Russie/USA : le Sacrifice Suprême

C’est un chef-d’œuvre d’espièglerie médiatique et politique que de demander  si, dans la guerre qui fait rage, l’Ukraine va perdre ou la Russie va gagner. Ainsi posée, la question revient à demander qui, de David et de Goliath l’emporterait, sachant que David est un personnage biblique dont l’extraordinaire exploit n’a jamais été confirmé dans la réalité, à laquelle il ne saurait servir de modèle.

De même c’est une tromperie d’en venir, dans un faux sursaut de bonne volonté, à dire que ni l’Ukraine ni la Russie ne doivent gagner la guerre. Ce qui n’est qu’une manière frauduleuse de dire que la Russie ne gagnera pas la guerre ; à moins que ce ne soit la prophétie d’une guerre de 100 ans dont lorsqu’elle sera finie, on ne saura pas pourquoi elle a commencé ni dire qui a vraiment gagné ?

Tout le monde sait que la guerre d’Ukraine est une guerre par proxi des États-Unis et de la cohorte de leurs dominions économiquement et historiquement conditionnés dont l’UE est le noyau central, une guerre idéologique contre la Russie. L’occident pense que, de la manière dont l’URSS a fini par s’effondrer au terme de la guerre froide, la Russie, qui est une fédération de nations pas toutes blanches et ou chrétiennes, devrait pouvoir s’effondrer à son tour, pour peu que le nécessaire fût  fait en termes militaire, économique et diplomatique. Voilà pourquoi en l’espace de quelques décennies, l’Otan s’est rapprochée des frontières russes et aboie à ses portes, comme l’a dit le pape, dans une relative conspiration du silence.

Toutefois et en dépit de la bonne volonté américaine, il faut séparer les intérêts et fantasmes des États-Unis de ceux des Européens à priori – qu’ils appartinssent à l’UE ou non. Nous disons a priori, parce que les États-Unis remuent ciel et terre, tout en maniant la carotte et le bâton pour accréditer l’illusion d’un Occident uni contre la mal absolu incarné par la Russie et son président, Poutine. Poutine dont le seul tort est de croire à la pérennité de son pays, sa place de grande puissance, à cheval entre l’Asie et l’Europe et qui propose une autre vision de l’Europe, peut-être plus gaullienne, celle qui de l’Atlantique à l’Oural, unirait ses peuples dans un monde multipolaire. Une croyance qui lui vaut d’être injustement diabolisé ; diabolisation autour de laquelle l’Amérique essaie de fédérer ses dominions dans un combat douteux. Or cette unité sur commande ne fait pas l’affaire de l’Europe ni en tant qu’UE, encore moins en tant que nations souveraines, espèce en voie de disparition, et sur l’extinction de laquelle tablent les États-Unis pour pouvoir, dans une continuité hégémonique ininterrompue, donner la réplique à la Chine montante…

Et dès lors, il va de soi que cette manière de parler de la guerre, notamment dans ses issues est trompeuse et manipulatoire à souhait. Il va sans dire que l’Ukraine, un rejeton sorti des côtes de l’ex-URSS, un petit pays d’à peine 40 millions d’habitants et l’un des plus corrompus d’Europe, et dont l’armée est décimée et les chefs aussi corrompus que les dirigeants politiques, spéculer sur l’éventualité de victoire d’un tel pays devant la Russie – 140 millions d’habitants, plus vaste territoire et l’une des deux plus grandes puissances militaires du monde – n’est pas seulement une manière de prendre ses vessies pour des lanternes mais c’est se moquer du monde.

Cela ayant été dit, répondons à la question implicite, savamment escamotée par les médias et dirigeants occidentaux : « Est-ce que la Russie peut gagner la guerre contre l’Occident ? »  Posée ainsi, la question a le mérite d’être claire et dénuée de toute hypocrisie. Et, ce qu’on peut dire d’entrée est que la Russie n’a pas l’air de la perdre, cette sacrée guerre, dans laquelle certains avaient promis de mettre son économie à genoux. Même si l’Amérique et ses dominions semblent prêts à faire la guerre jusqu’au dernier Ukrainien, la Russie quant à elle a quitté le mode d’une opération spéciale pour s’installer dans la configuration d’une guerre d’attrition.

L’autre considération par rapport à la question ainsi posée clairement est de faire remarquer que dans cette guerre, il y a deux positions existentielles qui n’ont pas la même valeur philosophique et donc n’induisent pas la même volonté combative ni la même attitude face à l’idée du sacrifice suprême. Pour les États-Unis, il s’agit d’une guerre de domination et d’hégémonie. Hormis l’idée qu’une grande nation ne saurait vivre et exister que de manière hégémonique, faire s’effondrer la Russie n’est pas en soi une nécessité de survie pour l’Amérique ; c’est une option idéologique aveugle et risquée. Car une nation – fût-elle comme  l’Amérique héritière d’un passé d’esclavage et de génocides  — n’a pas besoin de justifier – la barbarie et l’inhumanité consubstantielles  à son histoire par une fuite en avant dans l’hégémonisme. Elle n’a pas besoin de vivre à crédit sur le dos des autres nations par le truchement de sa monnaie imposée comme monnaie de référence – ce qui, in fine,  n’est que la forme financière de son parti-pris hégémoniste. Elle peut, renonçant pour toujours  à l’inhumanité, exister, vivre honnêtement, libre et prospère dans un monde multipolaire. La conception léonine de la géopolitique, qui fait de l’hégémonie la condition sine qua non de l’existence en tant que nation ou état, cette conception américaine fait problème, à la limite de l’absurde. Et c’est cette absurdité qui est le talon d’Achille de l’Occident dans un monde qui bouge ; un monde dans lequel plus vite l’occident acceptera le principe de la réalité ( historique et anthropologique), plus il se donnera les moyens d’y négocier sa juste part et sa juste place.

En revanche, pour la Russie, la guerre d’Ukraine est une guerre de survie. Et une guerre de survie, loin d’être une aventure aveugle ou un confort idéologique est une nécessité, une question de vie ou de mort. Et cette nécessité procure la force du sacrifice suprême et la volonté collective de la victoire.

Adenifuja Bolaji

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