
Curieux, l’effusion qui se met en scène entre Yayi Boni et Patrice Talon aux yeux des Béninois éberlués ; alors que celui-là, un temps menacé et longtemps malmené par celui-ci était en droit de montrer de quel bois il se chauffe, sinon en termes de loi du Talion, du moins en termes de réaction appropriée. Tout au moins attendait-on de Yayi, dans un contexte présumé d’Etat de droit, qu’il instruisît le procès d’une dignité démocratique, en manifestant son opposition non pas tant de principe que de fait au régime qui lui a succédé, dans les conditions que l’on sait. Pourquoi cette abdication ? Pourquoi ce renoncement à assumer son devoir d’opposition comme l’entendent et l’espèrent les Béninois ? Yayi Boni est-il atteint du syndrome de Stockholm ? A première vue, on pourrait attribuer ce revirement à l’ivresse de la foi chrétienne chez un homme qui, on le sait, en matière d’ivresse a plus d’un tour dans son sac.
Mais à la vérité, aucune ivresse – ni la chrétienne ni l’éthylique – encore moins l’éthique du pasteur évangéliste ne rend raison de cette psychologie de bisounours chez l’ancien président qui, d’instinct bagarreur et combatif, ne nous avait pas habitués à tant d’effusion politique par le passé. A moins que Monsieur Yayi Boni n’ait décidé de faire sien le dicton anglais « beat them or join them », la raison de son comportement déroutant est assurément ailleurs.
Au moment où la France reprend en main directe nos pays par chantage à la menace terroriste interposé, il eût été normal que les opposants, dans un système politique qu’on nous présente comme une démocratie, fissent leur job d’opposants. Ainsi, si comme c’est le cas de tous les présidents-boy de la Françafrique, Monsieur Talon se couche devant le maître colonial et entérine ses manigances crapuleuses de manière solitaire et autoritaire, il appartient à l’opposant digne de ce nom de s’inscrire en faux contre cette vision prédatrice et cette visée antinationale des rapports internationaux. Un opposant de la trempe de Yayi Boni, pour autant qu’il voulût jouer son rôle d’opposant, devrait exiger que l’accueil de Barkhane ou l’installation d’une base militaire — française ou autre — au Bénin, passe par l’aval du peuple béninois, dans sa diversité et fasse l’objet d’un consensus national. Cette exigence patriotique devrait être tenue pour un casus belli par tout opposant digne de ce nom.
Or, c’est à ce moment crucial pour l’indépendance de notre pays et de l’Afrique noire que contre toute attente l’opposant considérable qu’est Yayi Boni a décidé de flirter avec le pouvoir, d’enterrer sa hache de guerre démocratique. C’est à ce moment décisif pour notre pays et pour la sécurité de sa partie septentrionale que Yayi Boni qui, durant ses dix ans de pouvoir, s’est posé plus comme nordiste que Béninois, jette sa langue au chat et convole en noces douteuses avec son successeur et ex-ennemi mortel au détriment de notre intégrité territoriale et de notre souveraineté nationale.
Ce revirement brutal est trop beau pour convaincre de son innocence et sa nature de souverain bien ; trop spectaculaire en ce moment crucial de la continuité de notre indépendance pour ne pas cacher, comme c’est le cas avec la France, un ordre d’unité nationale de façade du Sud au Nord, au moment où cette dernière région est en proie aux supposés terroristes djihadistes, contre lesquels la France nous propose de l’aide au moment même où son armée est éconduite de sa base malienne !
Si les Béninois ne sont pas dupes du manège, il n’est peut-être pas sûr qu’ils soient conscients que celui-ci, selon les données politiques de chaque pays, entraîne des aménagements politiques spécifiques. Le Bénin, à l’instar de la Côte d’Ivoire, étant un pays régionalement et politiquement clivé entre le Nord et le Sud, il sied, dans la mesure surtout où c’est sur le Nord – la région la plus proche de ce cœur convoité du Sahel — que la France a jeté son dévolu, que cette région accueille sa volonté et ne s’oppose pas au déploiement de son armée.
En principe, Yayi Boni l’opposant, Yayi, Boni l’adversaire et l’ennemi personnel de Talon, devrait avec ses troupes, partir en guerre contre cette usurpation-violation-profanation autoritaire de notre territoire par la France, contre ses menées criminelles inspirées par le racisme anti-noir. Au contraire, c’est à ce moment que se met en scène devant les Béninois ébahis le pseudo-discours de l’entente et de la réconciliation entre les deux ennemis mortels d’hier. Entente entre le pouvoir et une figure majeure de l’opposition, entente entre le Sud d’où est originaire Talon, et le Nord, zone d’accueil de Barkhane. Tout baigne, en somme dans le meilleur des mondes, Barkhane a quartier libre ! Se met en place le pseudo-discours de l’entente et de la réconciliation, au nom peut-être d’une non moins fausse morale de la foi chrétienne ou des mièvreries éthiques du même tonneau.
L’histoire à l’évidence jugera des responsabilités des uns et des autres. En tant que boy du système Françafrique, Talon, n’avait peut-être pas le choix de s’incliner devant la fatwa de la France, d’autant plus que celle-ci divise les pays africains pour mieux les dominer. Mais en tant qu’opposant considérable, Yayi Boni n’était pas obligé de s’immoler aux simagrées de diversion et de manipulation destinées à masquer le renoncement à son devoir d’opposition afin d’exécuter à la lettre la volonté de la France. Mais tout le monde l’a vu faire durant dix ans de pouvoir où Yayi Boni rivalisait d’ardeur et de reptation pour jouer le rôle de toutou de la France. Non content d’avoir joué ce rôle de président-boys à la solde de la France, le voilà qui se laisse enrôler dans un sinistre théâtre néocolonial destiné à faire croire à un pseudo-consensus national ; le voilà qui fait son cinéma pour ne pas avoir à jouer son vrai rôle d’opposant et de nordiste au moment où la France s’accapare du Nord de notre pays entre pseudo-terroristes et forces armées d’occupation ; le voilà qui refuse de jouer son vrai rôle : protéger le Bénin et son indépendance menacée, ne pas livrer le Nord de notre pays au viol, au vol et au pillage par l’armée française, comme elle l’a toujours fait partout où elle est passée en Afrique noire.
D’une manière générale, la question de la complicité de nos dirigeants dans les viols et violences des Blancs contre les peuples africains se pose. La génération d’aujourd’hui, notamment la jeunesse, se demande souvent perplexe et incrédule, comment l’esclavage des Noirs et la traite négrière ont-ils pu exister et surtout durer pendant quatre siècles ! Comment un tel fléau a pu s’abattre sur les Noirs d’Afrique sans que leurs dirigeants ne s’interposent farouchement, ne le combattent avec vigueur et sans merci ? Quelle que soit l’inégalité des forces en présence, la technique occidentale d’élimination des récalcitrants qui continue de s’exercer aujourd’hui – on l’a vu avec les Sankara, les Gbagbo ou les Kadhafi – de division politique, il reste que la complicité plus ou moins active de maints de nos rois d’antan alléchés par le bon plaisir et l’appât du gain a joué un rôle non négligeable dans la prospérité de ce tragique commerce des hommes. Toutefois, ces rois avaient au moins l’excuse de l’ignorance, le fait de ne pas connaître leurs ennemis et leur science dont ils abusaient pour les tenir sous leur joug.
Aujourd’hui, tel n’est pas le cas des Talon, Yayi et consorts qui bradent notre souveraineté et notre indépendance aux Blancs en toute connaissance de cause, étant, contrairement à leurs prédécesseurs des temps passés, souvent aussi instruits que leurs maîtres et donneurs d’ordre d’aujourd’hui. Pire encore, alors que nos rois d’hier, même cupides, n’ajoutaient pas à l’ignorance la prétention d’hypocrisie et agissaient à la lumière du jour, sans chercher à manipuler leurs peuples, nos dirigeants d’aujourd’hui, passant pour démocratiquement élus, s’adonnent à la même activité de destruction de notre race et de son espérance de dignité tout en se livrant à une comédie de façade destinée à occulter leurs sinistres agissements.
Alors que, depuis 2016 et surtout depuis que Talon a abattu son jeu politique, une légion d’opposants crient à l’exclusion et à la dictature, le peuple béninois attend de ces démocrates putatifs qu’ils sortent de leur curieux silence et disent tout le bien qu’ils pensent de Barkhane au Bénin ou alors qu’il se taisent à jamais !
Aminou Balogun
