Un riche Béninois vivant en France depuis plusieurs décennies rêvait de marquer l’histoire de son pays d’un action forte et mémorable. Devenir président de la République lui paraissait la position prestigieuse d’où son action pourrait avoir une portée significative et historique. Mais lui-même ne voulait pas devenir Président. D’abord parce qu’il était paraplégique et se déplaçait en fauteuil roulant ; il considérait que cette contrainte physique n’était pas compatible avec la fonction politique d’un homme censé aller au-devant des foules, bouger, voyager de part le monde. D’autre part, timide par nature, il rechignait à paraître en public. Pour toutes ces raisons et à cause de son âge avancé qui dépassait les 70 ans limites prévus par la constitution, l’homme préférait plutôt investir dans un poulain qu’il hisserait au pouvoir de toute la force de ses moyens financiers. Il est vrai qu’au Bénin, l’argent fait le président, et qui peut acheter les consciences, les votes et les présidents des institutions arbitrales à coup de milliards s’adjuge la présidence. Soit directement ou soit par homme-lige interposé.
En cette année-là, c’était celle des élections présidentielles. Le riche Béninois et ses chasseurs de tête cherchèrent l’oiseau rare. Partout dans le pays, ils remuèrent ciel et terre. Ils cherchèrent dans les grands partis, dans les petits, dans les organisations Internationales, dans les ONG, dans les associations culturelles et religieuses. Mais la moisson était maigre. Le riche Béninois les dédaigna ; en fin connaisseur des hommes et de leurs aptitudes, il trouvait que rien de ce qui lui était proposé n’était à la hauteur de l’ambition qu’il nourrissait pour son pays. L’homme riche ne voulait pas présenter un candidat qui échouât ; il n’entendait pour rien au monde que la greffe de son poulain ne prît pas sur l’arbre du peuple des électeurs. Et comme il avait horreur de la fraude et du holdup électoral qui étaient à l’honneur depuis plusieurs années dans le pays, il préférait avoir le bon candidat sous la main avant de se décider. Son exigence le rendit solitaire car il était assez perspicace pour se rendre compte que l’homme de ses rêves ne courait pas les rues.
Malgré sa solitude, l’homme riche ne se découragea pas. Un jour, au cours d’un dîner de gala organisé au château de son ami le Comte d’Avaugour, le riche Béninois eut l’occasion d’assister à une attraction au cours de laquelle le Magicien Boze, le plus célèbre magicien de France se produisit. Le Magicien Boze était connu pour ses célèbres tours de métamorphose aux cours desquels il transformait des animaux en être humains. Au château D’avaugour, lors du dîner de gala, le riche Béninois fut émerveillé par ces tours, où il put voir de ses propres yeux un éléphant transformé en chèvre. Les prouesses du Magicien Boze l’impressionnèrent, et en bon Béninois, il crut en ses pouvoirs mystiques. Le Riche Béninois se lia d’amitié avec le magicien, et très vite ils étaient à tu et à toi, comptait parmi ses mécènes.
Quelques temps après le dîner de gala au château du Comte d’Avaugour, le riche Béninois et Boze se donnèrent rendez-vous dans la ferme du magicien à Auneuil, dans le Vexin français. Là-bas, se trouvaient toutes sortes d’animaux : vaches, chevaux, girafes, éléphants, composaient un zoo privé avec lequel M. Boze faisait ses tournées de magiciens à travers la France et l’Europe. Cette rencontre, tournait autour de la politique. Le riche Béninois s’était déjà ouvert au magicien de son souci qui était de trouver le candidat idéal aux élections présidentielles dans son pays d’origine, le Bénin.
Le Magicien Boze, aussi étonnant que cela puisse paraître, promit à son riche ami de faire quelque chose pour exaucer son vœu le plus cher. Mais « comment donc ? » avait demandé le riche Béninois, au comble de la surprise. « Eh bien, venez à la ferme, et vous verrez » avait dit le Magicien Boze
Aussitôt dit, aussitôt fait. C’est ainsi que le riche Béninois rendit visite au Magicien Boze dans sa ferme d’Auneuil dans le Vexin français.
Là-bas, le Magicien Boze ne tourna pas autour du pot. A l’issue du rituel tour du propriétaire qu’il offrit à son hôte, ils arrivèrent dans le secteur du zoo. Et le Magicien Boze déclara tout de go :
« Cher ami, vous choisirez le prochain Président de votre beau pays parmi les pensionnaires de ce zoo
— Comment est-ce possible ? dit le riche Béninois, interloqué
— Faites votre choix, cher ami, et je ferai le reste», dit le magicien Boze.
Malgré sa stupéfaction, estimant qu’il n’avait rien à y perdre, le riche Béninois décida de jouer le jeu. Après une attentive observation des bêtes lors d’un passage en revue, notre compatriote porta son choix sur Sousniz, une girafe de 25 ans, née en France de mère née dans un zoo français, et de père, une girafe sauvage venue du Sénégal.
Et aussitôt, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, le Magicien Boze transforma Sousniz en homme. L’homme était grand de taille, élégant dans son costume trois-pièces, qui rehaussait sa mâte blancheur de quarteron, avec un presque rien d’Africain.
Quand l’homme souriait, il avait des dents d’herbivore en quinconce qui trahissaient sa nature antérieure de girafe ; mais à part ce détail, c’était un homme tout ce qu’il y avait d’élégant, d’intelligent et d’humain. Dans la poche de sa veste, l’homme sortit un passeport Béninois. Il était donc près pour l’emploi, ce qui montrait la puissance du Magicien Boze. Du reste, le Magicien Boze n’était pas peu fier de sa prouesse. Le riche Béninois, accompagné de son poulain étranger politique, passèrent au bureau du Magicien Boze pour régler les détails financiers de la métamorphose. Le riche Béninois était aux anges. Sa joie surprit le Magicien Boze qui ne s’y attendait pas à ce point.
« Pourquoi êtes-vous si heureux, dit-il, ce n’est qu’une simple métamorphose, pardi ! »
Et le riche Béninois de répondre « Je connais les miens, cher ami, dussiez-vous transformer une vache française en Béninois, ils l’accueilleront les bras ouverts. Et que dire d’une girafe à moitié africaine ?»
Berlioz Ahandessi
Beau texte. Belle imagination Belle écriture. Belle architecture de la synchronisation des idées. Très excellente allégorie du syndrome de la mixité, de la réactivité des cibles à l’objet et à l’idée centrale qui se cache derrière l’allégorie et l’adhésion collective à la fin, par résignation pacifiste et nationaliste .Surtout, par ces temps-ci d’effervescence politique citoyenne, en perspective des prochaines joutes électorales. Bravo à vous.
Belle critique ! Malgré, et en raison même de sa tendancieuse originalité…