, la liberté  des femmes ou l’égalité des sexes ne signifient pas les mêmes choses  aux Pays Bas qu’en Iran, au Maroc, en Chine, au Brésil ou en Tanzanie.

Ainsi, cette manière politique de résoudre la question de l’égalité des sexes en terme de respect de la parité, à l’instar de l’exigence de parité raciale, sous-entend l’appartenance à une société calquée sur le modèle occidental, ou faisant siennes autant que faire se peut certaines de ses valeurs proclamées comme les libertés  démocratiques, la justice, le droit à l’éducation et au travail, etc…

Ce rapport aux sociétés occidentales dont les valeurs et les pratiques qu’on le veuille ou non sont dominantes actuellement reste pertinent lorsqu’on envisage la question de la liberté des femmes et du respect qui leur est dû, sous l’angle de leur autonomie financière, sociale  et économique. L’expérience du rapport au sexe  opposé qui prépare à la vie matrimoniale est un moment et une occasion significatifs où s’exprime en même temps que se mesure la liberté de la femme.

Jadis, en Occident, comme dans la plupart des pays actuellement avancés, les choses ne furent pas toujours comme elles le sont aujourd’hui en ce qui touche au statut social de la femme. En Occident, comme partout ailleurs, la femme avait un statut de mineure soumise à la loi patriarcale des hommes. Mariée, elle était dépendante de son mari moralement et économiquement. Dans ces conditions, le critère de l’intérêt de la femme pour l’homme – que ce soit d’un simple point de vue éthique ou même dans un but matrimonial – était d’abord économique avant d’être amoureux au sens poétique du terme. Or, au fur et à mesure que la société, l’économie progressent, l’éducation, les savoirs, et la culture mais aussi les valeurs et les représentations – y compris la représentation du fait amoureux – suivent le même mouvement d’évolution. Le 19ème siècle avec le courant du romantisme a porté à son apogée l’idée occidentale de l’amour qui a fait ensuite tâche d’huile dans les pays avancés ou occidentalisés, par le biais des arts, de la littérature et du cinéma.

D’une manière générale, la posture philosophique de l’occident, qui définit la culture comme un moment d’expression et de  reconquête de la liberté humaine sur les contraintes de la nature, pose le mythe de l’amour comme une rectification volontaire du déterminisme social des rapports entre les sexes tel qu’il a été à l’œuvre depuis la nuit des temps. C’est cette rectification, portée par la bourgeoisie et favorisée par les progrès de l’éducation, l’émergence d’une classe moyenne en phase avec les grandes mutations sociales et économiques, qui a donné sa forme actuelle à l’autonomie de la femme dans les sociétés modernes.

C’est pourquoi en Occident, la femme jouit actuellement d’une plus grande liberté que jadis et dans nombre de sociétés non-occidentales actuelles. Ainsi, peut-elle aborder le fait amoureux sans être obnubilée par les  préoccupations économiques qui l’inféodaient à l’homme par le passé, comme cela est hélas le cas dans d’autres sociétés qui comme en Afrique, ne connaissent pas encore les mêmes progrès économiques, sociaux et intellectuels. C’est pour cela que la condition amoureuse de la femme africaine est des plus pitoyables et des plus implacables.

La condition amoureuse de la femme africaine est d’autant plus pitoyable que nos sociétés sont contaminées par le discours  et l’écho des valeurs prétendument occidentales sans pour autant avoir les moyens matériels, philosophiques et culturels de les assumer. La femme africaine, surtout lorsqu’elle est instruite, peut user du mot amour comme n’importe quelle femme occidentale à ceci près qu’elle n’y met pas la même chose que cette dernière. La conditionnalité matérielle et financière est toujours prégnante dans le rapport à l’amour de la femme africaine ; c’est une seconde nature. L’homme reste perçu en Afrique comme un payeur, un bailleur de fonds et la femme comme une auxiliaire du sexe socialement valorisé.

Il va de soit que ce type de perception qui va de pair avec une certaine condition ne favorise pas la liberté de la femme car on ne peut pas à la fois être libre et se vautrer dans le culte de la  dépendance. Or, bien souvent, la femme est une des prêtresses les plus passionnées de ce culte. Non seulement dans nos villes où, même instruites, les femmes continuent de faire la sourde oreille aux valeurs poétiques qui fondent la culture de l’amour et de la liberté, mais aussi dans nos villages où le paradigme traditionnel de la femme objet continue de faire autorité.

De nos jours, si dans un village, une jeune femme de 17 ans  a le choix entre un jeune forgeron honnête d’une vingtaine d’année très amoureux d’elle et lui promettant amour, mariage et fidélité ; et un cinquantenaire bedonnant, l’homme le plus riche, dont tout le monde murmure que sa fortune lui vient du trafic d’organes d’enfants kidnappés et tués ; un homme au demeurant déjà marié à une demi-douzaine de femmes. Il est à peu près sûr que la jeune femme sans hésiter, obnubilée par son statut officiel ou apparent, se jetterait dans les bras du cinquantenaire, appâtée par les offres financières et les promesses mirifiques du polygame trafiquant d’organes d’enfants kidnappés. Elle n’aurait d’yeux que pour la richesse hypothétique du polygame. Richesse hypothétique dans la mesure où, la jeune femme doit compter avec ses six autres coépouses concurrentes et leurs rejetons. Et, comme cela arrive souvent, très vite, aussitôt son aveugle mariage consommé, elle se rend compte de l’intérieur que le statut et l’argent qui motivèrent ce choix ont du mal à tenir la route, tandis que la réalité d’un traitement rude prend peu à peu la place des belles promesses de tendresse et de soin dont elle fut gavée.

Tant que nos femmes, qu’elles soient du village ou de la ville, auront le cauris à la place du cœur, resteront toujours posés les problèmes de la liberté de la femme et de l’égalité des sexes. Or, faut-il le rappeler, de cette égalité des sexes dépend le progrès de la société – et inversement.

Alan Basilegpo

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