
Quel que soit le poids de l’alliance affichée par le pouvoir, et quels que soient le nombre et la valeur des transfuges de l’opposition qui la rejoindront avant le 28 février, arithmétiquement et politiquement, il n’y a pas place pour le K.-O dans sa version classique ; c’est-à-dire le fait, pour un des candidats, pour ne pas dire celui du pouvoir, d’avoir plus de 50% de voix à l’issue du premier scrutin. Yayi Boni a beau être entêté, l’enjeu n’est pas pour lui le même qu’en 2011, et l’homme est tout sauf suicidaire.
A supposer que le K.-O fût honnête, comment ce qui lui a réussi en tant que président en exercice réussirait-il pour un étranger politique inconnu des Béninois, aussi porté soit-il par une alliance en béton ? L’élection présidentielle est avant tout une question d’homme et de personne ; et l’homme Lionel Zinsou qui ne parle aucune langue des Béninois, qu’il ne connaît en rien, ne pourra pas drainer autant de monde que Yayi Boni en 2011 pour se permettre de faire un K.-O.
Mais tout le monde sait que le K.-O de 2011 est tout sauf honnête. C’était avant tout un holdup, une confiscation bestiale du pouvoir par un homme, qui était prêt à mettre le pays feu et à sang à cet effet. La politique de la terre brûlée en somme : le propre des gens dont le sentiment patriotique laisse à désirer et qui n’hésitent pas, comme le trahit Yayi Boni de mille manières, à vendre leur pays au premier venu. Des gens qui ressentent leur pays en étrangers, et sont prêts à en découdre avec ceux qu’ils considèrent comme ses représentants attitrés auxquels, pour des raisons souvent imaginaires ils vouent une haine aussi ambiguë que passionnée.
Or si le K.-O. en dépit de sa malhonnêteté foncière a pu passer en 2011, il ne saurait être toléré ni possible en l’état dans les conditions politiques transitoires de 2016. Raison pour laquelle Yayi Boni est obligé de faire une croix là-dessus, et de laisser les choses se passer comme elles se sont passées depuis au moins 1990, c’est-dire, des élections plurielles et au pluriel.
Donc, il n’y aura pas K.-O, comme on l’entend classiquement. Mais le K.-O. en tant que mise en scène organisée de la supercherie électorale en vue de subvertir le résultat des élections reste une option active. C’est dire que la forme du K.-O. fera défaut mais la finalité subsistera, en tant que procédé de transmission du pouvoir à un dauphin désigné.
Le principe consiste à, faisant abstraction des votes réels du peuple, dégager autoritairement au niveau de la CENA, comme cela a toujours été le cas au Bénin, les deux candidats du second tour dont la confrontation va permettre de justifier la supercherie électorale.
Pour arriver à cette configuration truquée, on distribuera à la louche — comme cela se fait dans un K.-O classique — les scores des uns et des autres selon le bon vouloir du grand manitou. Quelque chose comme 26 % à Zinsou et 18 % au suivant. Il restera donc 56% à distribuer aux autres candidats.
Le fait que ce qui reste à distribuer aux autres candidats non seulement excède 50 % mais que sa moitié soit suffisante pour que le candidat du pouvoir gagne les élections n’est pas un hasard. Cela fait partie de la mise en scène arithmétique de la supercherie.
Ensuite viendront le deal et les paris politiques.
En l’occurrence, qu’il pleuve ou qu’il vente, les deux candidats de tête seront Zinsou et Talon, car c’est la configuration de rêve qui conforte la supercherie que prépare Yayi Boni. Cette configuration est basée sur l’analyse comparée des reports de voix. Tout le monde sait que Talon et Yayi Boni sont à couteaux tirés, même si la tension entre les deux anciens amis n’est plus à son comble, la hache de guerre est loin d’être enterrée. Pour la plupart des observateurs et même l’homme ordinaire, la candidature de Talon apparaît comme une candidature de revanche. Dans le même temps, la candidature tardive et curieuse de Sébastien Adjavon s’est inscrite en réaction à celle de Talon ; de ce fait, l’idée qu’elle soit inspirée par Yayi Boni dont Ajavon serait le plan B n’est pas seulement une spéculation oiseuse sans fondement à balayer d’un simple revers de main. De cet enchaînement de faits, il découle que si au deuxième tour Talon peut s’aligner facilement derrière Adjavon, l’éventualité inverse d’un Adjavon s’alignant spontanément derrière Talon au nom de l’unité et de la dignité nationales est sujette à caution et doit être prise avec des pincettes. C’est sur cette antisymétrie électorale de la position des deux milliardaires candidats que spécule Yayi Boni pour réussir sa supercherie. Il ne serait pas étonnant qu’au deuxième tour Adjavon ouvre le bal des retournements spectaculaires en faveur de Zinsou ; retournements déjà préprogrammés pour justifier l’issue finale des élections. Si bien que le second tour serait une élection entre deux « tout sauf » à savoir : les tout sauf Talon, et les tout sauf Zinsou.
Comme on le voit, l’idée de mettre en avant Talon participe d’une spéculation ouverte sur la faible espérance des reports de voix sur la candidature de ce dernier. Le truquage des élections qui imposera Zinsou comme président bientôt, emprunte le même cynisme et la même téléologie crapuleuse du K.-O ; la seule différence entre le K.-O classique et le K.-O nouveau, est qu’il est seulement un moteur à deux temps, ou puisqu’il s’agit d’une supercherie, une pièce théâtrale en deux actes.
Prof. Jean-Luc Akpan, politogue, Genève
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