
Chez le Béninois, l’imitation est un comportement social ambigu ; elle est souvent motivée par une envie larvée, un refus d’admettre la position radieuse de l’imité ; elle implique alors une volonté souvent farouche de réplication du modèle, dans un élan réactif socialement codifié. Sous les cendres de son ambigüité, le mimétisme béninois cache à peine le feu noir de la jalousie. Consciemment ou inconsciemment, l’imitateur table sur la destruction du modèle, sa réduction ou son anéantissement, qui lui procure alors un soulagement. Preuve s’il en est que l’imitation n’était qu’un moyen, voire un pis aller, et que le prurit mimétique est motivé surtout par l’incapacité de supporter ce qui est vécu comme le sacre de l’autre, l’incapacité de comprendre que le succès ou le bonheur de l’autre peut être aussi une médiation vers notre propre succès ou bonheur. L’incapacité d’admettre le fait pourtant nécessaire de la division du destin collectif, qui affecte à chacun, ses opportunités, ses chances et ses fortunes.
Au Bénin, si une activité X est rentable avec un maximum de Y acteurs, et à supposer que chacun perçoive le bien fondé de cette limitation, très vite on s’aperçoit que le syndrome mimétique agit de telle sorte que 2Y, 5Y, 10Y voire 100 Y nouveaux acteurs s’y lancent sans demander leur reste ; ce faisant, ils ruinent les chances de succès de l’activité, sa rentabilité pour tous, à commencer par les Y primo-acteurs. Et après cette ruine, tout redevient normal, les 99 Y imitateurs opportunistes qui ont occasionné la ruine de l’activité X ont le sentiment de la mission accomplie et, n’ayant cure de leur propre échec, retrouvent la paix du cœur et de l’esprit que le succès des Y primo-acteurs avait menacée.
Ce fonctionnement psychologique de l’éthos du Béninois informe la caractérisation de la haine de soi typiquement béninoise qu’on appelle communément béninoiserie.
A certains égards, tout porte à croire que le comportement de l’homme d’affaire Martin Rodriguez s’inscrit dans ce schéma nosographique. En effet, Martin Rodriguez s’est inscrit dans la réactivité par rapport à Patrice Talon, à chaque moment clé du processus qui a conduit celui-ci à la Marina.
Quand Patrice Talon a levé le voile sur sa volonté de se porter candidat aux élections présidentielles de 2016, un certain nombre de ses compatriotes qui ont le même profil que lui se sont mis en piste soit en annonçant leur ambition présidentielle ou la possibilité de leur candidature. Ce fut le cas de Sébastien Ajavon et Martin Rodriguez, pour ne citer que ces deux hommes d’affaires béninois de haut calibre.
Mais, alors que la réactivité de Sébastien Ajavon était formelle et courtoise — formalisme et courtoisie qui, sublimés, allait le conduire à rejoindre le groupe des candidats de la rupture mené par son meilleur candidat du second tour — Martin Rodriguez s’est quant à lui montré rétif à toute entente avec Talon sur lequel il n’a eu de cesse de tirer à boulets rouges. Son offensive médiatique a connu plusieurs moments forts. La première fois ce fut dans le cadre de son invitation à l’émission « Le Grand Débat » de la radio Africa N°1, animée par notre compatriote Francis Lalupo. La deuxième fois, ce fut dans ce qui parut une réplique sinon une réplication de l’interview inaugurale de Patrice Talon à Canal 3, recueillie par Malik Gomina et Rachid Odjo, interview au cours de laquelle l’actuel président a laissé entrevoir de façon à peine subliminale son intention de se porter candidat à élection présidentielle de 2016. A l’instar de Talon qui reçut à son domicile d’exil français ses interviewers, M. Martin Rodriguez reçut lui aussi dans son bureau de Washington le même journaliste Malik Gomina de Canal 3. Dans ces deux sorties de l’homme d’affaire béninois volontairement exilé aux États-Unis, Patrice Talon fut la cible d’une critique en règle au cours de laquelle traçant l’historique de ses démêlées lui dans la guerre de position du Coton, M. Rodriguez démontait preuve à l’appui le mécanisme qu’il considérait comme crapuleux de l’enrichissement de Patrice Talon, ses méthodes peu catholiques, ses rapports incestueux et instrumentaux avec la politique, ses rapines et butins mirifiques qui se chiffreraient en centaines de milliards au détriment de l’État.
Puis, après ces deux moments d’offensive médiatique contre Patrice Talon, que celui-ci, fidèle à son tempérament réservé ignora, ce fut le calme plat. A l’instar de Sébastien Adjavon dont l’opposition formelle à Talon l’avait conduit à se porter candidat à la présidentielle, l’opinion piquée à vif par la polémique déclenchée par M. Martin Rodriguez, s’attendait naturellement que celui-ci se portât candidat. Mais il n’en fut rien. Des semaines et des mois s’écoulèrent sans qu’on entendît celui qui, à travers ses attaques virulentes et ses graves accusations, ne fit pas mystère de son inimitié avec Talon.
Avec le temps, tout le monde a pu constater que M. Rodriguez ne faisait pas partie de la longue liste des candidats à l’élection présidentielles de 2016. L’homme d’affaires béninois exilé aux Etats-Unis avait visiblement d’autres chats à fouetter, se disait-on ; ou alors prenant la saine mesure de ses capacités d’entraîner une section significative de l’électorat dans l’aventure présidentielle, au moment où deux autres grands capitaines d’industrie mieux implantés que lui dans le pays se disputaient déjà ses faveurs, a-t-il préféré de manière réaliste rester en dehors d’une joute qu’il savait perdue d’avance ?
En vérité, force est de reconnaître que les surgissements alternatifs de M. Rodriguez dans le débat présidentiel correspondaient à une forme extrême et presque pathologique de la réactivité inhérente au syndrome de la haine de soi béninoise décrite plus haut. Cette propension à réagir par réplication comme le montre sainement le cas de Sébastien Adjavon, fut, chez M. Rodriguez, déclinée sur un mode alternatif et par saccades. Pendant quelque temps, l’opinion, ayant pris acte du long silence de nécropole qui a suivi les premières escarmouches de M. Rodriguez, son absence remarquée lors des moments rituels clés qui scandaient l’Odyssée présidentielle, avait fini par conclure à sa sortie, non seulement de la course mais du débat politique.
Mais à la vérité, le silence intrigant de M. Rodriguez, qui n’avait d’égal que ses surgissements saccadés dans le débat présidentiel était un silence spéculatif. Il avait été influencé en grande partie par l’élément majeur qui captiva — pendant un certain temps — le microcosme électoral béninois : l’émergence de la candidature de Lionel Zinsou à laquelle les apparences trompeuses de la félonie et de l’achat de conscience prêtèrent l’illusion d’un succès inéluctable.
Mais le peuple réel démentit l’illusion et trouva en la personne de Patrice Talon la parade à la menace de son indépendance mise à prix par une tourbe infecte de politiciens félons qui se précipitèrent d’instinct, comme des moutons de Panurge, dans le grand abîme historique de la honte. C’est alors que le triomphe de Patrice Talon auquel visiblement il ne s’attendait pas, réveilla Martin Rodriguez de son sommeil spéculatif. Alors à la veille du second tour, il convoqua une conférence de presse au Marina Hotel. Au cours de cette troisième offensive médiatique où il s’était fait entourer d’un quarteron d’opportunistes bénis par la Françafrique, Martin Rodriguez parla à nouveau des péchés capitaux de Talon, de ses crimes économiques présumés, et du risque que son élection éventuelle constituait pour la nation béninoise, sa société et son économie. En gros, son sermon n’était qu’une resucée de la rhapsodie des accusations de ses sorties précédentes. A travers ce portrait en noir de Talon dépeint en pilleur sans foi ni loi du bien commun, le but de la manœuvre, à l’évidence était rhétorique : il s’agissait de détourner les Béninois de la tentation d’élire Patrice Talon comme Président de la République. Mais la manœuvre tourna court. Talon fut élu à la limite du plébiscite.
Si le syndrome du mimétisme ambigu qui caractérise intimement l’éthos du Béninois peut se résoudre dans une synthèse heureuse comme le montre le choix de bon sens opéré par Sébastien Adjavon de respecter son engagement dans le camp de la Rupture, souvent, dans sa variété pathologique, il persévère et pousse le sujet à conformer sa réactivité mimétique à l’évolution de la fortune de son modèle. C’est ainsi qu’une fois Talon élu Président de la République, Martin Rodriguez, se hissa à sa hauteur. Faisant pendant à l’événement, tel un fauve blessé qui réagit d’instinct à l’attaque, Martin Rodriguez annonça la création d’un parti politique nommé Parti Démocratique. Pour un homme qui s’est exilé volontairement aux États-Unis, c’est le moins qu’on pouvait espérer de lui. Comme toujours, dans ces cas, de belles raisons ont été avancées pour justifier la création de ce parti démocratique. L’une de ces raisons et non des moindres était que, face au profil bas sinon au ralliement pieds et poings liés des partis politiques résiduels, il fallait opposer à Talon et à son régime naissant une force démocratique capable de lui donner la riposte et de veiller à la transparence et à la gouvernance. Mais, comme l’initiative en laisse voir le dessein à peine caché, tout se passe comme si à un président de la république venu du monde des affaires et milliardaire, l’opposition idoine qu’il fallait ne pouvait venir que d’un homme d’affaire et milliardaire. Ce schéma est bel et bien dans la logique de la réplication.
Or depuis la création de ce parti, il y a plus de deux mois de cela, aucun acte, aucune prise de parole ou de position n’est venu étayer ou illustrer l’ambition qui l’avait porté sur ses fonds baptismaux. Cette réactivité pour l’instant est restée lettre morte, comme ce fut le cas de ses avatars précédents, démontrant si besoin en est qu’elle s’épuise en elle-même.
Alors évidemment, M. Martin Rodriguez et ses amis peuvent rétorquer qu’un parti politique n’est pas un chien de garde qui aboie à la moindre ombre qui passe devant sa niche. Mais il reste qu’un parti politique a pour vocation d’animer la vie politique nationale, et cette animation sans prendre la seule forme de critique a le devoir de visibilité.
Face à ce déficit de visibilité au moment où le gouvernement pose des actes d’importance capitale pour la nation, les questions lancinantes que se pose le Béninois moyen sont : « Que veut Martin Rodriguez au juste ? » ; « Où est son fameux PD dont il a annoncé la création à cor et à cri ? » ; « Le PD est-il tout simplement une bande de faux-culs » ?
Et au vu de tout ce qui vient d’être dit, la réponse est simple : Selon toute vraisemblance, M. Martin Rodriguez est en pleine crise de Béninoiserie !
Aminou Balogun
![]()