La discrimination à l’encontre des burakumin dans le Japon contemporain s’est construite au fil des siècles. Elle s’avère particulièrement difficile à enrayer tant les formes que prend la marginalisation de ces Intouchables nippons se modifient d’une époque à l’autre.
La discrimination à l’encontre des burakumin au Japon est un phénomène assez méconnu en France. Considéré comme une violation des droits de l’homme, ce problème est débattu au sein d’instances internationales chargées de les protéger. La prolifération des actes et des propos discriminatoires sur internet a poussé le gouvernement japonais à adopter en décembre 2016 une « loi pour faire disparaître la discrimination à l’encontre des buraku » (Buraku sabetsu kaishō hō). Pourtant, même si elle marque une reconnaissance officielle de la persistance de la discrimination malgré les mesures de discrimination positive mises en place de 1969 à 2002, la législation japonaise est jugée insuffisante pour la combattre. La particularité de l’exclusion qui vise les membres de cette minorité réside dans le fait qu’ils ne présentent aucune différence phénotypique, ethnique, religieuse ou même linguistique avec les autres Japonais. Alors que cette inégalité de traitement est bien moins visible au sein de la société que dans les années 1960, elle peine à être enrayée et se manifeste de façon cachée dans le domaine de l’emploi, du mariage et dans les situations de la vie quotidienne. Sujet tabou au sein de la société japonaise, dont on évite de parler et de débattre, il n’en demeure pas moins un objet de polémique comme en attestent les propos discriminatoires récents de l’ancien présentateur télévisé Hasegawa Yutaka, soutenu par le Japan innovation Party pour sa candidature aux élections à la Chambre des conseillers (l’équivalent du Sénat), à laquelle il a finalement renoncé. Selon le journal Asahi, lors d’une conférence au mois de février à Tokyo, il a déclaré à propos des couches discriminées du Japon prémoderne – considérées par la majorité des Japonais comme les ancêtres des burakumin – qu’elles seraient d’une existence inférieure à l’espèce humaine, enclines au crime et à la violence. Ces propos témoignent de la réalité des préjugés vis-à-vis des buraku et de leurs habitants qui circulent aussi bien au sein des classes supérieures que des classes populaires [1]. Les justifications de cette discrimination sont changeantes en fonction des époques, ce qui conduit à nous interroger sur les raisons de son maintien. Mais cette catégorisation pose avant tout des problèmes de définition dont les contours sont flous et arbitraires.
Définir un buraku et un burakumin aujourd’hui
Les recherches sur le problème buraku au Japon soulignent les difficultés à définir de façon précise ces deux termes et ce qu’ils désignent. D’un point de vue linguistique, en japonais, burakumin est composé du mot buraku qui signifie « hameau, village » et de –min, qui peut se traduire dans ce contexte par « les gens ». Le mot désigne donc littéralement « les gens du hameau ». Ils sont considérés par la majorité des Japonais comme les descendants des eta – un groupe qui se consacrait majoritairement à l’agriculture et à d’autres métiers comme le traitement des peaux de bêtes mortes, des travaux de surveillance ou bien l’exécution d’un condamné – et des hinin qui étaient principalement des mendiants. Ces deux groupes étaient inclus dans la catégorie des senmin – que l’on peut traduire par « les gens du bas peuple » – qui englobaient une variété d’autres individus aux appellations et aux professions diverses à l’époque prémoderne (1600-1868). Les senmin se situaient en dessous des quatre conditions existantes de cette période en fonction desquelles le peuple était réparti, c’est-à-dire les guerriers, les paysans, les artisans, les marchands. Certains senmin comme les eta possédaient la compétence particulière de pouvoir s’occuper de la souillure liée à la mort. C’est pourquoi ils manipulaient les peaux de bêtes mortes pour, entre autres, les tanner afin de confectionner des articles en cuir, etc. Ceux qui avaient cette « compétence » étaient considérés comme ayant une existence souillée et ils étaient mis à l’écart du reste des Japonais. Même les eta, qui ne pratiquaient plus cette activité durant l’époque prémoderne, ont continué à être perçus comme des êtres souillés [2]. Quant aux autres senmin, ils étaient simplement dépréciés au sein de la société. En 1871, un édit d’émancipation a été promulgué pour abolir ce statut. Pourtant, les buraku sont aujourd’hui désignés par les non-burakumin comme les anciennes zones d’habitation des membres de ces groupes. Précisons toutefois que le contact avec d’autres groupes non inclus dans la catégorie des senmin, mais qui avaient la capacité d’ôter la souillure en purifiant les zones souillées, était évité et que leurs anciennes zones d’habitations sont aussi considérées comme les buraku actuels. La stigmatisation et la discrimination à l’encontre des buraku et de ses habitants perdurent donc aujourd’hui encore et se fondent uniquement sur leur lieu d’habitation de façon arbitraire. En effet, les zones considérées actuellement comme des buraku sont finalement celles que les gens considèrent comme telles [3]. Déménager hors du buraku ne garantit pas d’échapper à cette assignation, car celle-ci se transmettrait par le sang.