Recolonisation de l’Afrique : une Brève Histoire de l’Exception Politique Béninoise

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Dans son discours d’investiture à la présidence de l’Assemblée Nationale, Me Adrien Houngbédji a évoqué l’exception politique béninoise. « Ailleurs, a-t-il dit, on se bat d’abord, on s’entretue d’abord et on discute ensuite. Ici, on s’assoit tout de suite, on discute et les solutions jaillissent du débat ; c’est ce que les observateurs appellent l’exception politique Béninoise. »

Cette appréciation est particulièrement vraie à la lumière des derniers événements politiques du Bénin et leur signification géopolitique.

Au Bénin, un Français, entièrement étranger à la vie politique nationale, vient d’être nommé Premier Ministre. Et la classe politique nationale ainsi que les médias et intellectuels sont au garde à vous ou sous le charme. Cela fleure bon une recolonisation à visage découvert de l’Afrique. De la part de la France, il s’agit d’une décision hardie qui marque l’affirmation d’une volonté jusque-là tenue sous le boisseau.

Après les indépendances, la France a essayé le néocolonialisme. C’était une approche déguisée qui opérait par téléguidage des régimes et des dirigeants ; en cela le mot « télé-colonialisme » est plus parlant que néocolonialisme. La meilleure formule consistait à créer un dictateur. Par son pouvoir personnel, le dictateur, souvent issu d’une minorité ethnique, opprimait la majorité et servait les intérêts de la France. Le salaire de son service est son pouvoir personnel, et la gestion patrimoniale des biens publics. La droite française était maître d’œuvre de ce système devenu caricatural sous le nom de Françafrique. Pendant que la France profitait des richesses de l’Afrique, les Africains s’appauvrissaient. Mais le système s’est épanoui surtout sous le parapluie géopolitique de la guerre froide. Après l’effondrement du mur de Berlin, les Occidentaux réalisent l’obsolescence des régimes dictatoriaux qu’ils avaient installés. Ils font le constat de la non viabilité de son modèle économique et décident alors de le réformer. Pour ce faire, ils ont commencé à prêcher les bienfaits de la Démocratie. Le discours de la Baule de François Mitterrand le 20 juin 1990 en a lancé le débat. Mais la peur des peuples africains était latente. Si dans une Démocratie authentique les peuples africains prenaient le pouvoir, s’en était fini de la domination occidentale. C’est alors que la Démocratie annoncée s’est très vite muée en une sinistre roublardise. Les anciennes puissances coloniales, soucieuses de la pérennité de leur domination, se sont fait complices de la nouvelle culture démocratique basée sur la supercherie, la fraude et l’escroquerie formelle. Il s’agit d’une démocratie en trompe-l’œil. Dans un premier temps, les dictateurs ou leurs descendants biologiques restaient en place et on les dédoublait d’un premier Ministre issu des organisations financières internationales ( FMI, Banque Mondiale, etc.) Ils apportaient la caution technocratique et le discours rationnel. Ces soi-disant technocrates imposaient des programmes antisociaux des organisations dont ils se réclamaient. Le but visé par ce nouveau schéma est de rectifier le mauvais système économique découlant du modèle patriarcal précédent. Mais dix années après, l’expérience n’a rien donné de lumineux. La condition socioéconomique des peuples laissait toujours à désirer tandis que leur condition politique était dans l’incertitude la plus totale. D’un côté, les puissances coloniales continuaient de dominer les États africains prétendument indépendants ; de l’autre, elles n’osaient avouer ouvertement leur domination. L’Afrique était officiellement indépendante mais réellement sous domination. De la part des Occidentaux, ce double jeu traduisait un respect hypocrite du concept de l’Indépendance hérité de l’histoire. En effet, le concept avait été admis par les puissances européennes suite au traumatisme de la seconde guerre mondiale. Ayant perdu ou failli perdre leur indépendance du fait du nazisme, ce traumatisme a figé les puissances Occidentales dans le respect formel de l’idée de l’indépendance. C’est pourquoi de 1960 à 2000, ils ont multiplié toutes sortes de formules et de supercheries pour continuer de dominer l’Afrique tout en la présentant à elle-même et au monde comme indépendante. L’un des haut-lieux de cette mise en scène est l’ONU.

Mais après les années 2000, la mondialisation a changé les données des rapports internationaux.. La mondialisation a redistribué les cartes de l’indépendance et changé les rapports entre économie et politique, capitalisme mondial et souveraineté nationale. La mondialisation a servi de prétexte et de tremplin à une résurrection du colonialisme. Les anciennes puissances coloniales qui opéraient par supercherie se sont mis à ne plus cacher leur jeu. Décomplexées, elles ont résolu de reprendre les anciennes colonies sous leur contrôle économique direct. Et comme en cette période de mondialisation l’économie prime le politique, qui dit contrôle économique dit contrôle politique. Profitant de l’affaiblissement des souverainetés nationales inhérent à la mondialisation, les puissances européennes nostalgiques de leur gloire déchue ont décidé d’aller à l’assaut de leurs anciennes possessions. Dans le cas de la France, l’aliénation linguistique et monétaire a facilité la recolonisation. Le mot d’ordre de la recolonisation doit beaucoup au climat de la mondialisation mais d’autres facteurs justifient son succès. Parmi eux, on peut citer la faible organisation des Africains, l’abandon du mot d’ordre d’unité cher à Nkrumah, leur faible conscience des enjeux, le cercle vicieux de la pauvreté, les conséquences mentales et symboliques de la colonisation qui font que l’Africain a du mal à réfléchir par lui-même et pour lui-même. En quelque sorte, la laisse coloniale qui n’a jamais été rompue a été reprise par le Blanc qui l’a resserrée autour de notre cou, et nous revoilà moutons ou zombis à sa merci.

C’est ce programme de recolonisation à visage découvert qui explique le parachutage d’un Français comme Premier Ministre au Bénin. Celui-ci a l’excuse de porter un nom bien béninois, qui ressuscite celui d’un ancien président, et le tour est joué. Mais malgré la jurisprudence de la mondialisation, ce genre d’intrusion sans vergogne ni scrupule dans l’intimité politique d’une nation n’est possible qu’en Afrique confrontée au défit de sa maturité. Un Franco-Canadien né et vivant au Canada, qui n’a jamais fait de politique en France, n’y a jamais occupé un mandat électif ne peut pas débarquer en France et sans autre forme de procès y être bombardé Premier-Ministre. Cela est clair. Donc ce qui se passe au Bénin actuellement dans le silence et la complicité des politiques et des médias est une monstruosité éthique, mentale et politique. Ça se passe parce que nous sommes petits ; ça se passe parce que nous l’acceptons en nègres et complices ; ça se passe parce que la France est en pleine recolonisation. Elle n’a plus peur de nous envoyer un gouverneur comme cela se faisait du temps de la colonisation.

Et là où la considération de Me Adrien Houngbédji sur l’exception politique béninoise prend tout son sens c’est que le Bénin est en train de réussir sans verser une goutte de sang ce que la Côte d’Ivoire a fait après 10 ans de guerre fratricide, de coup d’Etat et des milliers de morts. En la personne de M Lionel Zinsou, nous avons notre Ouattara sans avoir de Gbagbo. En cela, le Bénin étonnera le monde. Nous venons à nouveau de nous illustrer dans l’histoire de la politique africaine. Après le précédent de la Conférence Nationale Souveraine des années 90, nous venons d’ouvrir la voie à une forme pacifique et extasiée de recolonisation de la terre de nos ancêtres. Mais quel Béhanzin, Kaba ou Bio Guerra sera fier de nous ?

Blaise Aplogan, Écrivain, Sociologue Paris

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9 commentaires

  1. J’ai lu avec avec passion cet extrait ci-dessus. Je tiens à apporter mon point de vue en disant ceci: comparaison n’est pas raison. Notre pays le Bénin traverse une crise économique sans précédente. Il y a également une crise de confiance qui s’est installé, mettant notre pays dans une léthargie sans précédent. Il fallait trouver très vite une issue. Avant toute chose, nous africains, devront apprendre à raison désormais avec intelligence dénué de toute passion. Et lorsque, nous nous mettons à utiliser notre intellect, force est de constater que nous voyons les choses autrement. Et, suivant cette vision nouvelle, il est à remarquer que, ce n’est pas de la recolonisation que d’accepter un étranger à la politique béninoise, fut-il français, ou démi-français, de immiscer directement dans la politique de notre pays et d’apporter des réformes si, ces réformes, peuvent être salutaire pour notre nation. En quoi est-ce un crime, qu’un étranger ou démi-étranger, nous apporte son aide pour dénouer une situation de crise qui n’arrange pas du tout notre nation. Dans la bible, Joseph fils d’Israel (Jacob), est venu en Egypte et y est devenu premier ministre. Vous savez très bien ce que l’Egypte est devenu: un pays extrêmement riche et puissant ; économiquement prospère pendant plus d’un siècle. Certains catégories de bourgeois peuvent bomber le torse et crier à qui veut l’entendre:  » Lionel ZINSOU est un français. ». Là n’est pas le débat. Le vrai débat, pour un béninois suffisamment intelligent et honnête serait:  » Comment allons-nous faire pour aider ce frère béninois à réaliser un miracle économique au Bénin ou, au pire des cas, à réformer notre administration pour qu’elle devienne une administration performante et efficace, au service des usagers ? « . Voilà où devrait se trouver la question. Nous ne devrons pas avoir froid d’utiliser un étranger si tant est que, ce étranger peut apporter à notre pays. Maintenant, Lionel ZINSOU n’est pas un étranger. C’est un béninois. Et on attend beaucoup de lui. Nous voudrions lui faire confiance. Il nous emmènera à bon port. Que chacun laisse tomber son orgueil et ne pense qu’au Bénin. Le Bénin d’abord.

    • Je ne saurais mieux dire. Cet article est d’une malhonnêteté intellectuelle propre aux cadres beninois aigris qui ne savent que voir la main du Colon partout alors qu’eux mêmes ne font rien pour nous en affranchir. Manuel Valls, actuel premier ministre français est de Barcelone, Anne Hidalgo, la maire de la plus importante ville française Paris est immigrée espagnole aussi. Quand allons nous cesser avec notre vision lilliputienne du monde en pauvres africains à l’esprit étroit?

      • Pourquoi faites-vous semblant de ne pas voir ce qui est reproché à M Lionel Zinsou : vous n’êtes pas aussi idiot que le laisse voir votre raisonnement. Le roi de Lilliput n’est pas là où vous croyez : Valls était en Espagne quand il a été nommé Premier Ministre ? En tant que Premier Ministre du Bénin, M Zinsou appartient à quel parti politique ? De quel Évry était-il le maire auparavant ? A la malhonnêteté que vous relevez de façon purement rhétorique, il faut ajouter en ce qui vous concerne un parti-pris intellectuel hanté par une forme de paralogisme du raisonnement pour le moins renversante

  2. Merci pour cette belle réflexion qui montre le souci de l’auteur d’arriver à une iindépendance réelle de l’Afrique.
    Mon premier souci est l’assimilation du cas Zinsou au cas Ouattara en Côte d’Ivoire.Zinsou a du sang béninois dans ses vaisseaux sanguins alors que Dramane est un Mosssi pur sang.Il n’a rien d’ivoirien dans son ADN.
    Le second est que j’ai cru lire ou entendre que Zinsou a été conseiller à présidence du Bénin et récemment a été le pivot de l’organisation de la table ronde de Paris donc pourquoi peut-on dire qu’il a été parachuté dans la vie politique béninoise ? Les Béninois de la Diaspora n’ont-ils pas le droit,voire même le dévoir de servir le pays ?

  3. Merci pour votre réaction citoyenne. Pour ce qui est de l’ADN et des considérations sur l’origine de Ouattara, je vous laisse l’entière responsabilité de vos propos. Ici, l’évocation de Ouattara réfère le fait qu’il est objectivement un gouverneur français.
    Pour votre raisonnement qui, au mépris du proverbe qui dit qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, semble sous-estimer ce que l’intimité politique d’une nation veut dire en la ramenant à une formalité sommaire, je vous prie de relire attentivement ce passage de notre analyse : « Un Franco-Canadien né et vivant au Canada, qui n’a jamais fait de politique en France, n’y a jamais occupé un mandat électif ne peut pas débarquer en France et sans autre forme de procès y être bombardé Premier-Ministre. Cela est clair. Donc ce qui se passe au Bénin actuellement dans le silence et la complicité des politiques et des médias est une monstruosité éthique, mentale et politique. Ça se passe parce que nous sommes petits ; ça se passe parce que nous l’acceptons en nègres et complices ; ça se passe parce que la France est en pleine recolonisation. Elle n’a plus peur de nous envoyer un gouverneur comme cela se faisait du temps de la colonisation »
    Merci

    • Votre analyse reflète bien l’État d’esprit d’un africain qui se révolte dans son canapé a paris comme vous l’avez fièrement en bas en précisant votre lieu de résidence. Ma seule remarque porte sur le fait que avez nourri votre article seulement de réflexions et non de recherches ou d’enquêtes. Si tel avait été le cas vous auriez su que Mr zinsou Lionel n’est pas du tout étranger a la politique béninoise ni au monde des affaires au Benin. Pour preuve je vous invite a observer les réactions des adversaires de poids et sérieux du président Yayi Boni. Aucun d’entre eux n’a fustigé la nomination de Mr zinsou. Parce que tout la grande classe politique du Benin connaît l’implication de ce monsieur dans la vie politique locale. Combien de fois n’ai je pas croisé ce monsieur sur le trajet Paris Cotonou ? Et je me demandais quand est-ce qu’il allait se lancer? Et ceci depuis plus de 10 ans déjà? Une petite enquête auprès des services de l’aéroport de cotonou pourra vous montrer que ce monsieur malgré ses activités a paris passait des fois 2 weekend par mois au benin. Et une autre enquete économique vous donnera l’État de ses activités économique sur tout le territoire béninois. En bref je ne souhaite pas commenter l’idée directrice de votre article a savoir la recolonisation ostentatoire de l’Afrique par la France mais juste vous faire remarquer que l’exemple choisi pour l’illustrer manque de consistance. Quant a l’idée en soi, que faites vous a paris si le Benin a besoin d’être libéré?

  4. Comme le dit l’adage « IL NE FAUT PAS VENDRE LA PEAU DE L’OURS AVANT DE L’AVOIR TUE ». L’auteur de l’article a bien contextualisé sa réflexion et cela pose le problème de l’extraversion économique surtout de l’Afrique et en l’occurrence du Bénin. Le toubab français trouve toujours des astuces pour sa présence voilée en Afrique et chez nous au Bénin particulièrement. Notre cher frère Zinsou est peut-être instrumentalisé contre nous ; qui sait ?
    Il faut y prendre garde pour ne pas tomber dans un piège ; je ne doute point des compétences de mon grand frère Lionel ZINSOU; au contraire, c’est une valeur incomparable qui pourra aider notre pays à trouver des solutions pour sa crise économique et autres difficultés.
    Je lui souhaite plein succès sans dominance voilée venant de je ne sais où.
    Vive mon pays !!!

  5. Mr Lionel Zinsou est un beninois et un homme de haute qualité.

  6. C’est une tres analyse. Mais l’integration de Lionel Zinzou comme tant d’autres Béninois devrait encourager. Merci

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