Afrique, le CFA est-il le Problème ?

Portée par la jeunesse et les activistes panafricains, la question du franc CFA a défrayé la chronique et continue toujours d’être  au centre du débat des pays francophones. Au-delà de tous ses aspects techniques et politiques souvent difficile à saisir par les non initiés, une chose reste simple à comprendre par tous : c’est le fait que le trésor français s’accapare de pas moins de 50% des devises des États africains. Et cela, depuis plus de 60 ans ! Ce fait suscite la colère des Africains, notamment de la jeunesse qui y voit la cause de la pauvreté qui gangrène l’Afrique, de son retard comparé au reste du monde et, à l’intérieur de l’Afrique, des états francophones comparés à leurs  frères anglophones.

Mais le raisonnement qui impute la pauvreté africaine à l’accaparement par la France de 50% des devises des pays francophones mérite d’être nuancé à défaut d’être suspendu.

Outre – ce qu’on oublie souvent en Afrique – que la prospérité socioéconomique n’est pas une fonction univoque et directe des devises ou des richesses en matières premières d’une collectivité, mais dépend aussi de facteurs axiologiques, des valeurs et de l’identité éthique de celle-ci. Quand on voit qu’avec la moitié des devises qui revient aux pays francophones après l’arnaque française du CFA, la corruption est à son plus haut niveau, les détournements monstrueux et bestiales qui sont effectués par les politiques et l’élite dirigeante des pays depuis des décennies, pendant que les peuples sont laissés pour compte ; quand on voit que les plus fortunés de ces voleurs d’Etat transfèrent des sommes faramineuses vers les paradis fiscaux, et les banques occidentales, s’achètent des châteaux ou d’adonnent à des spéculations immobilières dans les pays riches avec les deniers publics de pays pauvres dont ils se sont rendus maîtres, on ne peut que rester perplexe  face à l’argument qui infère la pauvreté de l’Afrique du vol par la France de la moitié des devises africaines à travers l’arnaque du CFA. Et si la comparaison avec les  pays anglophones qui ont leur propre monnaie montre un réel avantage de ceux-ci sur leurs frères francophones, il reste qu’on ne peut expliquer la pauvreté générale de l’Afrique – toute obédience coloniale confondue – par le seul facteur du néocolonialisme, français ou non.

Ce qu’on pourrait craindre et qui est vraisemblable dans le cas où l’arnaque du CFA n’aurait pas existé et que 100% des devises des Etats africains leur revînt, c’est tout simplement une amplification linéaire ou exponentielle de la même gabegie, de la même corruption, des mêmes abus de pouvoir, des mêmes détournements du bien public. En clair, là où un Bokassa, – paradigme historique qui malheureusement fait figure d’enfant de cœur aujourd’hui face à ses successeurs et émules africains dans le  pillage des deniers publics – là où  l’ex-empereur centrafricain s’offrirait six châteaux et une dizaine de comptes off-shore, le même Bokassa se trouverait à la tête de douze châteaux et une vingtaine de comptes off-shore bien plus pourvus en millions de dollars que dans le cas normal. De même, suivant la pyramide du pouvoir de pillage qui n’est pas toujours identique point par point à la pyramide du pouvoir, toute la clique composant son régime se servirait dans les mêmes proportions. Et à l’arrivée, l’Afrique ne serait pas moins pauvre qu’elle n’est aujourd’hui.

En clair, à en juger par la gouvernance irrationnelle qui prévaut en Afrique depuis les indépendances, rien n’indique que la souveraineté monétaire aurait significativement changé la situation socioéconomique de l’Afrique francophone. Donc, outre  les  déconvenues inhérentes à l’acquisition d’une vraie monnaie africaine, au cas où sa création n’aurait pas été bien pensée et préparée, il est à craindre que le lien entre autonomie monétaire et prospérité en Afrique noire ne soit un nouveau miroir  aux alouettes, à l’instar du rêve des indépendances.

Adenifuja Bolaji

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