Nigeria : La Dernière Char- rette de Nominations de Buhari Suscite l’Émoi au Sud

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Outre l’éradication de l’insécurité et la lutte contre le mal chronique de la corruption, Buhari a été élu par les Nigérians avec un grand espoir d’unité et d’équité régionale. Dans un pays composé de 6 zones géopolitiques, de 36 États, sans compter le Territoire Fédéral, de 774 sous-préfectures et pas moins de 250 ethnies, l’exigence d’équité est forte. Elle s’apprécie en gros et en détail, selon le point de vue des zones géopolitiques qui est politiquement sensible mais aussi selon l’ethnie d’appartenance.
La politique en Afrique étant plus proche de la mangeoire que du laboratoire, les nominations sont moins une source de fierté de servir sa patrie que la satisfaction de jouir de leurs retombées matérielles, sociologiques et politiques. A charge pour chaque personne nommée, conformément à l’attente de sa zone ou de son ethnie d’appartenance, de répercuter le même principe de faveur ou de reconnaissance dont il ou elle a bénéficié.
Mais lorsqu’on parle d’espérance d’équité forte au Nigeria, il ne faut pas s’y tromper : toutes les régions ne sont pas à la même enseigne et la perception de l’équité est dans la plupart du temps négative. D’abord au Sud, la question d’équité, même si elle alimente les calculs politiques, est surtout soulevée par la classe lettrée plus nombreuse, qui en fait un thème politique en référence à la constitution, ou éthique pour des principes moraux. C’est en rapport avec cette posture qu’au Sud plus qu’au Nord l’équité ne concerne pas seulement les zones géographiques ou les ethnies mais aussi le genre. Au Nord en revanche, tributaire d’une condition culturelle, historique et économique portée à la surévaluation du rôle de la politique, on est plus sourcilleux de l’équité, mais une équité qui ne se vit que sur le mode négatif. C’est-à-dire que c’est lorsque le Nord n’est pas servi qu’il se plaint de l’équité ; en revanche dans sa sensibilité profonde résultant de son histoire et de sa condition économique, pour le Nord, l’équité parfaite est déjà vécue comme un casus belli. En fait lorsqu’on en arrive au partage du gâteau national que représente la distribution des postes, le nord n’aurait pas été le moins du monde embêté d’avoir 99% des postes, et n’a que faire de l’idée de l’équité tant qu’il s’estime comblé. Ce tropisme des Nordiques est bien connu par les hommes politiques des deux bords. C’est pour cela qu’au Sud, l’un des soucis des dirigeants politiques nationaux, Obasanjo mais encore plus Jonathan, a été de faire bien plus que ne l’autorise l’équité en faveur du Nord. Monsieur Obasanjo en son temps était très équitable dans ses nominations, même si sans trop en abuser il prêchait la cohésion et la justice nationales. Jonathan, très soucieux de se faire réélire avait quant à lui jeté son dévolu sur le souci de plaire au Nord. Ce souci l’avait poussé à non seulement adhérer à l’équité régionale dans ses nominations, mais évitant les nominations symboliques, il avait placé un nombre relativement élevé de Nordiques à des postes juteux ou stratégiques : comme par exemple la Présidence de la CENA nigériane ou le poste très stratégique du Chef des Services de la Sécurité. Ce pro-nordisme béat de Jonathan et la carte blanche qu’il donnait aux personnalités nordiques de son gouvernement qui est l’une des sources de la corruption, étaient censés lui assurer la victoire aux élections. Mais entre autres obstacles, les nuisances de Boko haram en ont décidé autrement. Même à analyser sa genèse et son essence, Boko haram est lui-même le fruit vénéneux de cette intolérance nordique de la prise du pouvoir par les sudistes. En effet, depuis le début du Renouveau démocratique nigérian, les présidents qui étaient aux manettes étaient tous du Sud et chrétiens. Cette donnée n’est pas étrangère à l’éclosion du terrorisme islamiste, son essor, son refus de dialogue et sa virulence. Mais à force de vouloir tirer seulement profit de l’intolérance politique des nordiques sans en comprendre les raisons ou même chercher à la réduire, les hommes politiques du Sud s’étonnent ensuite de ses conséquences. Mais les politiques du Nord sont bien plus conscients de cette sensibilité, et même les plus clairvoyants d’entre eux savent comment il est difficile de ne pas y sacrifier. C’est ce qui se passe actuellement au Nigeria avec les nominations de Buhari qui émeuvent la totalité du Sud — que ce soit le Sud-ouest yoruba qui a voté pour lui, comme le sud-est Ibo et Ijaw qui ont voté pour Jonathan. D’ailleurs dans une conférence faite lors de son récent voyage aux Etats-Unis, M Buhari n’a-t-il pas déclaré avec une honnêteté qui avait choqué plus d’un qu’on ne devrait pas s’attendre qu’il soit reconnaissant envers ceux qui n’ont pas voté pour lui de la même façon que ceux qui ont voté pour lui ?

blog1M. Buhari disait bien ce qu’il pensait, et ses toutes premières nominations, même restreintes, en donnaient une claire indication. Mais la grande majorité des Nigérians du Sud n’osaient croire ce dont ils percevaient cependant les premiers signes. Il est vrai que pour la nomination des ministres du gouvernement, la constitution requiert le respect du caractère fédéral du pays et en fait une exigence. Mais cette exigence peut être contournée par un jeu de passe-passe entre Ministères de poids et Ministères symboliques. Alors que Buhari n’a pas encore formé son gouvernement depuis son élection en avril dernier et va sûrement utiliser cette occasion pour apaiser les frustrations des uns et les colères des autres, les nominations qu’il vient de faire et qui s’ajoutent aux précédentes ont suscité un énorme tollé quant à leur caractère déséquilibré en faveur du Nord. Ce déséquilibre est bien sûr dans le nombre, mais il est aussi et surtout dans le poids des postes concernés. Les Nordiques ont non seulement l’écrasante majorité des postes mais ils ont les postes les plus sensibles, les plus importants et les plus juteux. Les sudistes ont surtout des postes de complaisance, comme le montre la nomination de l’un des rares hommes du Sud-sud (Akwa Ibom) en qualité de conseiller aux affaires parlementaires, ou des postes d’expertise ou techniques. Mais selon une exigence constitutionnelle et politique infrangible, des sudistes sont aussi nommés parmi les chefs de l’Armée dont le noyau reste toutefois nordique. Ainsi sur 36 nominations 11 sont allées au sud parmi lesquelles dominent les postes techniques, et quelques postes de complaisance ; tandis que 25 postes sont allés au Nord, ce qui représente 70% des nominations !
Signalons que le déséquilibre dans les nominations décriées par les hommes politiques qui ne sont pas tous du sud du reste n’est pas seulement régional mais concerne aussi le genre. Les femmes sont littéralement sacrifiées : sur les 36 nominations effectuées jusqu’à présent seule une femme est concernée, il s’agit de Mme Amina Zakari, la Présidente de l’INEC, la CENA nigériane.

Le président Buhari qui a été élu avec enthousiasme par les Nigérians qui voyaient en lui l’homme capable de lutter contre les maux du pays que sont l’insécurité et la corruption révèle-t-il à travers ces nominations déséquilibrées sa vrai nature de régionaliste sur le modèle de son illustre prédécesseur Tafawa Balewa ? Ou bien conscient de la sensibilité des siens, sacrifie-t-il d’abord à leurs démons avant de se mettre à l’œuvre dans l’intérêt du Nigeria ?
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Alan Basilegpo

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